Il y a six mois, Drivy a posé ses valises à Londres. La société de partage de voitures entre particuliers, créée par Paulin Dementhon à Marseille en 2010, a préféré prendre son temps avant de conquérir le marché britannique, et ce pour des raisons stratégiques. Rencontre avec Patrick Foster, responsable du développement nouveaux pays pour l’entreprise française.
Quand Paulin Dementhon a lancé Drivy en 2010, le jeune entrepreneur voulait calquer son offre sur celle d’UberPool, à savoir proposer du co-voiturage entre particuliers. “L’idée de base était de mettre tout le monde en voiture pour aller au travail. Mais c’était trop tôt pour se lancer sur ce marché, les gens n’étaient pas encore prêts à utiliser ce genre de service. Du coup, il a préféré transformer son idée sur le modèle d’Airbnb en mettant en relation un propriétaire de voiture et un demandeur”, explique Patrick Foster. Drivy, une des premières plateformes d’économie partagée, s’est donc d’abord lancé à Marseille avant de conquérir la capitale en 2011.
Une fois bien installée en France, l’entreprise française s’est mise à rêver plus grand. En ligne de mire, l’Europe. Le premier pays visé fut l’Allemagne en 2014. ”Là-bas, l’éco-système de la mobilité était plus avancé que les autres villes européennes. La demande y était déjà construite. Au Royaume-Uni, il n’existait que ZipCar, mais sans pour autant que le concept du partage de voitures soit aussi aussi développé que sur les autres marchés européens”, lance Patrick Foster. Après l’outre-Rhin, Drivy s’installe en Espagne en 2015, puis en Belgique et en Autriche l’année suivante.
En huit ans, la société a ainsi conquis 2 millions de membres et met aujourd’hui à disposition 50 000 voitures. “On a vraiment réussi à s’imposer dans le paysage des nouveaux modèles de transport”, se félicite Patrick Foster. Au total, l’entreprise française aura levé 47 millions d’euros dont 31 rien que l’an dernier.
Il a fallu attendre fin 2017 pour que Drivy se décide enfin à traverser la Manche. “Quand une société française se lance au Royaume-Uni, il faut qu’elle pense à beaucoup de choses : le changement de devise, la time zone (horaire local), le fait qu’ici on parle en miles et non en kilomètres”. Bref il faut s’adapter.
L’entreprise a aussi choisi de conquérir le Royaume-Uni au moment du lancement de sa nouvelle innovation : le boîtier Drivy Open, qui permet d’ouvrir et de fermer la voiture empruntée via son smartphone. Une utilisation plus pratique et donc plus intéressante pour les Londoniens. “Avant, il fallait demander à 4 ou 5 propriétaires pour savoir si leur voiture était disponible. Là, c’est instantané. On est donc arrivé ici avec un produit prêt, grâce à nos sept années d’expérience entre la France et d’autres pays européens”, analyse le responsable développement nouveaux pays.
Par ailleurs, au Royaume-Uni, les bases de données sur la population sont publiques, ce qui a facilité une partie du travail de la société française. “Les vérifications sur les potentiels utilisateurs sont beaucoup plus simples ici. On peut rapidement savoir par exemple si les propriétaires des voitures ont payé leurs taxes et fait les révisions nécessaires de leur voiture. De l’autre côté, on s’assure que celui ou celle qui va emprunter le véhicule a bien son permis et qu’il ou elle est un bon conducteur”. La garantie est ainsi assurée pour toutes les parties.
“Cela dépend de quel côté on se place”, résume Patrick Foster. Selon lui, le Brexit est un inconvénient en termes de recrutement du personnel. Actuellement, l’entreprise compte 120 salariés, dont 90 à Paris, 10 à Berlin et 10 à Barcelone. “Nous sommes sept à Londres, mais nous souhaitons recruter trois autres personnes d’ici la fin de l’année”. Compliqué avec le contexte actuel. “Nous comptons plusieurs nationalités dans nos équipes, donc avec les contraintes éventuellement imposées par le Brexit, les choses ne seront plus si simples”.
A contrario, la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, selon le responsable du développement nouveaux pays, va implicitement compliquer la mobilité des Britanniques hors de leur pays, et donc les inciter à passer davantage leur week-end entre leurs frontières. “Et donc de louer des voitures”, se réjouit Patrick Foster.
Dans la capitale anglaise, se déplacer pour le travail n’est pas un problème majeur avec la mise à disposition de multiples types de transports alternatifs à la voiture. Drivy cible donc les personnes souhaitant louer une voiture pour le week-end. “La moyenne des locations sur la plateforme est de deux jours. Donc on répond aux besoins des gens qui n’ont pas de véhicule, qui ne veulent pas en acquérir un mais qui souhaitent juste s’échapper de la capitale le temps d’un week-end”, commente Patrick Foster.
Autre cible, les professionnels ayant besoin de se déplacer rapidement pour un meeting en dehors de Londres. “Grâce au boîtier Drivy Open, ils peuvent avoir accès à une voiture proche d’eux rapidement sans avoir besoin d’aller récupérer des clés auprès du propriétaire, ils peuvent tout faire depuis leur téléphone”. Le responsable du développement nouveaux pays de l’entreprise française insiste cependant : “Nous ne sommes pas des concurrents des taxis, nous n’offrons pas le même service. Les voitures appartiennent à des particuliers, qui souhaitent les retrouver là où elles ont été prises”.
Drivy croit en ses chances de développement à Londres, car l’entreprise s’inscrit, explique Patrick Foster, dans la politique de désengorgement de la capitale anglaise et de lutte contre la pollution souhaitée par le maire, Sadiq Khan. “On veut montrer qu’il est possible de se passer de voitures dans les grandes villes, qu’il n’est pas essentiel de posséder un véhicule. Ce concept pourrait remplacer 10 véhicules par un seul, les municipalités ré-alloueraient les parkings à des espaces de voiries pour les transports en commun ou les vélos”.
Actuellement, 800 voitures sont déjà disponibles à Londres. “En six mois, on possède déjà un tiers de la flotte de ZipCar. Notre objectif est d’atteindre les 2.000 véhicules d’ici la fin de l’année et c’est plutôt bien parti. A la fin de l’été, on sera au moins à 1.000 voitures”. Patrick Foster confie que parmi les utilisateurs, l’entreprise dénombre quelques Français. “Il y a une vraie adhésion de cette clientèle. Il fait dire qu’elle connaît la marque et donc est rassurée sur le service offert”.
Depuis mai, Drivy se développe aussi à l’extérieur de Londres. “On cherche une deuxième ville où s’installer et nous pensons que ce sera Manchester. La municipalité nous a dit que si on venait s’installer, elle nous aiderait à mettre les voitures au plus près des gens”.