C’est à deux pas de la station de Finsbury Park, sur Fonthill Road, que Paul Dehan a choisi d’ouvrir, le 14 juillet dernier, son premier salon de coiffure, Le Salon 98. “C’est surtout que j’habite juste à côté”, rit-il. Ce local, il l’a trouvé par hasard, au détour d’une balade avec son chien au printemps dernier. “Quand j’ai vu que l’espace était libre, j’ai demandé au propriétaire à partir de quand il serait disponible. Il m’a répondu : ‘Tout de suite’”. Une aubaine pour ce jeune homme de 30 ans, qui avait pour projet d’ouvrir son propre salon depuis le second confinement londonien. “Quand j’ai vu ma fiche de salaire, je me suis dit que ce n’était plus possible”, confie-t-il. En chômage partiel, le manager du salon de l’enseigne de coiffure “Rush Hair” à Tottenham Court Road ne touchait en effet plus de commissions.
Poussé par son fiancé, Paul Dehan se dit alors que c’est le bon moment de sauter le pas. “J’ai profité du lockdown pour travailler sur mon business plan”, raconte le jeune homme. Pour cela, il va sur Google et fait ses recherches. “Je n’y connaissais absolument rien”, rit-il. D’ailleurs, le moteur de recherche a été son précieux allié pendant toute la construction de son projet. Mais c’est surtout son entourage qui l’a beaucoup aidé, et notamment ses clients de chez Rush Hair, la chaîne de coiffure pour laquelle travaillait encore il y a quelques mois. “Une cliente m’a conseillé un solicitor, une autre m’a créé le logo de Salon 98, j’ai trouvé aussi un électricien grâce à une autre… J’ai vraiment eu de la chance”.
De la chance, Paul Dehan en a beaucoup eu depuis son arrivée à Londres en avril 2016, reconnaît le Français. Sans travail, sans appartement, il débarque d’abord dans la capitale anglaise pour y améliorer son anglais. “Je travaillais pour Dessange à Saint-Germain des Prés, je m’y sentais super bien mais je ne pouvais jamais avoir de clients étrangers car je ne parlais pas du tout l’anglais”, se souvient le trentenaire. Du coup, il demande à prendre un congé sans solde de 6 à 8 mois pour apprendre à maîtriser la langue. Pour ce qui est du logement, “c’est un ami de Paris qui m’a mis en contact avec une de ses connaissances françaises à Londres”. Mathieu Poulain l’accueillera alors ainsi dans sa colocation et les deux garçons deviennent très vite amis. “Cela a été un véritable coup de cœur amical”. Mais un autre coup de cœur, cette fois-ci sentimental, attend Paul Dehan. “La première semaine où je suis arrivé à Londres, j’ai rencontré celui qui va devenir 5 ans plus tard mon fiancé”, confie le jeune homme le sourire aux lèvres.
Pour le travail, il va simplement utiliser Google et il tombe sur le salon de coiffure Rush Hair. “J’ai envoyé ma candidature et ils m’ont répondu tout de suite. Je pense que le fait que j’ai été assistant formateur chez Dessange m’a beaucoup avantagé”, pense Paul Dehan. C’est d’ailleurs dans cette enseigne française que le coiffeur lyonnais a commencé sa carrière. “J’ai toujours voulu faire des études de coiffure”, raconte-t-il. A la fin du collège, il explique à ses parents son projet professionnel. “Mais comme j’étais bon à l’école, mon père a insisté pour que je continue ma scolarité dans la filière générale. Pour lui, c’était “passe ton bac d’abord” dans l’idée qu’avec ce diplôme je pourrai avoir plusieurs options si la coiffure ne me convenait pas”. A 18 ans, il se dirige, toujours sur les conseils de son papa, vers un fac de nutrition dans le sport. “J’ai finalement vite réalisé que ce n’était pas du tout ce que je voulais faire”, explique le Français, qui va alors décidé de réaliser son rêve. Le CAP et le bac professionnel en poche, il est embauché dans l’école Dessange, où il acquiert toutes les techniques et l’importance du service client. “J’en ai fait mon ADN”.
Et cela a sans doute, estime-t-il, plu à la marque Rush Hair, où là aussi il va rapidement gravir les échelons. “Ils m’ont donné ma chance, alors que je ne parlais pas un mot d’anglais au départ”, raconte-t-il reconnaissant. Il participe à l’ouverture du salon de Balham, avant de rejoindre celui de Basket Street, un des plus importants de Londres. On lui confie ensuite les clés du salon de Tottenham Court Road, où il fera une rencontre déterminante. Celle de Sophie Major, “une véritable experte en couleurs”. C’est elle qu’il appellera dès qu’il mettra son projet de salon sur pied. “On se complète très bien tous les deux. Quand je l’ai contacté pour lui parler de ce que je voulais faire, elle m’a dit oui tout de suite”.
Le prêt et les clés du local en poche, les travaux ont alors pu commencer, en juin dernier, pour Le Salon 98. “J’ai choisi ce nom car non seulement je voulais donner cette touche française mais aussi parce que je souhaitais vraiment que les clients se sentent comme si je les accueillais dans mon propre salon à la maison”, justifie Paul Dehan. Moulures un peu partout pour rappeler le charme des appartements à la parisienne, miroirs posés à même le sol pour éviter de donner un côté trop “station de coiffure”, canapé cosy à l’entrée, petit bar avec chaises hautes qui fait office de comptoir pour les réservations et le paiement, tables basses, plantes… et même un petit coin pour la mascotte du salon, Elliott, le chien de Paul Dehan. “C’est vraiment un living room, une pièce à vivre. Je veux que les clients soient relax quand ils viennent”. Le Français est donc aux petits soins. Il va même proposer des croissants le samedi matin. “Sinon, on offre à chaque fois du café, du thé, du vin, du ice latte ou du prosecco pour celles et ceux qui le souhaitent”.
Aussi, le trentenaire a tenu à ce que Le Salon 98 propose des prix non genrés. “Il n’y a pas de coupe homme ou femme, seulement des coupes et coiffures sur cheveux courts, mi-longs ou longs. Car pour moi, il ne doit pas y avoir de différence de prix exorbitants entre les hommes et les femmes. C’est important de travailler sur ce genre d’injustice”. Mais aussi sur l’inclusion, ajoute-t-il. “J’ai créé un endroit dans le fond du salon pour les personnes qui ont envie d’un peu plus d’intimité. Je pense par exemple aux femmes qui portent le hijab. Au Salon 98, tout le monde est le bienvenu”.
Après un peu plus d’un mois d’ouverture, les affaires marchent plutôt bien. De quoi donner le sourire à Paul Dehan, qui espère que les choses continueront ainsi. Et si tel est le cas, le coiffeur aimerait embaucher plus de personnel d’ici au mois de décembre. “Mon rêve serait d’avoir quatre coiffeurs, une réceptionniste et un assistant. Après on verra si j’ouvrirai un deuxième salon”.