Militer et sensibiliser, fard à paupière et rouge (ou rose) à lèvres en main, c’est le pari original de Clémentine Boucher. Cette Française de 25 ans – dont six au Royaume-Uni, à Bath puis à Londres – a créé une chaîne YouTube anglophone où elle donne des conseils de beauté… tout en parlant politique et activisme.
Mascara, poudre et fond de teint contrastent avec l’affiche “rent strike” (“grève des loyers”) à l’arrière-plan. Clémentine Boucher a nommé sa chaîne “Combabe Clem”. “Combabe”, pour la conjonction de “comrade” (“camarade”) et de “babe”. Le ton est donné. Dans des vidéos allant généralement de dix à vingt minutes, la Française expose – dans un anglais parfait notamment lié à une expatriation aux Etats-Unis lorsqu’elle était enfant – les thèmes qui lui sont chers : féminisme, inégalités raciales, lutte contre la cherté du logement étudiant en Angleterre et le prix des études supérieures liés, dénonce-t-elle, au phénomène de “marchandisation de l’université” actuellement en œuvre dans le pays…. Le tout entrecoupé d’explications sur ses habitudes de soins pour la peau ou l’application de poudre pour les yeux.
Cette idée de mêler make-up et activisme, la jeune femme l’a eue il y a un peu plus d’un an et demi, pendant ses études – elle est diplômée de politique et de philosophie mais se destine à être actrice – alors qu’elle rentrait, fatiguée, d’un petit boulot dans l’hôtellerie et regardait une vidéo sur les astuces pour atténuer les cernes. “En fait, je me suis simplement demandé si, plus qu’un tuto maquillage, ce ne serait pas plus efficace de faire une vidéo sur la réduction du temps de travail”, explique-t-elle en souriant. Un concept léger sur fond de sérieux. Que la Française, elle-même assez amatrice de tutoriels de maquillage, a décidé d’adapter et de perfectionner.
“L’objectif, c’est d’amener des personnes qui ne seraient pas nécessairement intéressées par la politique à s’y sensibiliser.” Le mélange avec une vidéo proposant des conseils de beauté offre un cadre à la fois original et apaisant. “Cela instaure une atmosphère propice à la discussion. Et cela promeut, aussi, une manière de parler de politique qui n’est pas agressive.” Ce qui peut, selon la jeune femme, être assez adapté à un public féminin, qui constitue la majeure partie de son audience.
Clémentine Boucher évite de parler de “politique gouvernementale”, d’hommes ou de partis. Mais préfère aborder la politique au sens large, celle qu’elle qualifie de “politique de rue”. “En gros, les sujets dont les gens ignoraient qu’ils étaient politiques mais qui impactent directement leur vie, sourit-elle. Le fait, par exemple, que vous travailliez trop, que le loyer que vous payez est peut-être beaucoup trop cher… Même la qualité de votre vie sexuelle est un sujet politique!”
Ce faisant, elle reçoit aussi des spécialistes qu’elle interviewe tout en les maquillant (coronavirus oblige, les invités se sont ces derniers temps maquillés eux-mêmes, via webcam interposée, tout en répondant aux questions). A l’instar de Natalie Fiennes, qui sensibilise les jeunes à l’éducation sexuelle, de la journaliste Kaeshelle Rianne, venue parler notamment de racisme ou encore de l’Américaine Sarah Jaffe, qui évoque l’exploitation au travail et les moyens de s’en prémunir. Par ailleurs actrice – Clémentine Boucher ne réalise ces vidéos qu’à titre bénévole – la Française s’intéresse aussi aux conditions de travail qui entourent les artistes et comédiens au Royaume-Uni et a par exemple interviewé Paul Fleming du syndicat Equity, investi dans ce milieu.
Vivant depuis plusieurs années au Royaume-Uni, Clémentine Boucher traite bien sûr beaucoup de sujets touchant à la Grande-Bretagne ou au monde anglo-saxon (bien que les thèmes soient finalement assez universels ou communs, en tout cas, aux pays occidentaux). “Le monde social dans lequel je suis maintenant, c’est plutôt les activistes anglais. La politique française, je connais moins”, remarque-t-elle. Ce qui ne l’empêche pas de noter certaines différences entre société française et britannique. “Les Anglais ne sont, à mon sens, pas très politisés… Ils râlent pourtant autant que les Français ! Mais c’est un ras-le-bol qui va s’exprimer davantage au niveau individuel, de la famille, des amis. Pas au niveau syndical, les ‘unions’ n’ayant de toute façon plus beaucoup de pouvoir (*)…”
Clémentine Boucher milite depuis qu’elle a 18 ans. Elle avait notamment rejoint le mouvement étudiant qui se bat pour faire baisser les frais universitaires, voire parvenir à une éducation supérieure gratuite en Angleterre. “On a organisé des manifestations, occupé des sites…” A Bath, en 2018, la jeune femme a aussi participé à une action en soutien aux membres du personnel de l’université qui défendaient leur retraite. Pour elle, sensibiliser les autres à la politique est essentiel car cela permet d’acquérir une certaine latitude sur les choses. Et, finalement, de “prendre un peu plus sa vie en main, son futur.”
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(*) le taux de syndicalisation chez les travailleurs est pourtant plus élevé au Royaume-Uni qu’en France : 23,5% en 2019, contre 11%, en 2016, pour l’Hexagone (derniers chiffres disponibles)