20 ans ce n’est pas rien. Stéphane Cusset le sait, lui qui vient de célébrer les 20 ans de son épicerie fine “L’eau à La Bouche”. Depuis 2004, il fait découvrir la culture gastronomique française aux Londoniens grâce à son deli situé à Hackney, au nord-est de Londres. Du succès immédiat dans les années 2000 au Brexit, le restaurateur tient toujours sur ses deux pieds afin de faire perdurer son business.
Stéphane Cusset habite à Londres depuis maintenant 29 ans, après avoir suivi une Anglaise avec qui il partageait une histoire d’amour. Plongeur à Lyon, il décide de tout plaquer pour s’installer dans la capitale anglaise. Sans téléphone mobile – l’époque n’était pas encore à l’heure des smartphones -, il achète Lott, magazine de petites annonces, afin de trouver un emploi. En ayant seulement quelques bases en anglais, il se débrouille et obtient son premier poste à Londres en tant que plongeur à The Albert, un pub situé à Victoria. “En tant que Français, être dans une cuisine était la chose la plus facile à faire à l’époque”, raconte-t-il.
Quelques années plus tard, il décroche un job dans une épicerie fine à Stoke Newington, point de départ de son projet. De fil en aiguille, il se retrouve manager de la boutique. Un jour, le patron lui fait part de son désir de vendre son affaire. Stéphane Cusset y voit alors l’opportunité d’avoir son propre business. Il discute alors avec des banques et se rend compte que ce projet est faisable.
La fin des années 90 était une très belle époque durant le mandat de Tony Blair, Stéphane Cusset qualifie même cette période “d’euphorique”. Il se rendait déjà à Rungis pour importer du fromage français en Angleterre et travaillait avec des grossistes parisiens pour ramener des produits français dans la capitale anglaise. La reprise du delicatessen, où il travaillait, ne se fera finalement pas, mais Stéphane Cusset ne lâche pas pour autant son projet.
Ayant toujours habité à Hackney, il se penche alors sur Broadway Market. “En 2003, la zone était un peu une ‘ghost town’”, avoue le restaurateur. Il ne s’y passait pas grand chose mais le Français y a vu du potentiel et décidait donc d’ouvrir son deli en 2004. Il était dans un local plus petit que celui d’aujourd’hui, au numéro 49. Lorsqu’il a ouvert sa boutique, Broadway Market a repris de l’ampleur grâce à un groupe d’habitants du quartier et des commerçants. Il obtient directement un stand de fromages lors de la réouverture du marché en mai 2004.
Le nom de son épicerie fine lui vient plutôt naturellement. “C’était assez bête, je regardais dans ma collection de disques des noms qui pouvaient fonctionner”, raconte le Français. Il y trouve un chanson de Serge Gainsbourg, L’eau à la bouche. En plus d’avoir un côté français, ce terme possédait aussi un sens culinaire. Toutefois, le nom étant difficile à prononcer pour les non francophones, ces derniers l’ont alors baptisé “La Bouche”. “Je ne me voyais pas ma boutique porter autre chose qu’un nom français, surtout à l’époque. Car l’idée était de faire passer un peu de ma culture lyonnaise et ardéchoise aux Britanniques”.
Lorsqu’il ouvre sa boutique, Stéphane Cusset imagine une vie plutôt calme, mais sera vite surpris, la clientèle étant au rendez-vous rapidement. “Les gens étaient très contents de voir une épicerie proposant du fromage et du vin français et voulaient ainsi participer à son développement”.
Il déménage dans de nouveaux locaux en 2008 – les mêmes qu’aujourd’hui -, qui lui permettent de proposer un service à table, contrairement à la précédente boutique qui ne faisait que de la vente à emporter.
Les affaires fonctionnaient plutôt bien… jusqu’au Brexit. Un choc pour le Français, ayant des enfants avec la double-nationalité, et n’ayant lui-même jamais pensé devoir demander sa citoyenneté britannique. La sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne impacte non seulement sa vie personnelle mais surtout professionnelle. La boutique était en effet composée d’un personnel et de clients majoritairement européens. “Les deux premières années après le référendum, cela allait encore car rien ne bougeait. Puis lorsque le Covid est arrivé, là, ça a été compliqué”, raconte-t-il.
À cette époque, de nombreux Européens ont alors décidé de rentrer dans leurs pays d’origine, car, selon Stéphane Cusset, ils ne se sentaient plus chez eux en Angleterre. En plus du Brexit, la pandémie est venue compliquée un peu plus la gestion du personnel, avec des candidats souhaitant plutôt travailler à temps partiel, ajoute le restaurateur. “Les Européens ont été remplacés par les Australiens et Canadiens”. Parfois loin de maîtriser les connaissances gastronomiques françaises, qui sont à la base de son concept d’épicerie fine.
A ce contexte, s’est ajoutée l’inflation due à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Français maintient malgré tout son affaire afin de faire profiter les Londoniens de ses produits français de qualité. “Ça tourne mais ça reste fragile. Il suffit d’une augmentation de loyer pour vous mettre en difficulté, nous sommes donc dépendants de nos propriétaires”, explique Stéphane Cusset, généralisant son cas à l’ensemble du secteur de la restauration.
Parce que les temps ont bien changé depuis l’ouverture en 2004, le Français sait qu’il faut adapter son entreprise pour faire face à ces nouveaux défis. Parmi les idées qui lui sont venues, ouvrir en soirée avec un concept de bar à vin avec charcuterie et fromage, mais un projet qui reste compliqué à mettre en place sur le plan logistique, l’épicerie étant déjà ouverte 7 jours sur 7. En attendant, Stéphane Cusset a réduit la gamme de produits (notamment les fromages) et se fournit maintenant directement auprès d’un distributeur français déjà installé en Angleterre.
“La Bouche” est devenue une affaire familiale depuis que sa deuxième fille Olive est devenue cheffe du deli. Le restaurateur aimerait passer le flambeau pour apporter un œil nouveau sur la boutique. “Les commerces, comme un delicatessen, ne sont maintenant plus viables car nécessitant trop de personnel et de temps. Les gens aiment venir voir les fromages, mais quand on est en compétition avec des gens qui achètent en ligne, cela devient plus compliqué”, raconte-t-il.
Le Français n’a pas par ailleurs pour projet de rouvrir une autre affaire mais peut-être que sa fille le fera. “Je me vois retourner habiter en France. J’aimerais bien aller en Ardèche, étant originaire du côté de ma mère, et vivre un changement radical en vivant à la campagne”, espère Stéphane Cusset. Un rêve qui ne serait possible que s’il gagnait à la loterie, ajoute-t-il en plaisantant.