Des vidéos de soutien de la Première ministre Nicola Sturgeon, des prises de position politique des députés écossais au Parlement, des marches pour réclamer l’indépendance… Dans le nord du royaume, l’ambiance est bien différente que celle à Londres ou dans le reste de l’Angleterre plus globalement. S’il est vrai que l’on s’intéresse souvent au ressenti de la communauté française installée dans la capitale anglaise, qu’en est-il des Français vivant en Ecosse ? Comment vivent-ils le contexte du Brexit ?
Tous sont unanimes : l’Ecosse est une terre à part dans le Royaume-Uni. Les Français interrogés qui ont choisi de vivre dans cette région du nord de l’île ne le regrettent pas un instant. C’est le cas par exemple de Sophie Maulevrier. “Quand on est arrivé à Edimbourg, on a tout de suite senti un accueil chaleureux”, confirme celle qui y est installée depuis six ans. “Avec mon compagnon, on souhaitait vivre dans un pays anglophone après avoir passé quatre ans à Barcelone”, explique la Française. Le Royaume-Uni leur semblait ainsi un bon port d’attache, mais pas question de vivre à Londres. Cela tombe bien, son partenaire a décroché un job à Edimbourg, “qui présente le meilleur des deux mondes”. “Sa taille offre ce que j’aime dans une grande ville, et en même temps on peut tout y faire à pied”. Dès leur installation, les choses ont été faciles. “Les gens sont toujours là pour vous aider. Il faut savoir que la communauté française est très bien reçue d’une manière générale, c’est certainement dû aux liens historiques entre les deux pays”.
Au lendemain du référendum de juin 2016, les Ecossais se sont d’ailleurs montrés “désolés”. “Je me souviens que le jour du vote, j’avais dû partir pour deux jours à Bruxelles pour un voyage d’affaires. Quand je suis arrivée à l’aéroport, les gens se sont excusés du résultat. Je crois que les Ecossais ont pris un gros coup de massue car personne n’aurait cru à ce résultat”. Sophie Maulevrier reconnaît que l’ambiance est bien meilleure en Ecosse qu’à Londres. “Il n’y a pas de problème d’agressivité ou d’agressions, comme m’en ont fait part des amis installés dans la capitale anglaise”. Elle dit aussi se sentir “privilégiée”. “Je ne suis pas sûre que je serais restée en Angleterre après le référendum. Alors qu’ici, je ne me suis jamais posée la question”.
La Française se félicite d’ailleurs du soutien de la Première ministre Nicola Sturgeon. “Cela nous rassure. On sait que l’Ecosse a besoin des Européens pour faire fonctionner ses entreprises, donc on se doute bien qu’elle fera tout pour que l’on puisse rester, pour protéger les start-ups”. Un atout pour cette jeune cheffe d’entreprise, qui a créé l’agence de voyages Oohmyworld. Mais tout n’est pas rose pour autant. “Le gouvernement écossais a un pouvoir limité et demeure tributaire de Westminster. On est quand même soumis à un stress permanent, je voudrais par exemple embaucher une personne d’ici janvier, mais c’est en suspens car je ne sais pas vraiment ce qu’il va se passer d’ici là”.
Inquiet, Jérémie Fernandes l’est également. Le Français, qui vit à Aberdeen depuis 5 ans, confirme que “malgré les discours, certes encourageants, de la Première ministre écossaise, on sait tous que le gouvernement ici n’a aucun levier législatif sur l’immigration. Le pouvoir est à Londres”. C’est pourquoi il a demandé son settled status “pour se protéger”. Il n’est donc pas vraiment confiant pour la suite, malgré les prochaines élections générales auxquelles se présente d’ailleurs sa compagne sous l’étiquette du SNP (le Français est quant à lui un des responsables du fonctionnement interne du parti national écossais, ndlr). “Les conservateurs vont gagner, c’est certain et il y aura seulement entre 56 et 59 députés au final. Il va donc y avoir de la tension et une séparation claire avec une Angleterre se droitisant de plus en plus”. La mobilisation populaire des derniers jours pour réclamer l’indépendance l’a d’ailleurs encore montré, selon Jérémie Fernandes. “Beaucoup de ceux qui étaient opposés à l’idée en 2014 ont aujourd’hui changé d’avis”.
C’est le cas de Corinne Cervetti, Française installée à Edimbourg depuis 1990. S’il y a quelques années, elle était “mitigée” à l’idée d’une indépendance de l’Ecosse, elle a fini par changer d’avis avec le contexte tendu du moment. “Quoiqu’il arrive lors des prochaines élections, l’Ecosse restera sous-représentée et quand le pays voudra s’exprimer, on ne l’écoutera pas. J’estime cela comme un vrai manque de respect”. Amélie Tassin reconnaît elle aussi que certains Français sont devenus pro-indépendance, bien qu’elle ne l’ait jamais été. Celle qui s’est installée à Edimbourg depuis près de deux ans estime que “quand une province devient indépendante, ce n’est jamais positif dans l’histoire d’un pays”. “Ce n’est pas quelque chose dont j’ai envie pour le Royaume-Uni, même si je comprends très bien tout cela à cause du Brexit”.
Venue en Ecosse pour apprendre l’anglais, elle s’y est sentie rapidement chez elle. Elle a donc décidé de rester et a même créé depuis un festival, Women in Beer. “C’était évident pour moi de m’y installer puisque je travaille dans le domaine de l’alcool. En termes de réseaux, le pays est très riche. Sans compter que les gens sont très accueillants, la ville est magnifique, plus ouverte, plus inclusive”. Amélie Tassin apprécie d’ailleurs le fait qu’elle se sente “protégée”, c’est pourquoi elle a remis à plus tard son projet de déménagement vers Newcastle ou Manchester, en attendant que “l’orage passe”.
Pour Corinne Cervetti, c’est également “une consolation de vivre en Ecosse”. Mariée à un Britannique, elle a vécu le résultat du référendum comme une blessure. “Cela a été un choc, j’ai eu cette impression que la Grande-Bretagne avait changé d’un coup. J’ai pensé : ‘est-ce que je me serais trompée sur la personnalité des Britanniques ?’. Cela me semblait tellement impossible”, raconte l’ancienne professeure. Par peur d’un nouveau scandale Windrush, elle a même tout de suite scanné le document prouvant sa naturalisation britannique.
Arrivé juste après le premier référendum sur l’indépendance de 2014 et expérimentant aujourd’hui la poussée d’un nouveau vote dès 2020, Sylvain (qui n’a pas souhaité donner son nom, ndlr) estime que, même si la sortie de l’Ecosse du Royaume-Uni est liée aux conditions du divorce entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne, la séparation des deux territoires britanniques prendra du temps. “Re-rentrer dans l’UE sera un processus long et compliqué pour l’Ecosse, il faudra par exemple changer de monnaie et plus largement le système globalement de la région. Un peu comme l’avait fait l’Irlande”.
Sa seule inquiétude autour du Brexit serait le devenir de ses cotisations retraite. “S’il y a une sortie du Royaume-Uni sans accord, alors qu’adviendra-t-il de nos années travaillées ici ? Seront-elles toujours comptabilisées ?”, se demande le Français. Une mauvaise nouvelle supplémentaire, après sa perte de salaire de 20% à cause de la chute de la livre sterling. “Si tout s’effondre, alors cela va vraiment poser problème. Je suis inquiet pour moi, mais aussi et surtout pour mes amis qui ont des jobs plus précaires”. Protégé par son settled status, appréciant la vie à Edimbourg, passionné par son travail dans une entreprise spécialisée dans les jeux vidéos, Sylvain se console avec l’accueil “chaleureux” d’un territoire, d’une ville et d’une population, qui lui ont toujours donné, à lui aussi, le sentiment d’être le bienvenu.