La question est d’actualité. Avec la Covid, les universités se voient obligées de proposer des cours en ligne à des étudiants qui s’interrogent, eux, sur la pertinence de continuer à payer un service, jugé diminué, au tarif habituel. Car à plusieurs milliers de livres sterling l’année, les frais de scolarité (“tuition fees”) des universités anglaises sont tout sauf donnés. Les choses, toutefois, n’ont pas toujours été ainsi. La fac anglaise a même été complètement gratuite durant un temps. Mais que s’est-il donc passé ?
Un étudiant anglais peut débourser jusqu’à £9.250 par an en licence (prix plafond fixé par le gouvernement malheureusement pratiqué par la quasi-totalité des universités en Angleterre). Un montant particulièrement salé. Le premier cycle universitaire anglais s’avère d’ailleurs être le plus cher des pays de l’OCDE (en 2016-2017), dépassant celui des Etats-Unis. Les jeunes n’ont donc d’autre choix, pour leurs études, que de recourir à des prêts gouvernementaux qu’ils passent de nombreuses années à rembourser (ceux-ci sont toutefois assez faciles à obtenir et ne sont remboursables qu’à partir du moment où l’étudiant, devenu jeune actif, gagne plus de £26.000 par an).
Un système qui peut bien sûr surprendre les Français, habitués à des tarifs bien moindres. Le phénomène est toutefois relativement récent en Angleterre, les frais maximum d’université n’ayant atteint les 9.000 livres annuelles, en licence, qu’en 2012. Avant, ils étaient plafonnés à £3.000. Et entre les années 1960 et 1990, il ne fallait même pas vraiment payer pour étudier à l’université… Comment expliquer ce changement drastique ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Etat s’est longtemps beaucoup investi dans le financement de l’éducation supérieure au Royaume-Uni, permettant aux frais de scolarité d’être maintenus à un coût relativement bas. Y compris avant 1914, où ceux-ci représentaient souvent bien moins de la moitié du revenu des universités. Le phénomène s’amplifie après le second conflit mondial où, comme dans d’autres pays européens, les universités britanniques abandonnent leur logique élitiste pour se tourner vers une “éducation supérieure de masse”. A partir de 1962, l’accès aux études devient quasi gratuit. “Les frais d’université étaient payés par l’Etat pour chaque étudiant entrant en licence (basé, toutefois, sur le revenu parental jusqu’en 1977), indique Robert Anderson, professeur émérite d’histoire à l’Université d’Edimbourg qui a écrit sur le sujet. Les étudiants pouvaient aussi bénéficier de bourses pour les frais de la vie quotidienne.”
Des frais de scolarité payants sont réintroduits en 1998 par le gouvernement travailliste de Tony Blair. Les étudiants doivent désormais débourser £1.000, puis £3.000 en 2006 (ils ont néanmoins la possibilité d’emprunter et de rembourser par la suite). Toutefois, “l’idée était de constituer un supplément au financement étatique, pas de s’y substituer”, précise Robert Anderson. Pour l’historien, cette décision s’explique notamment par le rapide développement de l’éducation supérieure dans les années 1990, qui finit par revenir cher à l’Etat mais aussi par la volonté des gouvernements Blair et Brown de voir les services publics, qu’ils avaient contribué à étendre, dirigés plus efficacement. Quitte à introduire davantage de compétition, de logiques mercantiles. L’influence du modèle nord-américain – les universités américaines sont réputées être les meilleures au monde mais dépendent davantage de financements privés – commence par ailleurs à se faire sentir.
La logique mercantile est poussée encore plus loin avec le gouvernement de coalition (conservateurs / libéraux démocrates) mené par David Cameron, au pouvoir à partir de 2010. Les frais maximum autorisés sont portés à £9.000, en licence, en 2012. L’idée est ici bien différente de l’approche travailliste : l’argent des étudiants n’est plus vu comme un simple “supplément” aux sommes versées par l’Etat pour régler le coût de l’enseignement mais bien comme un substitut. Et le fait de percevoir ces étudiants dès lors davantage comme des “clients” – “et non plus comme des citoyens exerçant un droit social”, comme l’explique Robert Anderson– contribue encore un peu plus à remodeler le système. En 2017, les frais maximum sont une nouvelle fois augmentés et s’élèvent maintenant à £9.250.
Arguant notamment que certaines universités anglaises figurent parmi les meilleures au monde (Cambridge, Oxford et l’University College London sont dans le top 20 du dernier classement de Shanghai, ndlr), le département de l’Education défendait, en 2017, sa politique auprès du journal The Independent : “Nos réformes vont tirer la qualité de l’enseignement dans les universités vers le haut (…) pour que les étudiants aient le meilleur retour sur investissement possible.”
Un avis que ne partage guère la confédération étudiante NUS (National Union of Students) qui dénonce la baisse des financements publics, responsable des prix pratiqués par les universités. L’organisation estime que la “marchandisation” du système n’a pas eu d’effet significatif sur la qualité de l’éducation et que l’endettement qui en découle peut repousser les étudiants des classes populaires. Pour Robert Anderson, la solution serait surtout à trouver dans un meilleur équilibre entre “tuition fees” et soutien étatique aux universités.
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(*) Nous parlons ici davantage de l’Angleterre que des autres “nations” du Royaume-Uni, que sont l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. Car depuis le processus de “dévolution” des pouvoirs à la fin des années 1990 – et l’établissement (ou rétablissement) d’un parlement en Ecosse et d’assemblées nationales en Irlande du Nord et au Pays de Galles – les différences politiques autour de l’éducation supérieure sont assez marquées entre les nations. Les frais de scolarité sont par exemple gratuits, en licence, en Ecosse pour les locaux (manière aussi, selon l’historien Robert Anderson, de marquer un attachement à une certaine approche “démocratique” de l’éducation, en particulier par rapport aux Anglais qui auraient développé une logique plus mercantile).