Si certains Français de confession musulmane ont déjà sauté le pas de déménager au Royaume-Uni depuis quelques années, d’autres viennent d’arriver ou expriment leur souhait de quitter l’Hexagone pour fuir, disent-ils, un climat “délétère” à l’égard de leur religion. Ce sentiment s’est exacerbé, notamment après les différents attentats terroristes, mais aussi plus récemment suite au discours début octobre d’Emmanuel Macron. Le président a en effet annoncé la préparation d’une loi contre le “séparatisme”, visant, selon certains, seulement les musulmans.
Samy, qui est arrivé à Londres en juin dernier avec sa famille, est “terrifié” face à ce qui se passe actuellement de l’autre côté de la Manche. “Avant, on entendait déjà beaucoup de choses sur les musulmans, mais jamais aucun président n’avait osé sortir un arsenal législatif. C’est maintenant que cela devient dangereux”, commente le trentenaire, “si une fracture avait déjà été créée, avec le temps elle s’accentue. En France, on est passé de : étiqueter les gens selon leur origine à les étiqueter selon leur religion”.
C’est donc le climat qui l’a poussé à sauter le pas et traverser la Manche, bien que cette ambiance ne soit pas nouvelle. Celui qui a grandi en Seine Saint-Denis – il y a même passé une grande partie de sa vie – est diplômé en DUT mesures physiques, a vécu le racisme lié à ses origines algérienne. “En France, il y a un racisme culturel, lié au passé colonialiste qui n’est pas assumé”, estime Samy. Il sait que ce rejet de l’autre n’est pas exclusivement un mal français, “mais dans certains pays, cela ne bloque pas les chances des personnes de réussir”, analyse-t-il. Le jeune homme prend pour exemple sa femme. “Elle porte le voile et ici elle n’a pas eu de problème à trouver un travail. D’ailleurs tout se passe bien depuis qu’on vit ici et c’est un soulagement pour nos enfants âgés de 4 et 6 ans à qui on souhaitait offrir une perspective différente”.
Le déclic de venir vivre à Londres est né de l’autre côté de… l’Atlantique. En 2009, alors qu’il voyage au Canada, il passe les douanes où parmi les agents il remarque un homme, “visiblement musulman”, avec une longue barbe. “Il y avait aussi une hôtesse de l’air qui portait un hijab (le voile, ndlr)”, complète Samy, qui dit alors avoir été sous le choc. “J’ai découvert que ce qui était suspicieux ou interdit en France ne l’était pas dans d’autres pays occidentaux”. C’est à ce moment-là qu’il décide qu’il ne restera pas vivre sur sa terre natale. “Le processus a été long car il faut préparer son départ”, confirme le Français. A Londres, il y est dorénavant plus heureux, même si à ses yeux, il reste très attaché à son pays. D’ailleurs, le reste de sa famille continue d’y vivre et il a même inscrit ses enfants dans une école française à Londres.
Sheyma vit à Londres depuis un peu plus de 8 ans maintenant. “Mon mari, qui travaille dans la finance, a eu une opportunité de travail ici”, confie la jeune femme. Si au départ, elle n’était pas convaincue par l’idée de vivre dans la capitale anglaise – ils avaient demandé une clause de retour en France au bout de deux ans au cas où -, aujourd’hui “il est inconcevable” pour elle de retourner de l’autre côté de la Manche. “La première fois que je suis arrivée à Londres, j’ai été choquée de voir, qu’à 2h30 de Paris, il y avait des conductrices de bus ou des policières voilées sans que cela ne pose de problème à personne”, commente la mère de trois enfants.
Cependant, la Française n’est pas “naïve”. “Je sais qu’il y a du racisme même en Angleterre, mais ici il est beaucoup moins institutionnel. On remarque aussi vite que les gens s’adaptent aux autres, qu’ils se respectent”. Pour preuve, dit-elle, au sein de l’école de ses enfants, la cantine sert des repas halal. “A la rentrée, on demande aux parents la religion ou le régime spécial pour leurs enfants”. Une inclusion bienvenue pour Sheyma bien qu’elle n’ait jamais milité pour la mise en place de plats halal dans les établissements où étaient inscrits ses enfants lorsqu’elle vivait encore en France. “On sait aussi s’adapter contrairement à ce que pensent certains”, lâche-t-elle.
Pareil en ce qui concerne les spectacles de Noël. “Chaque année, ici, il y a un spectacle sur la nativité. Mes enfants participent même si ce n’est pas leur religion. On n’a aucun problème avec ça et on n’a aucune revendication sur quoique ce soit, comme c’était le cas quand on était en France”. C’est ce vivre-ensemble et cette diversité propre à Londres que la Française chérit tant et qui ne lui fait regretter en aucun cas sa vie de ce côté de la Manche. “Ici on se sent plus libre”. Sheyma a d’ailleurs fait le choix de porter le voile une fois arrivée dans la capitale anglaise. Et cela n’a jamais posé problème pour accompagner les sorties scolaires avec ses enfants. D’aucuns se souviennent encore de l’épisode d’une maman avec son fils qui a été interpellé verbalement par un élu Rassemblement National pendant une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche Comté. Un traumatisme pour beaucoup de Françaises musulmanes. “En France, on pense que le voile crée du séparatisme, sauf que si on souhaite soit disant libérer les femmes on devrait les autoriser à étudier, à aller à la plage ou travailler. Mais non, au contraire, elles sont interdites et boycottées partout”, regrette cette ancienne assistante de direction.
D’ailleurs, dès qu’elle remet un pied en France, elle trouve des stratagèmes pour éviter de montrer qu’elle porte le voile, même si elle l’assume un peu plus maintenant et qu’elle n’a presque plus “la boule au ventre” quand elle rentre. “Il y a encore des regards lourds. Je suis dégoûtée de ce qui se passe actuellement, de ce climat d’islamophobie. Je suis Normande, fière d’être française, mais là c’est du grand n’importe quoi”.
Elle comprend donc sa sœur qui a fait le choix de venir la rejoindre à Londres. “Après l’attentat de Nice en juillet 2016 et de tout ce qui a été dit et les amalgames faits, elle a décidé de partir trois ans à Casablanca au Maroc avec son mari. C’était un départ dans la précipitation, mais elle en avait besoin”. Les enfants du couple ont tout de suite été scolarisés dans une école anglaise en vue d’une expatriation vers l’Angleterre. En août 2018, la famille est donc arrivée dans la capitale, où elle se sent déjà beaucoup plus incluse. “La France ne se rend pas compte de tous les talents qu’elle est en train de perdre”, regrette Sheyma.
Laëtitia, elle, est convertie et vit à Londres. Né d’un papa français et d’une mère italienne, la jeune femme a subi les insultes car elle a fait le choix de porter le voile. Elle pense à ces femmes qui se font “maltraitées” par exemple dans les hôpitaux français parce qu’elles sont voilées. “Il y a clairement un problème, je le ressens très bien parce que j’ai une “tête de française” avec un nom de française. Quand je passe un coup de fil, pas de problème mais quand on me voit arriver, les gens se braquent. Alors que ça, en Angleterre, je l’ai jamais ressenti, que ce soit en consultant un médecin, en allant à l’hôpital ou pour chercher du boulot … Ici, ils ne sont même pas étonnés de ma religion alors qu’en France les gens voulaient se rassurer eux-mêmes en me disant : ‘mais Laetitia, t’es Kabyle ? C’est pour ça que t’es musulmane, non ?’”.
Certains ont fait le choix de venir à Londres non pas pour être libre de porter le voile ou de pratiquer leur religion, mais parce que “le climat est tellement lourd” qu’il en devient “invivable”. C’est le cas de Mélissa. Cette jeune femme de 25 ans est née dans une famille musulmane mais ne pratique pas vraiment. “Je fais de temps à autre, quand l’envie m’en prend, le Ramadan et je ne mange pas de porc, mais plus parce que c’est devenu quelque chose de culturel plus que cultuel”.
Elle jure cependant que ses parents ne l’ont jamais obligée à quoique ce soit. “Eux, comme mon frère et ma sœur, sont pratiquants pour le coup, mais ils m’ont toujours laissé le choix de faire ce que je voulais. Et croyez-moi, je ne suis pas une exception, il y en a beaucoup des familles comme ça”. Donc c’est en toute liberté qu’elle pratique comme elle entend, et ce, depuis des années, son islam. “Sauf qu’en France, on n’a jamais cessé de me ramener à ça. Et j’en avais marre de devoir tous les jours me justifier sur ma religion, que certains, ignorants et même racistes, faisaient des tonnes d’amalgames quand cela les arrangeait. J’ai surtout constaté une montée de ce genre de comportements après les attentats de 2012 et tous les discours politiques qui s’en sont suivis”.
“L’histoire des frites à la cantine avec Sarkozy” (lors de la campagne présidentielle de 2012, ndlr) avait déjà eu du mal à passer pour Mélissa, mais c’est la loi sur le séparatisme, annoncée par le président de la République, qui l’a convaincue de quitter la France. “Franchement, c’est une honte ! Quand je pense que j’ai voté pour lui il y a trois ans, je le regrette chaque jour. Macron, qui se présentait comme quelqu’un de moderne et ouvert, est finalement en train de faire le jeu du Front National et de monter les gens les uns contre les autres. Tout ça, pour se faire réélire”, se désole la jeune femme. Avant d’ajouter, “le pire, c’est non seulement qu’il fasse un tel discours avec cette volonté de créer des lois qui vont contre l’idée même de ce qu’est la France, mais le pire c’est ce qu’a pu dire Darmanin (ministre de l’Intérieur, ndlr). Lui, il est à vomir. Quand je l’ai entendu parler de rayons communautaristes dans les supermarchés, je me suis dit : “mais mon pays est tombé sur la tête?”. Le pire, selon elle, c’est que si elle essaie de débattre ou parfois de se “plaindre de la situation actuelle d’islamophobie, car il faut appeler un chat un chat”, on lui sort “la carte de la victimisation ou du ‘si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à partir'”.
C’est donc ce qu’elle a choisi de faire en venant à Londres début novembre, elle qui cherche aujourd’hui “la quiétude”. “J’ai des amis qui sont installés ici depuis quelques années, et ils m’ont conseillé de venir. C’était un choix idéal, car ce n’est pas loin de la France et donc de ma famille. En plus, ici, qu’on soit musulman, catholique, protestant ou athée, les gens s’en foutent. Et ça fait du bien d’être dans un tel environnement, de se sentir enfin libérée de tout ça”. Pense-t-elle rentrer un jour en France ? “Franchement, je ne sais pas. Vu que les choses ne cessent de se dégrader, je préfère pour le moment imaginer mon avenir ici. Certes, il y a le Brexit, la vie coûte cher, il y a la Covid, mais au moins il n’y a pas toute cette ambiance d’islamophobie”, confie la jeune femme, qui travaille dans le marketing.
Les personnes n’ont pas souhaité donner leur nom de famille pour conserver l’anonymat