“Cette histoire est complètement aberrante”. Philippe* se souviendra de son dernier vol Easyjet entre Londres Gatwick et l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Un vol qu’il n’a jamais failli prendre. Le Français, comme une trentaine d’autres de ses compatriotes, se sont en effet vu refuser l’embarquement à la dernière minute vendredi 1er janvier dernier. “Au moment où on descendait les escaliers pour aller vers l’avion, une responsable de compagnie aérienne est arrivée en courant et a demandé à tous les détenteurs d’un passeport français de la suivre”, raconte le chef d’entreprise.
Le groupe revient alors sur ses pas en salle d’embarquement après qu’on lui a expliqué devoir remplir une ”dernière formalité” pour le voyage. “Personne ne nous a précisé de quoi il s’agissait quand on marchait. Puis quand on est arrivé devant le comptoir, on vous a dit que les autorités suisses venaient de décider la fermeture des frontières du pays aux ressortissants français”, détaille Philippe. Surprenant, se disent alors les voyageurs, qui se ruent sur leur téléphone pour vérifier l’information. “On n’a pas du tout compris ce qui se passait. On n’avait eu aucune information allant dans ce sens avant de prendre notre vol. Sans compter qu’on est tous passé par l’enregistrement, la sécurité, les contrôles, et personne ne nous a rien dit”.
Et puis, lance le chef d’entreprise travaillant entre l’Angleterre et la France, pour quelles raisons la Suisse déciderait-elle à la dernière minute de bloquer uniquement les voyageurs français ? “Même si cela avait le cas”, relance-t-il, “l’aéroport de Bâle-Mulhouse se trouve sur le sol français, dans la commune de Saint-Louis. Je sais de quoi je parle, j’ai passé toute mon enfance à quelques kilomètres de là”. En effet, il existe deux sorties : une côté français, une côté suisse. “Donc, aucun problème pour qu’on ne passe pas par le sol suisse”, souligne Philippe. Ce que confirme l’aéroport. “Oui, nous sommes situés sur le sol français”, explique l’équipe média, précisant que l’aéroport dispose depuis 1949 d’un statut particulier fondé sur une convention de partenariat entre l’Etat français et helvétique depuis 1949.
Pendant plus d’une heure, une discussion tendue, voire “musclée”, s’engage alorsavec le personnel de la compagnie aérienne, les Français tentant de comprendre ce qui se passe. “Je voyage souvent entre Londres et Mulhouse, c’était la première fois que je vivais une telle expérience”, confie Philippe. Easyjet leur répond que seules les Suisses sont autorisés à monter dans l’avion. Mais les passagers manifestent de plus en plus leur colère. “On a menacé de faire intervenir la sécurité et de nous faire sortir de l’aéroport”. Certains contactent alors l’Ambassade de France à Londres, qui leur répond que les frontières sont toujours restées ouvertes entre les deux pays. “De mon côté, j’ai appelé la police aux frontières à Bâle, qui m’ont confirmé également que la Suisse n’avait pas fermé ses frontières”, continue Philippe, “j’ai aussi ré-expliqué au personnel d’Easyjet que l’aéroport de Bâle était bien sur le sol français”. Mais rien n’y fait. “C’était une discussion absurde. On leur a dit qu’on ne quitterait pas les lieux, qu’on les poursuivrait en justice”. Certains passagers, parlant peu l’anglais et qui étaient en transit à Londres, commencent alors à paniquer. “Ils disaient qu’ils ne savaient pas où aller s’ils ne pouvaient pas rentrer en France. Ils étaient très inquiets”.
Après la menace de poursuites judiciaires, selon Philippe, Easyjet a finalement cédé et leur a autorisé à embarquer. “On est partis avec une heure de retard. Toute cette histoire est inadmissible, mais en discutant avec d’autres passagers, je me suis rendu compte que ce n’était pas la première fois que cela se passait”.
En effet, en mars dernier, une jeune Française, de retour d’un séjour linguistique, a fait partie d’un groupe à qui on a refusé l’accès à l’avion pour les mêmes raisons : la fermeture des frontières suisses à la France. “Au moment de l’embarquement, on lui a dit, à elle mais aussi à des passagers allemands, qu’ils n’avaient pas le droit de monter”, raconte Judith*, la mère de la jeune fille. L’inquiétude est grande pour sa fille. “C’était lors du premier confinement, les trains avaient été presque tous annulés, les hôtels fermés. Elle s’est sentie abandonnée et sans bagage, puisqu’il avait été déjà mis en soute”, continue la maman, “Easyjet ne leur a donné aucune collation, apporté aucune aide ou assistance”. Les parents de la jeune fille lui réserve alors un billet pour Paris, où ils viendront la récupérer après 10 heures de route depuis l’Est de la France. “On était révoltés, j’ai envoyé deux lettres en recommandé à Easyjet sans réponse”, s’agace encore Judith.
Pour Philippe, qui a contacté la compagnie à son arrivée en France, la réponse a été que l’équipe était “désolée de cette expérience”, que l’incident avait été “enregistré” mais “comme le vol avait eu lieu, ils ne donneront ni suite ni compensation”. “Le mail s’est terminé en disant qu’ils seraient ravis de me revoir à bord de leurs avions”, ironise le Français. Le manque de reconnaissance de cette erreur, c’est ce qui l’agace le plus. “On a tous payé notre billet, passé un test PCR pour rentrer. On a rempli toutes les formalités et on se fait refuser l’accès sans raison réelle. Toute cette situation est difficile à comprendre”.
A l’aéroport de Bâle, les équipes ont eu vent de cet incident après coup, mais d’une manière générale la structure n’aurait eu de toute façon aucun levier d’action. “Tout ce que nous pouvons faire, c’est inviter les voyageurs à se rendre sur notre site internet et surtout sur les sites gouvernementaux avant tout voyage pour vérifier les dernières informations”. Contactée par nos soins, la compagnie aérienne a expliqué : “EasyJet peut confirmer qu’un petit nombre de passagers français s’est vu refuser l’embarquement sur un vol Londres Gatwick – Bâle le 1er janvier 2021, conformément aux indications des autorités suisses. Seuls les citoyens suisses ou les titulaires d’un permis de séjour suisse peuvent voyager sur un vol easyJet du Royaume-Uni à Bâle (secteurs français et suisse), Genève et Zurich”.
De son côté, l’Ambassade de Suisse au Royaume-Uni a confié qu’effectivement “après avoir suspendu le trafic aérien entre le Royaume-Uni et le Suisse le 20 décembre 2020, le 23 décembre la Suisse a communiqué un assouplissement qui permet aux personnes appartenant à l’une des catégories suivantes d’être transportées en tant que passagers du Royaume-Uni à la Suisse : les citoyens suisses (y compris les citoyens du Liechtenstein), les titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa D délivré par la Suisse et les titulaires d’un ‘laissez-passer’ qui remplissent les conditions d’entrée précédemment en vigueur”.
Cela signifie-t-il que les Français ne peuvent plus emprunter cet aéroport ? Non, répond l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) de Suisse, qui “examine actuellement les dispositions en vigueur à la lumière du statut binational de l’Euroairport, des compétences territoriales et en tenant compte des aspects sanitaires” et invite les voyageurs à bien se renseigner avant leur départ auprès de l’OFAC, de leur ambassade et de leur compagnie aérienne sur les conditions de circulation entre les pays avant leur départ.