“Peut-être le saviez-vous, mais je détiens le record de l’’historien ayant publié le plus de livres, avec un total de 193 ouvrages. Cela ne fait pas de moi une bonne personne.” s’amuse Jeremy Black, historien et écrivain britannique, ancien professeur d’histoire à l’université d’Exeter. “Je suis maintenant retraité de l’enseignement, et j’ai toujours un vif intérêt pour l’écriture, cela permet de garder mon esprit vif et alerte, à défaut de faire une activité physique. Ce qui, je l’espère, rend mes livres intéressants, n’est pas seulement leur nombre, mais surtout l’ambition intellectuelle qui les sous-tend, essayer de comprendre notre société par différents points de vue”.
C’est en ces mots que le professeur explique son engagement pour l’histoire, et c’est dans cette même logique qu’il s’apprête à sortir, jeudi 21 mars prochain, son dernier ouvrage Paris : A short history chez Thames & Hudson. A l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024, le livre examine les grands événements et personnalités, de la Préhistoire à nos jours, qui ont façonné l’héritage culturel unique de la capitale française.
Les travaux de Jeremy Black offrent une analyse approfondie de l’histoire britannique, mais il explore également d’autres pays européens comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne et avoue que “les livres les plus attractifs sont ceux portant sur la France”. L’écrivain ne cherche pas à retracer l’histoire de la construction des états-nations ou de l’institutionnalisation du pouvoir, car de nombreux historiens ont déjà couvert ces sujets de manière brillante. Son objectif est plutôt “de considérer les sujets de société, travailler sur ce qui est différent et distinct d’un pays à l’autre, surtout entre les pays voisins” .
Après avoir publié en 2021 son livre “France: a short history”, l’auteur remarque qu’écrire sur la France était déjà en soi une distinction et un défi en raison de l’immensité géographique du pays, comparée à celle de l’Angleterre.“La France est un assemblage de cultures diverses, centralisées, il est facile de s’en rendre compte en passant du Languedoc à la Bretagne par exemple. Cet aspect est plus évident pour des pays fédéraux comme l’Allemagne ou les États-Unis, alors que la France, ironiquement, a une dimension fédérale mais elle est moins perceptible pour les Parisiens que pour ceux vivant en dehors de la capitale.”
Après Londres, c’est le second livre que Jeremy Black écrit sur une capitale. Cette singularité trouve son origine dans l’attachement profond de l’auteur à la Ville Lumière, remontant à sa première visite dans les années 1960, en compagnie de son père. Initialement, il découvre Paris à travers le prisme du touriste britannique, une perspective qu’il explore dans son ouvrage “France and the Grand Tour”, dédié à l’analyse de l’expérience touristique en France. Tout en puisant dans cette vision idéalisée du tourisme parisien dans son nouveau livre, le professeur affirme “essayer de s’écarter de cette perspective pour donner une image fidèle de Paris”.
De plus, la capitale française est la ville étrangère où l’historien a fait le plus de recherches. “En travaillant sur les archives d’une ville, on est amené à visiter un grand nombre de sites différents. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de me rendre à Asnières, mais aussi à la Cité des Lumières, ainsi qu’au remarquable musée de l’Histoire de Paris”, raconte Jeremy Black, et cette familiarité profonde avec Paris l’incite à y retourner fréquemment.
L’auteur en relatant l’histoire de la capitale française de la Préhistoire à nos jours, souligne qu’”écrire est synonyme de choix”, il n’est pas possible de tout raconter de Paris car, selon lui, “ il n’y a pas d’histoire parfaite. J’aurais par exemple pu davantage écrire sur le rapport entre Paris et le cinéma, mais chaque histoire est le résultat d’un cadrage, il faut donc écrire selon ce qui intéresse l’écrivain, selon ce qui pourrait intéresser les lecteurs et sur ce qui pourrait être dit d’original, de nouveau sur Paris.” Connaissant l’histoire moderne de la ville, Jeremy Black révèle en avoir particulièrement apprécié l’histoire romaine.
Lors des Jeux olympiques de Paris en 1924, de nombreux intellectuels et artistes avaient assisté au spectacle international, parmi lesquels Jean Giraudoux, Paul Claudel, Joséphine Baker et bien d’autres. Un siècle plus tard, la question se pose de savoir si la ville conservera son image de capitale culturelle. Pour l’écrivain, il n’y a aucun doute : “Paris, et la France de manière générale, demeure une capitale intellectuelle européenne à part entière et le sport en a toujours été l’un de ses aspects. Certes, d’autres pays européens se distinguent sur le plan sportif, comme l’Espagne, l’Allemagne et l’Angleterre, mais Paris reste un centre intellectuel très distinct.”
Cependant, Jeremy Black souligne la remise en cause récente de la culture européenne avec l’émergence de villes monde comme New York dans la seconde moitié du 20ème siècle, mais affirme qu’il est difficile de savoir si cela affectera la place de Paris. ”Certains pensaient au début du 21ème siècle que Shanghai deviendrait la nouvelle ville-monde mais aujourd’hui avec la situation géopolitique, on ne sait pas si l’intellectuel chinois réussira véritablement à s’exporter. Il est difficile de prédire l’avenir des mégapoles.”
Néanmoins, selon lui, Paris tire son succès du fait que la ville parvient à s’adresser au-delà du monde francophone et à projeter une image positive à l’international, et il ne voit aucune raison pour que cette image change. En comparant les deux capitales avec lesquelles il est le plus familier, Londres et Paris, Jeremy Black note que, contrairement à la seconde, la première a été sévèrement touchée au cours des 50 dernières années par “un sentiment de division sociale en raison d’une certaine réticence à communiquer avec le monde”. Cependant, l’avantage de la capitale anglaise réside dans l’utilisation de la langue internationale qu’est l’anglais et dans la perception de sa société “comme une société relativement libre car les restrictions intellectuelles y sont très limitées et très rares”.
En ce qui concerne les Jeux de 2024, l’historien plaisante en disant qu’il n’est pas un grand amateur de sport, mais il assure qu’il regardera la cérémonie d’ouverture pour observer comment l’histoire de Paris et de la France sera mise en avant lors de cet événement international.