Vendredi 3 mai, le quartier général du club amateur Wasps FC accueillera une soirée de jeux de cartes particulière. Les coups de 7pm sonneront le début de cet événement célébrant les 15 ans de la Serge Betsen Academy, fondée par l’ancien joueur de rugby français. C’est l’occasion pour l’association d’organiser un repas avec des produits du terroir venus de l’Hexagone, mais aussi de lever des fonds afin de continuer à exécuter la noble mission qui est la sienne. “A travers cette soirée qu’on veut simple et conviviale, on voulait aussi remercier notamment les Français d’Ealing qui aident l’association depuis des années et leur montrer comment est utilisé l’argent récolté”, lance le fondateur. Néanmoins, tout le monde est le bienvenu pour cette soirée caritative qui se terminera aux alentours de minuit.
Serge Betsen est né à Kumba, au Cameroun en 1974. A l’âge de 9 ans, il arrive en France et s’installe avec sa mère en région parisienne, à Clichy-la-Garenne. Peu de temps après son arrivée, il découvre le rugby, un “virus” qu’il attrape et qui le passionne aujourd’hui encore. Le jeune Camerounais qu’il est se découvre un véritable talent pour ce sport rugueux au point qu’il en devient joueur professionnel dans les années 1990. En 2001, alors qu’il porte les couleurs du Biarritz Olympique, il a l’opportunité de retourner sur ses terres natales.
Au retour de ce voyage, il est clair pour lui qu’il doit partager sa passion pour le ballon ovale avec les enfants défavorisés du Cameroun. Si au départ, elle avait pour objectif de populariser le rugby à Yaoundé et dans tout le pays, la Serge Betsen Academy a rapidement changé de cap. “L’idée de départ qui était de ‘faire du rugby pour du rugby’ s’est transformée pour utiliser ce sport et ses valeurs afin de transmettre quelque chose de plus fort. On veut créer la possibilité pour ces enfants défavorisés d’avoir accès à l’éducation et la santé”, déclare celui qui est devenu français en 1994.
Ce qui est assez rare dans le cas de Serge Betsen, c’est que cette aventure a commencé au beau milieu de sa carrière de rugbyman. Si les sportifs professionnels ont pour coutume de terminer leur parcours sportif avant de se lancer dans de tels projets, le joueur venait de disputer une Coupe du monde avec le XV de France et s’apprêtait à être double-champion de France avec son club biarrot. “J’essaie de m’investir dans ce qui me prend aux tripes, et quand on voit des enfants malheureux, sans parents… ça touche. Je n’ai pas attendu car il y avait un besoin immédiat. Je ne l’avais pas vraiment calculé, mais créer mon association pendant ma carrière m’a permis de profiter de ma notoriété à ce moment-là pour avoir un maximum de retours au niveau du public”, explique le sportif. Cette passion du partage et de l’entraide, il la doit au rugby, qu’il a l’habitude de comparer à la société. “Pour moi, ce sport en est le reflet dans le sens où on a besoin de nos partenaires tous les jours pour avancer”.
15 ans après son lancement, la Serge Betsen Academy (SBA) est une association accomplie. Avec une moyenne de 425 enfants pris en charge chaque année depuis 2004, elle a déjà amélioré les conditions de vie de milliers de Camerounais. Aujourd’hui, la SBA dispose de 5 lieux d’accueil à travers le pays africain, qui aident les enfants habitant autour. “Pour moi, ces centres, ce sont comme des clubs de rugby mais avec de la lumière, une salle informatique, une bibliothèque, une infirmerie, des instituteurs qui viennent donner des cours supplémentaires… Ils permettent à ces enfants d’avoir des rêves et de pouvoir se dire ‘je veux être médecin, enseignant ou ingénieur’. En payant leur scolarité, leurs uniformes, leurs suivis médicaux, ils sont en bonne santé, vont à l’école et ont le sourire. Aujourd’hui, on est fiers de dire qu’ils ont un taux de réussite de 85% aux examens quand la moyenne en Afrique est de 35%”, analyse avec joie Serge Betsen.
Pourtant, dire que l’homme aux 63 sélections avec l’équipe de France est satisfait serait mal le connaître. “Après le bac, on ne les suit plus du fait de nos moyens limités et c’est frustrant. L’objectif désormais est de les suivre dans leur vie professionnelle. On recherche le soutien d’entreprises pour leur offrir des stages ou des premiers emplois”, confie le Français.
Bien que son action se fasse au Cameroun, Serge Betsen vit à des milliers de kilomètres de là, à Londres, et ce depuis plus de dix ans. C’est sa carrière qui l’a amené à jouer pour le club londonien des London Wasps, son second et dernier club. Le fait qu’un joueur de rugby français vienne jouer dans le championnat anglais reste rare. Plus que sportive, cette démarche est profondément personnelle de la part du Français et tient ses origines dans certains moments clés de sa carrière. “Dans mon parcours, j’ai participé à deux Coupes du monde en 2003 et en 2007. A chaque fois, nous avons perdu en demi-finales contre l’Angleterre. Longtemps, ces défaites m’ont hanté et je me demandais ‘pourquoi eux et pas nous?’. Venir à Londres m’a permis de comprendre pourquoi on gagne et pourquoi on perd. Cela m’a permis d’être en paix avec moi-même et d’éliminer les frustrations que j’avais en moi”, se livre-t-il.
A l’origine venu pour 3 ans à Londres, Serge Betsen y est encore installé 8 ans après avoir raccroché les crampons et le casque. La capitale britannique reste pour lui un symbole de son épanouissement familial. “C’est vrai qu’il ne fait pas beau… (rires). C’est une forme de conjoncture familiale qui a fait que je suis resté dix ans. J’ai eu un troisième enfant ici, et ma femme y a son emploi, en tant que prof de sport au lycée français Charles de Gaulle. Elle m’a suivi ici à reculons mais maintenant, c’est elle qui a envie de vivre son métier à fond. L’idée de partir n’est pas encore au goût du jour”, s’amuse l’heureux père de famille.
Aujourd’hui, son métier n’est pas si éloigné de celui de sa compagne puisque Serge Betsen propose ses services et son expertise à une dizaine d’écoles de Londres pour initier les enfants au sport qu’il chérit tant. Cette activité occupe la majeure partie de son temps, mais comme sur le terrain lorsqu’il était joueur, le néo-retraité est infatigable. En effet, cet obsédé de la performance profite de son expérience pour être consultant auprès d’entrepreneurs londoniens sur des thèmes comme le team-building ou le motivational speech. Pour parler de performance et de bien-être, Serge Betsen n’hésite pas à faire des parallèles entre le monde de l’entreprise et celui du sport. Il n’est jamais vraiment loin de ce dernier monde comme en témoigne son autre activité de consultant sur un thème qu’il connaît mieux que personne : le ballon ovale. “Je reste en permanence en contact avec le rugby professionnel. L’été dernier, j’étais invité par la chaîne de télévision britannique ITV à suivre et commenter la tournée de l’Équipe de France en Nouvelle-Zélande”.
Même en étant retraité depuis quelques années, sa passion pour ce sport reste intacte. Quand l’expatrié n’est pas au micro d’ITV ou de la BBC, il se rend systématiquement au stade, que ce soit en France ou dans son pays d’adoption. “Je vois très souvent les matchs et c’est un bonheur de pouvoir être dans l’action même après avoir arrêté”. Peu de temps après sa retraite, ce besoin de rester actif l’avait amené à devenir entraîneur de la défense du club des London Scottish, mais cela n’avait pas duré. Interrogé sur une potentielle envie de se rapprocher du terrain, Serge Betsen confie qu’il garde cette idée “dans un coin de la tête”.
Pour un amoureux du rugby tel que Serge Betsen, l’année 2019 s’annonce spéciale avec sa Coupe du monde au Japon, qui débutera en septembre. Bien qu’éxilé outre-Manche, il reste l’un des tous premiers soutiens de l’Équipe de France. A rebours de nombreux observateurs, l’équipe du sélectionneur Jacques Brunel peut selon lui aller loin dans la compétition. “Ce sera une poule difficile avec l’Argentine et l’Angleterre, mais je dis toujours que si on y va avec la mentalité de ne pas se laisser faire, tout peut arriver. Ils doivent croire en leurs capacités”, lance-t-il avant d’ajouter que “tout ce qu’on entend au niveau des résultats sera mis à plat, toutes les équipes repartiront de zéro”. C’est pour cette raison qu’il est difficile pour lui de dégager un favori, même s’il cite entre autres la Nouvelle-Zélande, double tenante du titre, et l’Angleterre. Néanmoins, une chose est certaine : Serge Betsen sera présent au pays du Levant car, comme il l’a prouvé tout au long de sa vie, son amour pour le rugby dépasse les frontières.