Samedi 23 février, des centaines de personnes se sont données rendez-vous au pied de la colonne de l’amiral Nelson sur Trafalgar Square, armés de chants et de drapeaux verts, blancs et rouges. Depuis, chaque samedi en début d’après-midi, les ressortissants algériens de Londres se retrouvent sur l’emblématique place pour apporter leur soutien à leurs compatriotes algériens, qui manifestent en Algérie. Même si le président Abdelaziz Bouteflika a renoncé à briguer un cinquième mandat face à a colère de son peuple aux quatre coins du monde, les Algériens de Londres continuent à se mobiliser et devaient à nouveau se rejoindre samedi 16 mars.
Pour Saïd Touama, franco-algérien et distributeur de prospectus à Londres, il était inconcevable de ne pas se mobiliser personnellement même en étant loin de son pays d’origine : “J’ai suivi de très près les manifestations en Algérie car l’avenir de ce pays me concerne beaucoup. Depuis maintenant 3 semaines, la communauté algérienne de Londres se mobilise les samedis pour montrer sa solidarité avec ces manifestations”. De son côté, Khalida, consultante en banque de 25 ans, insiste sur le fait que “tout le peuple algérien désire changer de gouvernement. C’est très important de manifester aussi à Londres car on veut que les médias soient au courant de ce qui passe en Algérie, y compris ici”. C’est ce sentiment d’appartenance fort caractérisant les ressortissants algériens au Royaume-Uni qui a conduit plusieurs centaines d’entre eux à noircir de monde Trafalgar Square durant les trois derniers week-ends.
Après deux décennies de présidence de Bouteflika et son clan, les Algériens ne supportent plus une situation socio-économique désastreuse, avec notamment une économie récessionniste dépendante d’hydrocarbures dont les cours ne cessent de baisser, et un chômage de masse. En Algérie, le chômage atteint presque 12% de la population, et un tiers des 16-24 ans n’a pas d’emploi. “Depuis 20 ans, le gouvernement en place ne fait pas en sorte que l’Algérie progresse”, argue Khalida, en colère. A ce malaise social, s’ajoute le pays est dirigé depuis 6 ans par un président peu présent médiatique, incapable de bouger et hospitalisé en Suisse au moment où il était censé faire campagne. “Monsieur Bouteflika, qui a maintenant 81 ans, est incapable de parler, d’agir, de diriger un gouvernement… Il n’est capable de rien du tout en fait !”, s’exaspère la Franco-algérienne Khalida. Cette conjoncture inspire à Saïd Touama de l’incompréhension et une jolie tournure : “Si le président est malade, alors c’est tout le pays qui est malade”.
Ensuite, concernant l’annonce faite lundi 11 mars par Abdelaziz Bouteflika de retirer sa candidature et de repousser les élections en espérant calmer le mouvement populaire algérien, l’effet produit sur les manifestations des Algériens de Londres semble tout à fait inverse. Effectivement, personne n’a confiance en la promesse du président octogénaire, à l’image de Saïd Touama : “Personnellement, je n’y crois pas. Les gens veulent qu’il renonce à son cinquième mandat tout en maintenant les élections au 18 avril. En renonçant à ce nouveau mandat, il prolonge l’actuel. On sait tous que l’oligarchie autour de Bouteflika va vouloir se présenter aux prochaines élections”.
Cette analyse de la lettre à la nation du président algérien et ce rejet de “l’oligarchie pro-Bouteflika” sont largement repris à l’unisson par Khalida : “Sa stratégie je pense, comme beaucoup d’Algériens, est de rester au pouvoir pour avoir le temps de placer tous ses amis dans le nouveau gouvernement. On le sait, mais nous on veut que tous ceux qui sont aujourd’hui liés de près ou de loin à Bouteflika n’aient plus accès au gouvernement algérien”. L’agacement est à son comble pour la majorité des ressortissants, et Saïd Touama va même jusqu’à contester la légalité de l’action du chef de l’Etat : “Légalement, ce n’est pas au président de repousser des élections, c’est le rôle du Conseil Constitutionnel de faire ça. C’est un viol de la Constitution algérienne!”.
La question qui reste en suspens est de savoir si le mouvement populaire algérien qui transcende les générations y compris à Londres, où se mélangent dans la rue des retraité.e.s mais aussi des jeunes voire des très jeunes, continuera sur sa lancée pacifique. En effet, après un mois de manifestations, très peu de violences ont été à recenser en Algérie ou dans la capitale anglaise, et c’est une immense fierté pour la diaspora algérienne. “C’est un bon exemple montré au monde entier. Les manifestations se sont globalement déroulées sans violences, dans le calme, le civisme et la discipline”, déclare Saïd Touama.
Ainsi, les manifestations, ici ou là-bas, vont très probablement continuer malgré l’annonce de la présidence. C’est ce dont est certaine Khalida par exemple : “Tant qu’on n’aura pas ce qu’on réclame, on continuera à manifester”. Reste aussi à savoir si l’annonce du président Bouteflika aura une influence sur le nombre de personnes mobilisées dans la capitale anglaise. La réponse à cette dernière question sera apportée samedi 16 mars, car la diaspora algérienne de Londres a prévu de se réunir une nouvelle fois à Trafalgar Square aux alentours de 1.30pm pour montrer qu’elle réaffirme sa méfiance et son mécontentement vis-à-vis du gouvernement, et ce malgré les vaines tentatives de ce dernier de la calmer.