Devenir conseillère culturelle de l’ambassade de France au Royaume-Uni et directrice de l’Institut français du Royaume-Uni, c’est peu un retour vers ses premières amours, elle qui a d’abord étudié l’histoire de l’art avant de se diriger vers une carrière plus politique. Mais c’est aussi un retour à Londres, ville qu’elle connaît bien pour y avoir travaillé quatre ans au sein de l’ambassade de France. Elle était alors conseillère juridique et politique de 2018 à 2022, où elle était chargée des affaires globales, regroupant le climat, l’environnement, le droit des femmes et de l’Homme.
Anissia Morel a officiellement pris ses fonctions de directrice du centre culturel français le 1er février dernier, succédant ainsi à Bertrand Buchwalter qui, après avoir occupé ce poste de 2021 à 2023, a rejoint la cellule diplomatique de l’Elysée il y a quelques mois. Quand elle a eu l’opportunité de postuler pour prendre la tête de l’Institut français du Royaume-Uni, la Française l’a immédiatement saisie. La culture, elle s’y est intéressée jeune, confiant qu’elle était “très portée et intéressée par une carrière muséale”. Histoire puis histoire de l’art – elle passera même une année à l’institut Courtauld à Londres dans le cadre de ses études -, elle se lance ensuite dans un doctorat. Mais elle trouve l’ambiance “trop solitaire”, alors elle se réoriente totalement.
Anissia Morel rejoint alors Sciences Po Paris, qui lui “offrait une exigence académique forte et, surtout, une grande variété de carrières possibles”, puis passe le concours de l’Ecole nationale d’administration. “J’aurais pu être sous influence, mes deux parents ayant été diplomates. Je les avais suivis dans leurs postes. Cependant je voulais faire autre chose, mais finalement, petit à petit, cela m’a un peu rattrapée, notamment parce que j’ai énormément aimé toutes les matières de l’action publique, y compris les plus austères”, confie la nouvelle directrice.
A la sortie, elle hésite entre le Quai d’Orsay et le Conseil d’Etat. C’est ce dernier qu’elle choisira. “Très tôt, j’ai eu une mission pour le ministère de la Culture sur le contrat d’édition numérique. A l’époque, le livre numérique prenait beaucoup d’ampleur sans que l’on ait adapté le code de la propriété intellectuelle, conçu pour le livre papier”, explique Anissia Morel. Un travail de mise à jour était nécessaire, en négociation avec les partenaires sociaux du secteur. En plus de ce dossier, la jeune femme était conseillère juridique sur Hadopi, texte favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. La tentation culturelle a donc toujours été présente dans la carrière d’Anissia Morel. L’opportunité de rejoindre Londres, qu’elle a ainsi connue pendant ses études en histoire de l’art, se présente ensuite à elle en 2018, où elle s’occupe des affaires globales.
Quatre ans plus tard, elle retourne en France où elle suit Catherine Colonna, alors nommée ministre des Affaires étrangères, et prend la charge des mêmes sujets dont elle s’occupait à l’ambassade de France au Royaume-Uni, en plus des affaires juridiques. En 2023, Anissia Morel retourne alors au Conseil d’Etat “pour reprendre le métier de juge de l’Etat et de conseiller du gouvernement”. Quand on lui souffle l’idée de reprendre les rênes du poste de conseillère culturelle et de directrice de l’Institut français du Royaume-Uni, elle se dit que cela coïncide plutôt bien avec son parcours et ses intérêts. Elle dit oui et présente sa candidature, qui sera donc retenue.
Dorénavant en fonction, Anissia Morel s’est donnée pour mission de poursuivre le développement de la culture française hors des frontières de Londres. “Même si nos emprises immobilières sont à Londres, nous avons pour mission de toucher un public un peu plus éloigné de la France, et donc qui est en province”, commente la nouvelle directrice qui souhaite donc une présence plus renforcée dans le reste du pays, tout en élargissant à de nouveaux publics autre que celui de Londres, déjà important grâce à “la programmation du cinéma largement francophone et européenne, et pas seulement franco-française”.
Au-delà de l’offre cinématographique, le succès de l’Institut repose aussi sur l’offre culturelle en général qui, insiste Anissia Morel, est “très variée”. “Nous avons ‘les salons en musique’ une fois par mois, des débats d’idées, des rencontres autour de cinéastes, d’écrivains, d’intellectuels”. Elle aimerait d’ailleurs développer la place des débats d’idées, en particulier sur les grands sujets de société. “La Nuit des Idées est le grand rendez-vous de l’année et rencontre un fort succès. Nous allons voir si nous pouvons arriver à trouver d’autres rendez-vous pendant l’année”.
L’objectif étant de faire connaître la vision de la France sur tous les grands sujets d’actualité et en proposer une programmation liée. Comme à la suite de la mort de Robert Badinter, le centre culturel envisage l’organisation d’une soirée cinéma avec un débat autour de la peine de mort. “Il faut saisir les opportunités, parfois un peu tristes, qui surviennent. Nous avons une équipe extrêmement flexible pour organiser cela. Nous ne sommes pas qu’un lieu qui fait vivre une certaine image de la France et un patrimoine”. L’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution devrait aussi partie des prochaines actualités dont se fera écho l’Institut français. “Notre but est de montrer la France dans toute sa diversité, comme avec une journée consacrée à Marseille dans le cadre du festival littéraire de mai, ‘Beyond Words’”, rappelle la nouvelle directrice.
En plus du centre culturel, l’Institut compte également un centre de langue – actuellement en rénovation -, “très dynamique” et comptant “de plus en plus d’élèves”. “Il reste le principal centre d’enseignement du français à Londres. Là aussi, nous proposons une offre très variée puisqu’il y par exemple pendant les vacances, pour les étudiants anglais, des camps intensifs avec des cours de français à haute dose”. La nouvelle directrice souhaiterait d’ailleurs que le centre de langue devienne, au-delà d’un lieu d’apprentissage, un lieu de vie.
Parmi les missions d’Anissia Morel, il y a celle de promouvoir la langue française. Un travail possible grâce à une équipe dédiée sur le sujet. “Ce n’est pas une tâche simple car l’enseignement des langues étrangères n’est pas une priorité de l’enseignement britannique. Il n’existe aucune obligation, après un certain âge, de continuer à apprendre une langue étrangère. Toutes les langues en pâtissent, nous y compris”. Mais la nouvelle directrice rappelle que le français reste toujours la première langue enseignée dans le système scolaire britannique, même si les chiffres sont en baisse.
Pour lutter contre cela, l’Institut se donne les moyens. “Nous menons des actions auprès des écoles pour la formation des instituteurs pour renforcer l’attractivité du français. Nous avons d’ailleurs lancé une campagne sur l’utilité du français dans tous les secteurs pour faire connaître et un peu contrecarrer l’image du français, qui est perçue comme une langue difficile à apprendre”. Un travail a aussi été engagé avec le ministère de l’Education britannique sur la question de la notation des langues étrangères. “Pour un élève qui a besoin de très bons A-Levels pour son entrée dans une université, ce n’est pas forcément un bon pari de prendre une langue étrangère. Il faut donc une harmonisation de la notation pour que les langues soient traitées de façon égale”.
Le projet Francophonie on the road, qui débutera le 18 mars prochain et monté en coopération avec l’UCL, va par ailleurs proposer toute une série d’ateliers dans des écoles en province. “Pour nous, c’est un grand chantier d’arriver à enrayer cette baisse relative du français et de changer le regard des élèves britanniques sur notre langue. Cela passe beaucoup par les professeurs, qui sont motivés, soutenus et à qui on propose des formations”.