Elle a soufflé ses dix bougies en fin d’année dernière. Une décennie plus tard, la French Tech London, qui vient de tenir son gala de rentrée le 25 janvier, est devenue l’une des plus importantes – et même la première en Europe – parmi l’ensemble de la communauté des French Tech, France et monde confondus. Avec 3,500 membres et une équipe d’une dizaine de personnes dans le board, le travail réalisé ces dix dernières années a donc porté ses fruits.
Depuis cinq ans, c’est Raph Crouan, co-fondateur, qui a repris la tête du réseau londonien avec l’ambition de redynamiser la communauté. “Quand j’ai repris la main, j’ai souhaité redistribuer les cartes et réorganiser l’ensemble”, confirme-t-il. Une réorganisation axée sur trois pôles : la “sustainable finance”, la Deep Tech et la Tech for Good. Avec toujours en ligne de mire, la mission première de la French Tech, à savoir promouvoir l’attractivité de la France à travers les entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies.
Il faut dire que le plus gros concurrent de la France, et de l’Europe dans sa globalité, demeure les Etats-Unis. “Ils ont dix ans d’avance par rapport à nous”, estime Raph Crouan. Mais ce retard n’est pas pour autant irréversible. Le programme “Scale Up Europe”, lancé en 2020 par le président français Emmanuel Macron, a été, selon le président de la French Tech London, un premier levier d’accélération permettant aux entreprises innovantes européennes de s’imposer un peu plus dans le secteur. Le dispositif avait ainsi pour ambition de voir émerger dix géants européens de la Tech d’ici 2030. “En 2023, le décalage demeure encore important”, reconnaît le patron de la French Tech London, “mais les investisseurs sont de plus en plus nombreux”. Et ce, grâce notamment aux initiatives Tibi, lancée en 2019, et Tibi 2, lancée en juin 2023. Nommées d’après l’économiste porteur du projet au ministère, Philippe Tibi, elles avaient et ont toujours pour mission “d’augmenter la capacité de financement des entreprises technologiques, en mobilisant l’épargne des investisseurs institutionnels, et notamment celle des assureurs”.
Ainsi entre 2020 et 2022, six milliards d’euros ont été mobilisés par les investisseurs partenaires, dont 23 d’investisseurs institutionnels français partenaires du fonds. 320 investisseurs spécialisés en France dans les 67 fonds labellisés par l’initiative ont été également recrutés. Comme l’explique le gouvernement, cela a permis de faire de “la France le premier écosystème pour le financement des nouvelles technologies au sein de l’Union européenne. En 2022, la French Tech a levé 13,5 milliards d’euros, un record en dépit d’un environnement économique défavorable aux valorisations de la technologie”. C’est pourquoi, pour Raph Crouan, tous les espoirs sont permis.
Une meilleure culture des enjeux de la Tech auprès du grand public pourrait également permettre une accélération du développement du pays dans le secteur. “On sent un changement avec les nouvelles générations, qui sont plus internationales, parlent anglais. Le changement systémique va prendre du temps, au moins une décennie, mais il est enclenché”, croit savoir le président de la French Tech London. Raph Crouan juge par ailleurs que, suite à la pandémie de la Covid-19, le grand public a compris l’importance de la technologie. “L’adaptation a été un peu forcée, mais elle s’est accélérée, les réflexes ont changé”. La French Tech London, elle aussi, s’est adaptée à l’évolution de la société. Composé d’une dizaine de personnes, le board affiche par exemple une parité parfaite. “Mais c’est aussi le cas pour nos entreprises membres ou nos investisseurs”, souligne le président, pour qui cet équilibre est essentiel afin de mélanger les points de vue et les idées.
Par ailleurs, pour poursuivre son développement et maintenir sa place de leader des communautés en Europe, la French Tech London ne travaille pas seule, puisqu’elle collabore avec l’ambassade de France au Royaume-Uni, Business France et la French Chamber of Great Britain, ses principaux partenaires institutionnels. “Nous échangeons beaucoup”, avance Raph Crouan, se félicitant de ce modèle collaboratif basé sur la communication. “Notre objectif est simple : soutenir et aider l’écosystème”, mais surtout de faire de la French Tech London “le premier hub à Londres pour les entreprises francophones”. “Certes, dans nos membres, beaucoup sont français, mais nous avons aussi des personnes d’autres nationalités travaillant pour des entreprises françaises, ainsi que des francophiles ou des amoureux de la tech qui trouvent leur intérêt dans la French Tech London”.
Toute l’année, le réseau se met donc au service des ses membres et tente d’innover en matière d’événements comme de programmes de soutien pour les entreprises en “early stage”. En parallèle de ce mentoring lancé en 2022, la French Tech London a aussi créé un baromètre. L’idée étant de prendre le pouls auprès de ses membres et ensuite dessiner “une road map” des initiatives à prendre pour comprendre les problèmes auxquels ils font face et ainsi trouver des solutions d’amélioration. “La dernier baromètre, que l’on a présenté lors de la soirée de gala au Science Museum le 25 janvier dernier, nos membres ont tiré la sonnette d’alarme sur l’année 2023 avec, en particulier, des inquiétudes sur les adaptations douanières. Mais globalement, tous pensent que 2024 devrait être meilleure, au regard du réchauffement des relations franco-britanniques depuis le sommet du 10 mars entre Rishi Sunak et Emmanuel Macron”, avance Raph Crouan.
Depuis le Brexit, le nombre d’entreprises françaises de la Tech s’installant au Royaume-Uni est plutôt stable, d’après le directeur. “La Tech est un peu une bulle d’optimisme dans ce monde. C’est dans notre ADN et les collaborations se sont toujours faites sans considération des frontières”, explique Raph Crouan. A la différence des grosses industries où les sentiments face au Brexit fluctuent, pour la Tech, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’a donc pas été vraiment un frein. Preuve en est que Londres, qui maintient sa place de première place financière en Europe, reste toujours autant attractive aux yeux des entrepreneurs français. “Je reçois près de trois mails en moyenne par semaine d’entreprises qui souhaitent venir ici. S’il y a eu des départs, il y a aussi eu des retours”. Demeure cependant le problème du recrutement des talents. Avec la mise en place de mesures migratoires restrictives depuis le Brexit, embaucher des Européens reste une difficulté. “Mais la Covid a montré qu’il était possible de travailler hors des territoires. “On peut avoir des équipes décentralisées et même créer une entreprise en France tout en levant du capital au Royaume-Uni”.
Crédit photos : Jérémie Souteyrat