Après avoir donné de son temps bénévolement au Dispensaire français de Londres en tant que médecin généraliste pendant 38 ans, Odile Lhopitallier, depuis partie à la retraite, s’occupe dorénavant d’animer un groupe de parole pour des réfugiés et demandeurs d’asile.
Cette idée, permettant notamment – et majoritairement pour le moment – à des femmes congolaises d’échanger sur leurs différents traumatismes liés à la situation politique de leur pays d’origine qu’elles ont fui, est née au détour d’une conversation, en octobre dernier, avec le directeur du centre médical, situé à Hammersmith, Jérôme Walczak-Capèle, ainsi qu’avec Anne de Montarlot, psychothérapeute, travaillant également bénévolement au dispensaire.
“Il y avait besoin de ce genre de groupe”, souligne la médecin, qui a de l’expérience sur le sujet. En effet, avant de venir s’installer à Londres, Odile Lhopitallier a travaillé dans un camp de réfugiés pendant deux ans à Singapour, où elle accueillait les “boat people”. Puis elle a collaboré avec le haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies et s’occupait du triage des réfugiés en fonction de leur état de santé pour savoir dans quel pays ils allaient être acceptés. “C’est toujours quelque chose qui m’a tenu à cœur. Aussi quand j’étais médecin généraliste, je recevais beaucoup de réfugiés en consultation. Puis, au moment de ma retraite, il y a un an et demi, j’ai eu envie de continuer”, confie-t-elle. Apprenant que l’église Notre-Dame de France, qui travaille beaucoup avec les personnes demandeuses d’asile et réfugiées, avait dû abandonner son projet de groupe de parole, la Française a alors pensé que le dispensaire pourrait prendre le relais.
Pour lancer ce rendez-vous, elle s’est donc entourée d’Anne de Montarlot, spécialiste du trama. “En discutant, on s’est dit que ce serait une bonne idée, car ce genre de groupe de parole n’existait pas pour les francophones. Et cela pouvait être très complémentaire à la thérapie individuelle”. Mais la psychothérapeute insiste sur le fait que c’est pas une thérapie de groupe. “C’est un espace où pendant une heure et demie, les participantes peuvent se parler en toute confidentialité pour permettre aux personnes de s’ouvrir de prendre le risque de partager ce qu’elles souhaitent, sans jugement, dans l’écoute et dans l’empathie”, expose Anne de Montarlot. Avec Odile Lhopitallier, elles jouent ainsi le rôle de modératrices “soit pour reprendre ou amplifier quelque chose, mais aussi faire en sorte que le temps de parole soit équitable”.
Le premier rendez-vous a été organisé en novembre dernier, avec cinq participantes, avec une session toutes les trois ou quatre semaines. “Maintenant, nous sommes passées à un rythme un peu plus soutenu, soit toutes les deux semaines. On voit essentiellement des réfugiées de la République démocratique du Congo depuis la reprise des conflits au mois de janvier. Elles ont besoin de parler, de se réunir, d’exprimer un peu toutes leurs émotions”, avance Odile Lhopitallier.
Dans le groupe, certaines sont à Londres depuis quelques années déjà, d’autres sont arrivées récemment et sont attente de validation de leur demande d’asile. Avec déjà cinq rendez-vous déjà proposés, les deux professionnelles constatent que les participantes “se livrent beaucoup plus”, qu’elles sont moins craintives, une partie d’entre elles ayant, au départ, eu peur de parler notamment par honte. “Mais quand elles entendent des témoignages similaires au leur, elles s’identifient et les langues se délient”, avance Anne de Montarlot, “elles se sentent mains seules, car elles se rendent compte que d’autres ont vécu ou vivent la même chose, tout en voyant qu’il existe des moyens de s’en sortir”.
Aussi, la confiance a pu rapidement s’établir du fait que le groupe soit en français, ce qui facilite le prise de parole et l’expression des traumas qu’elles ont pu traverser dans un contexte de guerre, tels que les sacrifices familiaux, la torture, les viols, la cruauté, l’expérience de voir la mort, la violence, les exactions, ou simplement la fuite de leur pays. “Il y a aussi la culpabilité d’être en vie. C’est donc un mélange de traumas physiques et psychologiques très lourds mêlant de la honte et une grande peur”, constate Anne de Montarlot qui se dit très touchée par la résilience des femmes qui participent à ce groupe de paroles. “Elles vont vous raconter toutes les horreurs qu’elles ont vécues et la seconde suivante, elles vont avoir un fou rire. Le fait d’être elles et de pouvoir parler leur faut beaucoup de bien”.
Le groupe compte entre trois et cinq participantes par session, un bon équilibre pour les deux animatrices. “On a eu jusqu’à six personnes, mais je pense que c’est un maximum, parce que le rendez-vous dure une heure et demie et que l’on veut donner à chacune le temps de parler”, estime Odile Lhopitallier. D’autant que certaines parlent plus facilement que d’autres. “C’est inhérent à un groupe, il y en a toujours un ou une qui prend un peu de dessus”. Mais avec le temps, les choses évoluent. “Une des participantes, quand on a commencé les sessions en novembre, était timide mais aujourd’hui elle s’ouvre de plus en plus”, se félicite la médecin généraliste.
L’expertise d’Anne de Montarlot se complète bien avec celle d’Odile Lhopitallier, qui de par son expérience de médecin généraliste apporte également une grande écoute. “Un médecin généraliste ne soigne pas simplement le corps, mais aussi l’âme. C’est même un métier essentiellement d’écoute”, commente la professionnelle, pour qui animer ces groupes lui apporte beaucoup. “Ecouter les gens, essayer de les soulager, les aider un peu à traverser les étapes difficiles de la vie… il est important de pouvoir donner un peu de temps aux autres et leur tenir la main”.
Si le groupe se retrouve pour le moment au sein du dispensaire, dès que les beaux jours viendront, les deux animatrices espèrent bien l’emmener prendre l’air, en pleine nature. “Marcher est très bon pour processer le trauma”, souligne Anne de Montarlot. Le théâtre et la danse pourraient aussi être des activités à tester. “On est très ouverts”. Le rendez-vous pourrait aussi être dupliqué à d’autres communautés, dans l’idée de garder une cohésion entre les participantes.