Dans un pays où la garde d’enfant est très onéreuse, l’accueil d’un(e) au pair est une solution plébiscitée par les familles. Côté au pair, c’est l’assurance d’un séjour logé, nourri, blanchi et d’une expérience à l’étranger, notamment pour le gros du bataillon longtemps formé d’Européen(e)s. Las, la fin de la période de transition le 31 décembre 2020 a rebattu les cartes. Deux ans plus tard, quels sont les effets de l’entrée en vigueur des accords du Brexit sur les au pairs ?
Le système d’immigration à points a remplacé la liberté de circulation entre le Royaume-Uni et l’Europe. Ainsi que l’indique le Home Office, les Européens briguant un poste d’au pair doivent impérativement posséder le settled ou pre-settled status. Lors d’un séjour de moins de 6 mois, il est interdit aux visiteurs de travailler. Le visa de tourisme (visitor visa, séjour de plus de 6 mois) est spécifiquement exclu pour un(e) au pair. Il en est de même pour le short term student visa, qui ne permet pas de travailler.
Contacté au sujet du student visa, le Home Office indique des conditions difficilement compatibles avec la disponibilité et les taches attendues de la part d’un(e) au pair. Ainsi que le résume le site du consulat général de France à Londres, la règlementation actuelle n’autorise pas les jeunes Français à venir en tant qu’au pair sur le territoire britannique. Ce quelle que soit la durée du séjour. Une position que déplorait la British Au Pair Agencies Association, à l’initiative d’une pétition #SaveAuPairs (la BAPAA, ainsi que les agences d’au pair fondatrices n’ont pas répondu à nos sollicitations, ndlr). Selon le Nanny Solidarity Network, repris sur le site du gouvernement, le nombre d’au pairs au Royaume-Uni aurait été divisé par deux depuis le Brexit, alors qu’à son apogée on en aurait compté entre 60,000 et 90,000. Une situation qui promet une rude compétition entre les familles.
Impossible n’est pas français : les familles se sont adaptées, ou resignées. Candice, maman française de trois très jeunes enfants, ne pouvait absolument pas se passer des services d’une au pair. « C’est économiquement bien plus avantageux et flexible qu’une nanny ». Elle délaisse rapidement les au pairs anglaises (« on peut se poser la question de leurs motivations »), et recherche des jeunes filles originaires d’Australie, Canada, Monaco, Nouvelle Zélande, Saint-Marin et Islande, pays répondant aux critères du Youth Mobility Scheme. « Nous avons tout de suite exclu l’Europe, nous ne nous voyions pas embaucher quelqu’un illégalement, d’autant plus que mon mari et moi pouvions y perdre nos licences professionnelles ».
Dans le flou, d’autres familles, comme celle de Julie*, embauchent malgré tout des au pairs européennes. « Nous n’avons pas trop regardé. Comme on a le droit de venir en touriste et que ce n’est pas à proprement parler un travail, nous pensions que c’était ok ». Une fois leur méprise comprise (leur seconde au pair est coincée à la douane), la famille se mettra bientôt en quête « d’une au pair anglaise ou du Commonwealth ». De son coté, Annie*, qui a déjà accueilli 8 au pairs, a tout simplement abandonné. Recherchant uniquement des Française(s) pour ses trois enfants scolarisés en école anglaise, elle ne voulait pas « prendre quelqu’un illégalement. Mon mari travaille dans une banque et risquerait de perdre sa licence ».
Les au pairs français(e)s jouaient aussi un rôle important dans la communauté : chefs scouts, assistants en écoles FLAM, baby-sitters. « C’est tout un écosystème qui s’écroule. C’était une super expérience pour ces jeunes gens, qui découvraient l’étranger. Heureusement je travaille de la maison, mais c’est très compliqué. Les enfants vont à l’étude, font des clubs. Nous n’avons pas de famille ici et mon mari voyage beaucoup. Certains soirs, c’est le Bronx ! », poursuit Annie.
Au pair à Londres depuis plusieurs mois, et alors qu’elle profite d’un week-end en France au printemps 2022, Lucie * se voit refoulée par les douaniers anglais à la Gare du Nord lors de son retour. Alors qu’elle est initialement arrivée sur le territoire britannique quelques mois plus tôt et officiellement « pour des vacances », lors de ce second passage, elle s’embrouille et finit par avouer qu’elle est au pair. « Ils ont pris mon passeport, sur lequel ils ont enregistré l’incident ». L’embarquement lui est à nouveau refusé en gare de Lille où elle s’est présentée quelques heures plus tard. « Le fait que j’aie réessayé de passer la frontière avait aggravé mon cas ».
Installée maintenant en Irlande, « je ne sais pas si je pourrai retourner en Angleterre. Ils m’ont dit qu’il n’y aurait pas de poursuites, mais ce n’est pas très clair. C’est vexant d’être considérée comme une délinquante, et ça a été très brutal de laisser les enfants ». De leur côté, les familles peuvent s’exposer à des sanctions.
* (Le prénom a été changé)