S’asseoir à une table et parler spiritueux avec Barthélémy Brosseau, c’est l’assurance de passer un moment plein de romantisme, non pas au sens sentimental du terme mais plutôt parce qu’il a le talent d’utiliser les mots et les envolées lyriques pour parler de sa nouvelle aventure… entrepreneuriale. Le jeune homme de 29 ans, Londonien d’adoption depuis 2007, vient en effet de se lancer dans la production de whisky, de gin, de bourbon, d’Armagnac et de mezcal, via sa société Greenwood Distillers Limited. Et tout ça en deux ans.
Son gin vient d’être lancé, suivront son mezcal et Armagnac d’ici la fin mars, puis ce sera au tour de son bourbon d’être commercialisé en mai. Mais il faudra attendre l’automne ou l’hiver pour son Scotch. Mais comment passe-t-on de concepteur de projets immobiliers sur des bâtiments classés à producteur de spiritueux de haute qualité ? Le destin, diront certains, le hasard, diront d’autres. Ce qui est sûr c’est que le parcours professionnel de Barthélémy Brosseau s’est dessiné au gré de ses rencontres. Celle qui lui aura donné envie de s’intéresser au whisky fut Andrew Rankin, un véritable expert du liquide ambré avec 45 ans d’expérience au compteur. Alors que le groupe avec lequel il travaille participe à la réhabilitation du NED à Bank et du KOKO à Camden, ils sont introduits, grâce à un ami avocat, au “master blender” du grand groupe Morrisson et Bowmore Distillers Ltd, compagnie de whisky écossais.
Ils ont alors une idée : acheter des vieux stocks de ce spiritueux. “Cela m’intéressait d’abord parce que j’ai toujours trouvé ce liquide très noble. En France, la tradition du vin et des spiritueux est forte et fait même partie du patrimoine culturel”, lance le jeune homme avant d’ajouter que l’environnement social dans son enfance le prédestinait d’une certaine manière à s’intéresser à ce secteur. “Je suis né à Bordeaux, j’ai été à l’école avec des fils de vignerons, mon père était peintre et a travaillé à décorer les châteaux du Bordelais. Depuis tout petit, j’avais donc un pied près des processus de distillation et j’avais une relation forte avec la terre”. Grandir dans cet héritage a ainsi animé sa curiosité, résume-t-il.
Ça tombait bien aussi : au moment de sa rencontre avec Andrew Rankin, le jeune entrepreneur souhaitait diversifier ses activités professionnelles. Le simple achat de stocks rares de whisky fin 2016 s’est donc vite transformé en la création d’une entreprise en mars 2018, et mieux encore d’une distillerie. C’est en Ecosse qu’elle sera d’ailleurs construite. “On souhaitait un très beau lieu”, raconte Barthélémy Brosseau. Un vœu exaucé avec la rénovation, par le groupe, d’une ferme en ruine trouvée dans le village d’Ardross, près du Loch Dubh. Les travaux ont été longs et coûteux, reconnaît le Français, cependant très heureux du résultat qui a su conserver le cachet naturel des lieux.
Très curieux des spiritueux, Barthélémy Brosseau s’intéresse alors à un autre nectar, très populaire au Royaume-Uni : le gin car “c’est presqu’un canevas, une toile blanche, où on peut composer au niveau olfactif, gustatif mais aussi de l’histoire que l’on peut raconter. Il y a une flexibilité énorme”, confie le Français. Il décide cette fois-ci de travailler avec un compatriote : Barnabé Fillion. Ce “nez”, expert olfactif et designer de parfums, a apporté tout son savoir-faire pour élaborer une recette originale et fraîche. Il y a quelques semaines, l’élixir Theodore a alors fait son apparition sur le marché britannique, en boutique (à la Soho Wine Supply à Fitzrovia par exemple) et sur certaines tables londoniennes. “Quand je me suis plongé dans l’histoire du village d’Ardross, j’ai découvert qu’entre le VIème et le Xème siècle, il y avait une confédération de tribus qui s’appelait les Picts. Le premier à en avoir parlé était un graveur Theodore de Bry. J’ai donc voulu redonner vie à ce personnage lié en quelque sorte à l’histoire de notre distillerie”, explique Barthélémy Brosseau.
Outre le whisky et le gin, le Français s’attaque aussi au mezcal, venu directement du Mexique et baptisé pour l’occasion Alastor. Les origines du nom de cette édition se trouvent cette fois-ci dans la littérature : “Cela vient du livre ‘Au-dessous d’un volcan’ dans lequel est cité le texte de Percy Shelley qui s’appelle ‘Alastor ou le génie de la solitude’, Alastor étant censé représenter le génie créatif, le démon qui vient réveiller la créativité chez les gens”, lance le Français, toujours plein de poésie. Un nom parfait pour un alcool qui a besoin de soleil et de temps pour révéler toute sa saveur. La littérature sera à nouveau très inspirante pour le Français puisque pour son Armagnac, Château La Lune, c’est Cyrano de Bergerac et son Histoire comique des États et Empires de la Lune qui le guidera dans son choix.
Des projets, Barthélémy Brosseau n’en manque pas. Mais l’homme aime prendre son temps et l’explique à nouveau à sa manière, à la fois très lyrique et romantique. En même temps, rien de vraiment étonnant venant d’un jeune homme qui a publié un premier roman à 25 ans. “C’est comme si vous vous baladiez un soir de printemps et que vous voyez, au fond d’une forêt, une très belle demeure. Vous poussez ses deux immenses portes et à l’intérieur, vous découvrez un flot de créativité et d’expérimentations. Vous voudriez rester là toute votre vie mais malheureusement il faut repartir. En quittant cette grande maison, vous vous retournez et vous voyez qu’elle repose sur trois grands piliers : l’Ecosse, le Kentucky et le Japon. On a déjà l’Ecosse, et maintenant on rêve de construire d’autres distilleries dont une dans le Kentucky pour le bourbon et une au Japon pour le whisky japonais. C’est ça notre histoire”.
Il ne veut donc pas s’imposer de délais, “de toute façon, dans les spiritueux, cela ne serait pas possible, la maturation des liquides étant longue de nature. On espère juste construire quelque chose qui perdurera. Aujourd’hui, on souhaite avant tout s’assurer que les fondations de l’entreprise soient solides”.