“On se croirait dans un paquebot, c’est le France, le Queen Mary, c’est magnifique. Là c’est la folie des grandeurs, c’est le grand restaurant. On se pince, mais on n’est pas blasés”, lance Eric Chavot, ne sachant plus où donner de la tête en contemplant son nouvel outil de travail. Avec une longue carrière derrière lui, le chef français de 52 ans en a vu des cuisines et des restaurants étoilés, mais lorsqu’il parle de Bob Bob Cité, il a encore du mal à réaliser. Ouvert depuis vendredi 10 mai, ce nouveau restaurant truste le Leadenhall Building, un des plus grands gratte-ciels de la City. Pour cette nouvelle aventure, le propriétaire russe Leonid Shutov a choisi de donner les clés de la cuisine au Français dont la réputation n’est plus à faire à Londres.
Le projet de cet établissement a été complètement bâti autour du Français, présent sur lieux dès la pose de la toute première pierre du restaurant. Chez Bob Bob Cité, Eric Chavot a décidé d’imprimer son style singulier en s’amusant. “Le menu du restaurant, c’est le mien. Quand je suis arrivé ici, le deal avec Leonid c’était que je me fasse plaisir à mon âge”, explique-t-il. Justement, s’il y a bien une cuisine avec laquelle le chef se fait plaisir, c’est la française, avec son savoir-faire hérité de ses innombrables expériences londoniennes mais aussi et surtout de sa tendre enfance. “L’essence de ma cuisine, c’est celle de ma maman. Mon menu est composé de souvenirs”, précise le natif d’Arcachon.
Jusqu’ici, la recette semble fonctionner pour le nouveau restaurant qui se voit parfois obligé de contenir la quantité de clients venant déguster ses plats français, quasi exclusivement faits-maison, du fait de la taille relativement petite de l’équipe de cuisiniers qui entourent Eric Chavot. En effet, ce dernier confesse quelques petits problèmes qui gênent encore le fonctionnement optimal du restaurant, laissant alors transparaître son perfectionnisme et une certaine exigence du très haut niveau qui est la sienne. Il déplore aussi des difficultés à recruter des jeunes cuisiniers, qu’il explique par le contexte actuel notamment lié au Brexit. “Pour l’instant, comme on a un petit effectif, on maintient le nombre de clients assez bas. L’équipe est très petite et il ne faut pas leur faire peur ! Ce ne sont que des petits jeunes donc il faut leur expliquer chaque plat. J’ai même dessiné le menu pour essayer de leur faciliter la tâche : ils n’ont que 4 plats par section. En plus, ils ne peuvent pas se plaindre car ils ont un outil de travail exceptionnel. Ce sont des cuisines dont on rêve quand on est enfant”.
Pourtant, lorsqu’il était enfant justement, ce n’est pas tant de cuisine que rêvait Eric Chavot mais plutôt d’hôtellerie. Alors qu’il valide avec succès son brevet des collèges, le jeune Arcachonnais souhaite s’inscrire dans une école hôtelière à l’âge de 15 ans. Seulement, sa moyenne en cours d’anglais frisant avec la note minimale et le désamour que lui porte sa professeure en la matière l’empêchent de réaliser sa volonté. Ne sachant que faire, il prend son mal en patience et s’oriente alors en apprentissage dans la restauration.
Après des mois à faire la plonge dans un petit restaurant, celui-ci l’emploie comme apprenti pendant deux ans. L’expérience n’est pas concluante et le jeune Eric Chavot se retrouve une nouvelle fois sans travail. C’est par le biais d’un ami qu’il trouve une opportunité au sein d’un petit établissement au bord des dunes et du bassin d’Arcachon tenu par “Monsieur Lahie” et qui sera pour lui un déclic. “Il m’a employé comme commis et ça a changé ma vie. Pendant deux mois et demi avec lui, je ne voulais pas rentrer à la maison. Et sans Monsieur Lahie, on serait pas là aujourd’hui”. Une fois piqué par le virus de la cuisine, le Français, alors à peine majeur, décide d’aller tenter sa chance du côté d’une capitale mondiale de la gastronomie : Londres.
Parti avec 100 livres en poche – vite dépensés – et sans parler un mot d’anglais, le Français atterrit dans le quartier de Bayswater dans un hôtel quatre étoiles où il travaillera pendant six mois en 1986. Celui qui n’avait alors connu que les forêts de pins girondines se souvient de ses premières impressions dans la ville-monde. “C’était extraordinaire car on était à côté de Hyde Park, donc on allait courir autour de la Serpentine le matin, on se baladait à Piccadilly le soir…”.
Rapidement, Eric Chavot est engagé par le chef français Pierre Koffmann dans son restaurant “La Tante Claire”, décoré de trois macarons par le guide Michelin. Pour la première fois, il entrait dans le monde des plus hautes sphères de la gastronomie et depuis il ne l’a plus vraiment quitté. Pendant une décennie, le Français travaille avec des noms immenses de la restauration à Londres tels que Raymond Blanc ou Marco Pierre White jusqu’à ouvrir son premier établissement en 1995, “Interlude de Chavot”, qui décroche une étoile en quelques mois. C’est quatre ans plus tard que la carrière d’Eric Chavot prend un autre tournant lorsqu’il devient la figure centrale du célèbre restaurant “The Capital Restaurant”. En dix ans à sa tête, ses plats inspirés de cuisine française récoltent deux étoiles Michelin.
Lorsqu’il se retire de l’établissement, Eric Chavot, dont le talent n’est plus à prouver, est convié par les propriétaires du grand magasin Selfridges à venir travailler pour une saison dans un de leurs clubs privés en Floride. “Je devais y rester quatre mois et ça a finalement duré deux ans et demi”, dit-il avec amusement. Pourtant, si le chef français a quitté Londres, c’est surtout pour mieux y revenir.
Sorti grandi de cette expérience floridienne, celui qui a mûri sait désormais ce qu’il veut : “Ne plus faire de cuisine pour le Michelin mais avant tout m’amuser”. C’est dans cette optique qu’il ouvre en 2013, “Brasserie Chavot”. L’ironie de cette histoire est que malgré son désintérêt pour les étoiles qu’il a tant cherché par le passé, celles-ci le retrouvent dès l’année suivant l’ouverture de la brasserie qui porte son nom. Lorsque son restaurant ferme en 2015 pour des raisons immobilières, Eric Chavot rejoint le projet de Leonid Shutov, Bob Bob Cité, avec la même philosophie.
Aujourd’hui, après cette carrière marquée par des rebondissements en tout genre, Eric Chavot n’est toujours pas fatigué. Avec Bob Bob Cité et ses quelques 260 couverts, celui qui a pour coutume de très peu se reposer s’est trouvé un nouveau challenge qui ne changera pas ses habitudes. Mais cela lui importe peu. “Je ne prends jamais de vacances mais c’est pas un problème. Pour les autres, c’est du travail mais pour moi, c’est du bonheur. Disons que si vous avez une cuisine, des ingrédients, des clients, et bien le reste ce n’est pas bien grave…”.