“Je n’aurais pas fait la démarche, du moins pas si vite. Le Brexit a précipité les choses.” Stéphanie Toubol est une juriste française qui vit à Londres depuis 5 ans et envisage de demander la nationalité britannique. Comme elle, ils sont de plus en plus nombreux – Français et autres Européens vivant au Royaume-Uni – à vouloir effectuer cette démarche. Notamment pour se protéger du Brexit.
“J’ai vécu l’essentiel de ma vie active ici, sourit Stéphanie Toubol. J’y ai mes amis, ai acheté un appartement… Je souhaite pouvoir rester aussi longtemps que je le souhaiterai.” Détentrice du statut de “résidente permanente” depuis mars, la jeune femme souhaite demander la nationalité britannique dans quelques mois (“résidence permanente” ou “settled status”, il faut attendre 1 an, une fois le statut obtenu, pour faire sa demande de naturalisation, ndlr). Une manière, aussi, pour la Française de se prémunir de toute difficulté potentielle liée à la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. “Les boîtes vont être obligées de faire des ‘checks’ sur tout leur staff pour s’assurer que les gens ont le droit de travailler… Avec la nationalité, ça me semble plus facile. “
Éviter les complications, avoir davantage de garanties, c’est aussi ce que se sont dits Marie Petriacq-Dobson, qui est devenue Anglaise en 2017, et Cylia Rousset-Carpentier, actuellement en pleine démarche de naturalisation. “Le vote du Brexit a déclenché une incertitude concernant le statut des ressortissants de l’Union européenne et acquérir la citoyenneté britannique apporte une certitude”, résume Marie Petriacq-Dobson, qui vit depuis une quinzaine d’années au Royaume-Uni et attend des enfants d’un époux britannique, dont elle souhaite qu’ils aient la double nationalité.
“Cela pourrait être compliqué pour mon mari de retrouver du travail en France, si jamais nous devions repartir, indique, de son côté, Cylia Rousset-Carpentier. Quant à nos filles, nous souhaiterions leur laisser la possibilité de faire leurs études ici, sans s’inquiéter, par exemple, d’une éventuelle hausse des tarifs de l’université pour les Européens à l’avenir. ” Sa crainte ? Que le “settled status” ne soit pas assez protecteur, que les droits actuellement promis aux résidents européens soient un jour modifiés.
Et elle n’est pas la seule à s’inquiéter. Le nombre de candidatures à la naturalisation déposées par des personnes originaires de l’Union européenne a littéralement triplé entre 2016 et 2018 (elles étaient près de 50.000, l’an dernier, voir les tableaux sur la “citizenship”). Les Français étaient un peu plus de 4.000, en 2018, à avoir effectué cette démarche. Contre un millier, environ, en 2016. “Beaucoup de ressortissants européens ne font plus confiance au gouvernement britannique et son système de ‘settled status’. Ils ont le sentiment qu’ils doivent faire une demande de nationalité pour sécuriser le statut de leur famille sur le long terme”, indique Nando Sigona, spécialisé en migrations internationales à l’université de Birmingham.
“Avoir la ‘citizenship’ n’est toutefois pas une nécessité à l’heure actuelle , insiste Héloïse Kawaishi, avocate chez Jurisglobal, un cabinet basé à Londres et spécialisé entre autres dans le droit de l’immigration. La jeune femme rappelle qu’il existe, à quelques exceptions près, une véritable équivalence entre les statuts “pre-settled” ou “settled” et la nationalité britannique, en matière de droits (droit de travailler au Royaume-Uni, d’avoir accès au système de santé, aux études, aux prestations sociales, à la retraite…). Mais l’immigration reste un sujet “sensible”, selon elle, susceptible d’évoluer en fonction des échéances politiques. “Dans ce contexte, la British citizenship peut être une garantie…”
“Le ‘settled status’ vous donne accès à des droits mais pas de façon permanente, note de son côté Maike Bohn, représentante du mouvement The 3 Million, qui cherche à protéger les résidents européens en Grande-Bretagne. Vous pouvez par exemple les perdre après de longues absences (plus de 5 ans) hors du Royaume-Uni”. Le mouvement milite actuellement pour que les droits des Européens soient inscrits dans la prochaine législation sur l’immigration.
De manière générale, la nationalité britannique s’obtient après au moins 5 ans de résidence (3 si la personne est mariée à un Anglais), le passage de deux tests portant sur la maîtrise de la langue, pour l’un, la connaissance de la société britannique, pour l’autre, l’absence de graves infractions… Pour Cylia Rousset-Carpentier, c’est surtout le fait de devoir prouver sa résidence qui s’est avéré un peu ardu. “Il faut vraiment tenir l’agenda de tous vos déplacements à l’entrée et la sortie du Royaume-Uni.” Les tests de langue et de civilisation sont quant à eux relativement accessibles, d’après elle, même s’il faut “travailler un peu” le second. Le dépôt d’une demande de naturalisation s’accompagne d’un paiement de £1.300 environ (auxquels peuvent s’ajouter d’autres frais liés à la traduction, aux tests, à d’éventuels frais d’avocat…).
Le détail des démarches à effectuer pour un dossier de naturalisation est consultable ici, sur le site du gouvernement britannique