Pour faire face à la pénurie de main-d’oeuvre entraînée par le Brexit, certains commerçants français ont pris la voie du sponsorship ou licence de parrainage, nouveau mécanisme de recrutement mis en place par le gouvernement britannique. Parmi eux, des restaurateurs, à l’instar de Jean-Marin Bolot et Walter Lecocq, devenus récemment sponsors leur permettant ainsi d’embaucher dans leur établissement des travailleurs européens et internationaux. Certes satisfaits de leur démarche, ils constatent néanmoins avec tristesse que l’âge d’or du recrutement fait bel et bien partie du passé.
Après avoir perdu près d’un tiers de son personnel pendant la crise sanitaire de 2020, Jean-Marin Bolot n’est pas parvenu à recruter de la main-d’oeuvre aussi facilement qu’avant l’entrée en application du Brexit. L’équipe de son pub, le William IV, s’est retrouvée en sous-effectif après les nombreux départs de ses employés européens et dont les droits de résidence et d’emploi furent perdus en janvier 2021. C’est pourquoi il a « décidé de déposer (ma) candidature pour être “sponsor” ou parrain de travailleurs qualifiés, de manière à employer des gens en règle ».
Propriétaire de quatre brasseries françaises à Londres depuis seize ans, Walter Lecocq, explique avoir constaté un changement dans la démographie de la restauration. « Avec le Brexit et la crise sanitaire, le paysage de la restauration à complètement changé. Une bonne partie des Européens sont partis, on se retrouve avec des gens très peu motivés », déplore le restaurateur français.
Ainsi, obtenir la licence de parrainage donne le droit aux employeurs d’embaucher des travailleurs à l’extérieur du Royaume-Uni. Plusieurs choix sont présentés aux employeurs en fonction des contrats qu’ils souhaitent proposer à leurs futurs employés. Dans le cas des “travailleurs qualifiés”, Jean-Marin Bolot a dû obtenir l’approbation du Home Office (ministère de l’Intérieur) en tant qu’entreprise éligible au permis de parrainage. Il doit également respecter un des trois critères salariaux figurant sur le site du gouvernement. Le premier est un salaire annuel de £25,600 au minimum, le second est un taux horaire de £10.10 (soit 20 centimes de plus que le salaire minimum britannique et 0.95 centimes de moins que le salaire minimum londonien, fixé à £11.05 de l’heure en 2022) et le dernier est de suivre le salaire fixé par l’activité pratiquée.
Walter Lecocq explique avoir connu quelques difficultés liées à sa candidature. « Monter le dossier n’est pas des plus faciles. J’ai été refusé deux fois, la troisième était la bonne », affirme le fondateur de Gazette, « l’anglais n’étant pas ma langue maternelle, j’ai l’impression que le ministère de l’Intérieur n’a pas rendu les choses faciles pour nous.» En plus des obstacles posés par la constitution du dossier, les deux propriétaires français ont dû s’acquitter de la somme de £536 par employé parrainé, et les employeurs doivent, eux aussi, débourser une somme d’argent importante pour obtenir un permis de travail au Royaume-Uni pour leurs futurs salariés. Les frais de candidature varient entre £625 et £1,423, coûts à ajouter à l’avance obligatoire de paiement de la sécurité sociale britannique de £624 par an. Enfin, les comptes bancaires des candidats doivent être fournis d’un minimum de £1,270 pour être considéré comme candidat viable.
Les candidats désireux de s’installer au Royaume-Uni doivent ainsi prévoir un minimum de £2,500, un montant qui, selon Jean-Marin Bolot, constitue un obstacle majeur à l’embauche. « De notre côté en tant qu’employeur, les démarches sont longues et coûteuses. Elles le sont également pour le candidat, qui doit attendre jusqu’à douze semaines pour obtenir une réponse », explique Jean-Marin Bolot avant de constater, « nous sommes face à des candidats qui souhaitent vivre une nouvelle aventure, mais qui n’ont pas les fonds suffisants. Le parrainage ne permet pas d’ouvrir pleinement le robinet du recrutement, au contraire.»
Malgré le caractère fastidieux des procédures administratives requises, Walter Lecocq et Jean-Marin Bolot sont parvenus à trouver du personnel. Le propriétaire de Gazette explique avoir publié des offres directement en France auprès de Pôle Emploi International. Il a reçu près de 70 candidatures « toutes très bonnes », et a adapté sa stratégie de recrutement aux nouvelles demandes du gouvernement britannique. « Je demande systématiquement aux candidats s’ils sont informés sur le permis de travail à obtenir pour travailler ici depuis le Brexit. Personne n’est surpris mais nombreux sont ceux qui sous-estiment l’investissement financier que cela représente.»
Jean-Marin Bolot quant à lui est parvenu à recruter deux travailleurs de nationalité indienne, déjà établis au Royaume-Uni et ayant une bonne connaissance du milieu de l’hôtellerie et de la restauration. Son statut de parrain leur permet de soutenir leur demande de permis de travail, et de prolonger leur résidence au Royaume-Uni. La patron originaire de Lyon déplore toutefois l’absence d’individus souhaitant créer une vie nouvelle au Royaume-Uni, caractéristique de la période pré-Brexit et de la libre circulation des individus dans le cadre du marché unique de l’Union européenne. « La plus grande difficulté reste de trouver des gens qui souhaitent rester à Londres dans la durée », confirme Walter Lecocq.