C’est une grève qui se déroule à dix mille kilomètres du Royaume-Uni et pourtant elle frappe de plein fouet l’industrie cinématographique du pays. Tout a commencé en mai 2023, après un appel lancé par les puissants syndicats des Writers Guild of America et de SAG-AFTRA (Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists). Dès lors, les scénaristes et les acteurs d’Hollywood ont cessé le travail. Les deux réclament alors “une refonte du système de rémunération pour prendre en compte l’essor de la vidéo à la demande pendant la pandémie et l’encadrement du recours à l’intelligence artificielle par les studios”. Si les premiers, après 146 jours de grève, sont finalement parvenus à un accord fin septembre, les seconds sont toujours à l’arrêt. Alors qu’une lueur d’espoir s’était entrevue mi-octobre, les négociations avec les grands studios et services de streaming ont été ensuite suspendues pour être finalement reprises il y a quelques jours.
Sauf qu’en attendant qu’un accord soit trouvé avec les acteurs, les activités de l’industrie cinématographique américaine n’ont pas encore repris. Si le Royaume-Uni est touché par cette grève, c’est parce que le pays possède de grands studios de tournage, comme celui de Pinewood qui accueille de nombreuses productions américaines. “La main d’œuvre y est moins chère et les Etats-Unis offrent une défiscalisation intéressante pour toutes les productions réalisées au Royaume-Uni”, explique Mathilde Levesque. La Française de 27 ans est troisième assistante réalisatrice. Un métier qu’elle exerce depuis quatre ans à Londres, après des études de cinéma à Beaconsfield.
Parmi les projets auxquels elle a participé, on compte la saison 3 de Ted Lasso (diffusée sur Disney Plus), ou encore il y a quelques mois la saison 2 de The Diplomat (diffusée sur Netflix). Elle travaillait d’ailleurs encore sur cette dernière série en juillet, mais tout s’est arrêté à cause de la grève à Hollywood. “Le tournage avait débuté en mai. Au départ, on ne voyait pas vraiment d’impact sur notre travail parce qu’en général un tournage se fait par bloc de deux épisodes sur une période allant jusqu’à un mois”, détaille Mathilde Levesque. Deux épisodes, dont le scénario était déjà écrit, ont pu ainsi être mis en boîte. “En juillet, on devait changer de réalisateur, mais sans nouveau scénario, rien ne pouvait être fait”.
La Française, comme le reste de l’équipe, a alors espoir que l’arrêt ne s’éternise pas. “On pensait que cela ne durerait pas plus de trois semaines et qu’ensuite la production reprendrait”, se souvient Mathilde Levesque. Or, ce n’est pas le cas. “On a reçu des messages nous disant qu’il fallait tout remballer, comme si le tournage était fini. Là, on a compris que cela devenait sérieux”. Des informations selon lesquelles les studios Pinewood resteraient portes closes jusqu’en janvier 2024 confirment les doutes de l’industrie cinématographique britannique. “80% des productions américaines se font là-bas, comme le dernier Deadpool ou le prochain Tim Burton. Avec cette crise, il y a eu une grosse remise en question : que vaut finalement l’industrie du cinéma au Royaume-Uni sans ces grosses productions ?”, lance la Française.
Sauf que cet arrêt n’est pas sans conséquences financières pour les personnes travaillant au Royaume-Uni. “D’habitude, je fais beaucoup de ‘dailys’. Je peux travailler quelques jours par ci par là, pour Netflix, Apple TV ou Amazon”. En moyenne, elle est payée £240 à £275 par jour. Se tourner vers les productions des chaînes comme la BBC, ITV et Channel 4 qui n’ont pas été impactées aurait pu être une solution. Sauf que la rémunération n’est pas la même et surtout parce qu’avec la grève tout le monde a eu la même idée. “On a tous essayé cet été de trouver des missions, j’en ai moi-même trouvé. Mais sur les quatre derniers mois, soit 120 jours, je n’en ai travaillé que 35”. Autour d’elle, elle a vu des amis accepter des jobs moins bien payés et moins qualifiés. “C’était la seule solution pour continuer à travailler dans l’industrie”.
Alors pour pallier ce manque à gagner, le temps que les activités reprennent, Mathilde Levesque a décidé de trouver un job qui peut payer les factures, même si elle se dit chanceuse de pouvoir compter sur le revenu de son compagnon. “Mon copain travaille lui aussi dans le cinéma, comme ‘spark’ (technicien lumière). Son dernier projet était le film Paddington 3. Comme c’est un film avec de l’animation, ils n’ont pas vraiment été impactés par la grève des acteurs”, souligne l’assistante réalisatrice. De quoi soulager le couple. Mais la jeune femme n’est pas du genre à se croiser les bras et propose ses services comme professeure de français et d’anglais, mais aussi comme baby sitter. Elle a choisi cette option pour s’offrir une certaine flexibilité. “Si je devais travailler dans un bar, comme c’est le cas d’une de mes amies, une Cast PA (elle s’assure que les acteurs soient bien sur le plateau entre autres, ndlr) qui travaillait jusqu’à la grève sur le dernier Bridget Jones, pour être disponible si quelqu’un m’appelait pour des ‘dailys’”.
Ce que Mathilde Levesque trouve stressant, c’est d’avoir le sentiment d’être retombée comme au temps de la Covid. “J’ai du mal à me dire que je passe mes journées à la maison”. Elle espère donc qu’un accord va être rapidement trouvé. “Mais je sais que si c’est le cas, cela va prendre du temps avant de retrouver les chemins des plateaux de cinéma, entre les amendements à l’accord, les renégociations et la validation finale”. Elle regrette cette grève, qu’elle estime ne pas concerner les techniciens. “Cela ne va ni améliorer nos conditions de travail, ni notre rémunération. Seulement celles des acteurs”.
Axel Morin, lui, se dit solidaire de ce mouvement qu’il trouve légitime, notamment sur les questions d’utilisation de l’intelligence artificielle. Ce Français de Londres de 37 ans, travaille depuis plusieurs années comme technicien lumière, a également travaillé sur la saison 3 de Ted Lasso. “Au départ, je travaillais en ‘dailys’ puis j’ai finalement passé des mois avec l’équipe”. Il était aussi sur le plateau de “Everything Now” (disponible sur Netflix) ou de la prochaine saison de Bridgerton. Sa compagne, elle, travaille pour des projets Disney. Mais, comme Mathilde Levesque, ils subissent de plein fouet l’arrêt des activités. “L’an dernier, j’avais pu travailler tout l’été et je devais même refuser des missions. Cette année, si j’arrivais à décrocher deux jours de travail par semaine, c’était une bonne semaine”.
Ce qu’Axel Morin regrette, c’est que le statut d’intermittent, tel que l’on connaît en France, n’existe pas au Royaume-Uni. “Le syndicat BECTU (Broadcasting, Entertainment, Communications and Theatre Union) a lancé une pétition pour créer ce statut, mais rien n’a changé”. Le travail étant plus rare, le technicien lumières a alors décidé de chercher un travail temporaire pour pouvoir payer son loyer et les factures. “Le problème est que tout le monde cherche des missions, notamment en télévision ou dans la publicité. Sauf que la BBC, ITV et les autres ne produisent pas autant que les plateformes comme Netflix, Disney ou Apple. Du coup, il y a peu de places et elles sont attribuées selon les réseaux des uns et des autres”.
Après avoir revu une première fois à la baisse leur budget, le Français et sa compagne ont à nouveau dû prendre des décisions sur leurs dépenses, notamment sur leur assurance santé. Axel Morin vient de trouver un job de postier en attendant que les activités reprennent. “C’est aussi une manière de retrouver une routine quotidienne, car c’est une sensation étrange de se retrouver à ne rien faire, alors quand on travaille, on a parfois des journées de 16 heures ”. Il espère que la situation s’améliorera d’ici janvier et se concentre sur ce nouvel emploi temporaire. Et même s’il y a quelques semaines, on lui a proposé un job pour une publicité, il a préféré décliner l’offre. “C’était bien en dessous de la grille salariale de l’industrie du cinéma. Mais pour la première fois, j’ai pris une minute pour réfléchir. Ce que je n’aurais jamais fait en temps normal”. S’il a refusé, c’est qu’il estime qu’”il vaut mieux que je me concentre sur un emploi qui va nous permettre, ma compagne et moi-même, de payer les factures en attendant de retrouver quelque chose de stable”. Comme le souligne l’acteur franco-américain Francis Dumaurier, interrogé par French Morning New York, “les producteurs ont fait blocage contre les scénaristes pendant des mois et ils ont finalement cédé”, donc tous les espoirs sont permis pour que les négociations entre les acteurs et les grands studios et les plateformes de streaming trouvent une issue favorable d’ici quelques semaines.
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