Après la longue pause due à l’épidémie de coronavirus, de nombreuses écoles en Angleterre accueillent à nouveau leurs élèves en ce début septembre. Parmi eux, un certain nombre de petits Français. En effet, des parents expatriés préfèrent inscrire leurs enfants dans des structures anglaises, ignorant les écoles françaises existant à Londres. Maintenir, autant que possible, ses enfants dans le système scolaire du pays d’où l’on vient ou bien décider de les immerger totalement dans la culture locale, au risque de rendre un peu plus difficile un éventuel retour en France ? Ces parents-ci ont fait le choix de l’immersion. Ils reviennent sur leur expérience et motivations.
L’idée, pour ces parents, est bien sûr de jouer à fond la carte de l’intégration. Ce que résument parfaitement Anne et Thomas (*), Français arrivés à Londres en 2012 avec leurs quatre enfants – Marie, Justin, Louise et Charlotte, âgés de 11 à 16 ans – tous scolarisés dans des établissements publics britanniques à Londres. “On voulait faire vivre à nos enfants une expérience de vie à l’étranger parce qu’on pense que ça peut aider à acquérir un esprit ouvert. On avait envie de faire vivre une immersion totale à tout le monde, de dire ‘on s’intègre dans un pays’ et s’intégrer passe par l’école.” Un avis partagé par Katia Hérault et son compagnon, Français également, qui auraient trouvé “dommage de ne pas profiter pleinement de l’environnement à la britannique” et qui ont, eux aussi, inscrit leurs deux enfants – Paul-Antoine (13 ans) et Eloïse (9 ans) – dans des écoles anglaises.
Une telle approche est naturellement liée au choix de vie des parents et à leur perspective d’avenir en Angleterre. Laquelle n’est pour l’heure limitée par aucun désir de retour. “Nous savions que nous ne voulions pas nécessairement rentrer en France donc l’intérêt d’une école française ne nous semblait pas essentiel”, explique Anouk Mariacci-Blua, maman de Juliette (12 ans) et d’Alexandre (10 ans). Une dimension peut-être encore plus marquée pour Sophie Jouffroy, qui vit depuis dix-huit ans en Angleterre et dont le mari est britannique. “L’idée de faire suivre à nos enfants une scolarité qui pour le coup aurait été ‘étrangère’ au pays où nous vivons ne nous paraissait pas justifié.”
S’ajoutent, pour certains, d’autres aspects pratiques. Avant d’habiter près de Lechtworth, en-dehors de Londres, Sophie Jouffroy et sa famille vivaient dans un quartier de la capitale mais se jugeaient, malgré tout, trop éloignés des écoles françaises. Quant à Anne, elle s’est aussi un peu inquiétée des possibles frais de scolarisation liés à l’inscription de ses quatre enfants dans un établissement français de l’étranger, nécessairement privé.
Pour les jeunes précédemment scolarisés dans le système français ou dans un autre pays, l’intégration a bien sûr eu ses quelques challenges. Assez rapidement surmontés pour Charlotte qui est rentrée en “year 3” (l’équivalent du CE1). La fillette ne parlant pas anglais, il a fallu un petit temps d’adaptation (plusieurs mois) mais l’enfant a été très entourée. Un “teaching assistant” lui a été assignée. Et même si, au début, il lui était plus simple de suivre les maths que la lecture, la jeune fille, aujourd’hui âgée de 16 ans, garde un bon souvenir. “Ce qui était sympa c’est que, même si j’avais parfois du mal avec la langue, j’étais incluse dans tout”, sourit-elle. Paul-Antoine avait lui un bon niveau d’oral à son arrivée (en “year 3” également) mais des difficultés à l’écrit et a lui aussi bénéficié de soutien. “Je suis admirative de leur capacité à intégrer des enfants qui ne parlent pas anglais, sourit sa mère, Katia Hérault. Les enfants rattrapent vite.” Pour les amis, Paul-Antoine, Charlotte et sa sœur Louise, en “year 1” (la grande section de maternelle, qui correspond à la première année d’école primaire anglaise), n’ont eu aucun mal à s’en faire.
La chose a en revanche peut-être été un peu plus délicate, au début, pour Claudia Cornillet (19 ans) arrivée en “year 10” (3ème). “Tout le monde avait déjà son ‘groupe’ et avait un peu de mal à accepter une nouvelle.” A quoi se sont bien sûr ajoutées les différences culturelles (Claudia et ses sœurs ont aussi la nationalité britannique mais avaient jusque-là passer leur vie en France) et linguistiques. “Et même si je comprenais déjà bien l’anglais…. Pour ma part, l’écrit a été plus facile que l’oral”, indique-t-elle.
Mais pour ce qui est de l’uniforme, symbole de l’éducation anglaise, aucun problème. “L’uniforme ne me dérangeait pas, sourit Claudia. A mes yeux, cela montre qu’il n’y a pas de différence entre les élèves.” La tenue a toutefois un peu embêté Paul-Antoine, au départ (il avait auparavant été dans une structure française à Londres). “Après, on s’habitue, explique-t-il. Et comme tout le monde était habillé pareil…”. Côté parents, enfin, on voit aussi le côté pratique. “Au début, j’avais un peu de mal avec l’uniforme que je ne trouvais pas vraiment esthétique, indique Sophie Jouffroy. Mais je reconnais que pour les parents, c’est pratique. On n’a pas trop de questions à se poser sur les vêtements à acheter.”
Outre la langue et l’immersion culturelle, les parents voient naturellement beaucoup d’avantages aux établissements qu’ils ont choisis. “Je les trouve très positifs par rapport au travail des enfants, note Anne. Ils soulignent beaucoup leurs progrès.” Un point que partage Sophie Jouffroy qui indique avoir aussi particulièrement apprécié l’année de “reception” (moyenne section) ainsi que les années “year 1” et “year 2”, qu’elle juge “bien adaptées à la mentalité de jeunes enfants.” Avec des activités “inspirantes” et “créatives”. “Ils les incitent beaucoup à prendre la parole en public, fait observer Katia Hérault qui avait, par ailleurs, beaucoup apprécié la place réservée au sport à l’école primaire (publique) anglaise de son fils. Et il y a aussi beaucoup de projets en groupe, de sensibilisation aux questions civiques…”
De son côté, Muriel Posnic-Boyce (dont les deux fils, Tom et Pierre, sont dans le système anglais) a eu l’impression d’un “soutien personnalisé” assez développé avec, notamment, pas mal de “teaching assistants” – profession qu’elle exerce par ailleurs – dans les classes. “Mais, bien sûr, tout cela dépend aussi des écoles.” “Le système anglais nous a toujours plu jusqu’à présent, indique pour sa part Anouk Mariacci-Blua, et me semble peut-être moins rigide que ce dont je me souviens ou peut parfois entendre du système français.”
Bien sûr, il y a des points moins positifs. Anouk Mariacci-Blua a préféré mettre sa fille dans le privé, “du fait du manque d’écoles publiques de qualité dans le quartier.” Katia Hérault et son compagnon ont aussi eu quelques difficultés, au début, pour l’inscription. “Les écoles publiques anglaises qui ont un bon niveau, c’est parfois difficile d’y accéder. Nous habitions près de plusieurs bonnes écoles britanniques mais nous n’étions pas assez proches. Il y a beaucoup de demandes et elles sélectionnent par la distance. Finalement, nous avons eu la possibilité de déménager et en avons profité pour nous installer près d’une très bonne école, publique donc, et avons pu y inscrire notre fils.”
Anne trouve elle que l’aspect “compétition” est parfois un peu marqué et que les jeunes, souvent évalués, peuvent être soumis à une certaine pression. Le GCSE (**), que les adolescents passent en seconde, demande par exemple pas mal de travail et est important car les notes comptent pour l’université. Sophie Jouffroy, pour sa part, regrette aussi une spécialisation qu’elle juge arriver peut-être un peu tôt à la fin du secondaire, les élèves ne passant souvent que trois matières aux A-levels (**). “Cela veut dire que pendant les deux dernières années de leur secondaire, il y a pas mal de matières sur lesquelles ils ne se concentreront pas.”
Pour certains, de petites inquiétudes pointent aussi quant à la maîtrise, écrite, du français. Anne a fait faire à ses enfants plusieurs heures de CNED (le Centre national d’enseignement à distance, qui se base notamment sur le programme de l’éducation nationale française), en primaire. “Je voulais au moins qu’ils sachent lire en français.” Katia Hérault envisage elle de faire prendre des cours particuliers à Paul-Antoine qui devrait, entre autres, choisir le français aux épreuves du GCSE. “Ça nous fait un peu mal de voir que nos enfants font pas mal de fautes d’orthographe mais c’est à nous de nous assurer qu’ils aient les bases.” En revanche, pour Muriel Posnic-Boyce, dont le mari n’est pas francophone, il n’était pas évident de parler français à ses garçons à la maison. Encore moins lorsque ceux-ci ont commencé à aller à l’école anglaise. Ce que la Française juge “dommage”. Pour autant, elle et sa famille n’ont jamais envisagé d’aller vivre dans l’Hexagone.
Le retour en France ou que les enfants fassent un jour le choix de rejoindre le système français, notamment à l’université, certains parents y pensent d’ailleurs. “Normalement, ils pourraient. Il leur faudrait peut-être un certain niveau de Delf (Diplôme d’études en langue française) mais ils pourraient. Et on pourrait facilement les aider à préparer”, indique Anne. Une perspective qui ne semble toutefois pas à l’ordre du jour de ces jeunes, désormais habitués au système anglais. Ou, plus largement, au monde anglo-saxon. Charlotte explique vouloir rester en Angleterre plus tard. “J’ai peur d’être un peu perdue en France. Et puis, dans l’idée, j’aimerais plutôt aller à une université anglaise, ça a toujours été comme ça.” Claudia Cornillet souhaite se former au métier de moniteur de ski au Canada. Quant aux enfants d’Anouk Mariacci-Blua, Juliette et Alexandre, qui ont passé l’intégralité de leur scolarité dans le système anglais, ils semblent se sentir davantage chez eux en Angleterre et veulent pour le moment étudier au Royaume-Uni. “Mais tout peut changer, qui sait”, sourit leur mère. L’immersion semble, en tout cas, avoir été complète.
———————————————————————————————–
(*) les personnes n’ont pas précisé leur nom de famille
(**) GCSE, le General Certificate of Secondary Education est l’équivalent de notre brevet des collèges / les A-levels, l’équivalent du baccalauréat