Indécrottable accent français qui poursuit la plupart d’entre nous, peu importe le nombre d’années passées en Grande-Bretagne. Les Français sont-ils vraiment condamnés à parler anglais comme une vache espagnole ? Quelles sont les motivations à perdre son accent et comment s’y prendre ?
« Zeu, zeu, zeu », s’échine Jean-Pierre Bacri face à sa professeure d’anglais exaspérée dans une scène culte du Goût des Autres. Hélas, il n’y a pas que cet article défini qui nous trahit dès les premiers mots. Pointons aussi le h, bande son nulle en français mais bien une consonne en anglais. « Beaucoup de Français mettent des h là où il n’y en pas et n’en mettent pas là où il y en a, remarque Valérie Gabail, coach de voix et d’accent. Ils ont énormément de mal à utiliser le souffle, tout simplement. C’est presque indécent pour eux ».
Des préventions auxquelles s’ajoutent pas moins de 20 voyelles anglaises, prononcées longues ou courtes ; des diphtongues (goat, dear) et triphtongues (player, hour) ; un même son qui peut s’orthographier différemment, ou inversement une même orthographe prononcée autrement selon le mot, « extrêmement trompeur pour un œil français ». De quoi perdre son latin. Sans compter le coup de grâce de l’accent tonique, qui, cerise sur le gâteau, se déplace allègrement au sein d’une même famille de mots. Voilà qui donne le « groove of English » … et du fil à retordre.
Impossible n’est pas français, aurait dit Napoléon. A condition d’un travail intensif, « comme en gymnastique, on ne récolte que ce qu’on y investit », prévient Valérie Gabail. Enregistrements, écoutes d’émissions, répétition des sons, parfois en s’accompagnant de gestes pour rythmer. « On pense que la réduction d’accent est très cognitive, mais en réalité c’est aussi extrêmement physique. C’est comme de la musculation ou de l’assouplissement de la bouche ».
Outre la bonne longueur de voyelle et sa bonne reconnaissance orthographique, il faut en effet trouver le bon moule vocal pour chaque son. « La langue et les lèvres doivent être spécifiquement au bon endroit. Par exemple, ‘ah’ est fait avec une bouche large, les lèvres sont larges et la mâchoire est baissée, comme si vous mordiez dans un sandwich », illustre Emma Serlin, fondatrice et CEO du London Speech Workshop. Sans oublier l’intonation. « Ça monte et ça descend, on souligne les mots importants et on utilise des pauses ». A force d’entrainement, « de nouveaux circuits neuronaux [sont construits] pour produire un son nouveau à la place de l’ancien ».
Si certains, notamment les chanteurs ou les musiciens ont un avantage comparatif, les autres connaitront plus de difficultés. « Cependant, avec un travail acharné et une pratique régulière, on peut perdre presque entièrement un accent étranger », rassure la Britannique.
La motivation principale, pour Valérie Gabail, est la recherche « d’impact et de crédibilité » dans le cadre professionnel. D’autres sont gênés par cet accent qui marque de façon trop évidente leurs origines étrangères ou les rend difficiles à comprendre. A la clé, un potentiel conflit entre « vouloir être fidèle à sa propre identité et à son lieu d’appartenance, et vouloir également s’assimiler et s’intégrer », note Emma Serlin, qui a consacré son mémoire de maitrise en psychologie sur le sujet. « La vraie question est : voulez-vous vraiment perdre votre accent ? », interroge-t-elle.