80% humaine, 20% bionique. C’est ainsi que Sarah de Lagarde se définit. La Londonienne, mariée à un Français et maman de deux jeunes adolescentes franco-britanniques, est une survivante de l’horreur. Le 30 septembre 2022, alors qu’elle rentrait du travail, elle glisse, à la sortie du métro à High Barnet, sur une flaque d’eau et tombe dans l’interstice entre la plateforme et le train. La voilà alors coincée sur les rails. Sauf que le métro redémarre, la traine plus loin, avant qu’un autre allant dans le sens inverse la ramène à nouveau à la station. “Je portais un manteau rose vif et un cordon de téléphone fluo. J’ai les cheveux blonds blancs”, racontait-elle alors en février dernier lors de son discours devant la Royal Court of Justice, alors qu’elle a décidé de poursuivre Transport for London (TfL) pour manquement.
Pourtant personne ne l’a vue pendant ces longues minutes. “Le chauffeur ne m’a pas vu tomber car il avait déjà quitté son poste pour faire une pause. Il n’y avait aucun personnel sur cette plateforme et personne ne regardait la vidéosurveillance. Personne n’avait répondu à mes appels à l’aide. Je suis restée sur les rails pendant 15 minutes avant que quelqu’un vienne m’aider. À ce moment-là, il était trop tard”. En effet, Sarah de Lagarde va y laisser son bras droit et sa jambe droite, en plus d’un nez cassé et des dents de devant fracassées à cause de sa chute.
C’est parce qu’elle pensait fort à ses deux filles que la Londonienne a dit avoir eu la force de tenir, jusqu’à ce qu’un voyageur sur le quai la remarque enfin et prévienne le personnel. Les secours ne pourront intervenir qu’une heure plus tard pour la dégager des voies. Une expérience traumatisante pour Sarah de Lagarde, qui, deux ans après, est toujours “en phase d’ajustement”. “Il a d’abord fallu accepter que mon bras et ma jambe ne reviendraient pas. Le cerveau a cette manière de se protéger en vous faisant croire que ce ne sera pas permanent, même si c’est faux”, confie la Londonienne. La frustration, elle la ressent tous les jours, poursuit-elle, surtout quand elle ne parvient pas à réaliser des tâches basiques de la vie quotidienne, comme “mettre une boucle d’oreille”. “C’est difficile de devoir demander de l’aide, je n’ai jamais eu l’habitude d’en demander avant mon accident, j’étais plutôt du genre à offrir mon aide. Aujourd’hui, je n’ai pas le choix”.
Cette résilience s’est forgée en même temps que la Britannique a dû réapprendre à marcher et à prendre possession de son nouveau corps. Aussi, elle a reçu beaucoup de soutien de la part de son mari, de ses filles, mais aussi de ses proches, qui vont lui semer une petite graine dans la tête. Celle de gravir à nouveau le Kilimandjaro. Un mois avant son tragique accident, elle avait en effet entrepris, avec son mari Jérémy, l’ascension de la plus haute montagne d’Afrique. Un rêve de longue date. “On en parlait depuis dix ans”, confirme Sarah de Lagarde, “c’était incroyable. Et ce fut le dernier moment où je me suis sentie aussi forte et en contrôle, j’étais heureuse et fière”.
Alors quand ses proches lui soufflent l’idée de retenter l’aventure, malgré l’accident, la Londonienne a dû mal à l’imaginer. D’autant plus qu’elle sait qu’elle va devoir vivre avec une prothèse au bras et une à la jambe. “Je trouvais ça un peu bizarre d’entendre dire ça alors que j’avais du mal à sortir de mon lit, ne serait-ce que pour aller aux toilettes”, raconte Sarah de Lagarde. Puis, elle se met en tête l’objectif de sortir de son lit, de remarcher, de reprendre ses muscles perdus lors de son hospitalisation… Bref, de revenir avec force. “Il y a six mois, j’ai senti que gravir à nouveau le Kilimandjaro devenait réel”, se souvient-elle. Si elle est aujourd’hui si déterminée, c’est qu’elle a envie de montrer à ses deux filles, âgées de 10 et 13 ans, que “même si la vie est difficile, si son esprit est positif, et avec du soutien et des gens qui croient en nous, tout est possible”.
La Londonienne sait que le challenge est de taille. “J’ai l’avantage de l’avoir déjà fait, mais les choses sont différentes maintenant”. Elle a fait des entraînements et des tests pour adapter au mieux la chaussette de sa prothèse de jambe, mais aussi l’articulation au niveau du pied et de la cheville. “Ma prothèse de bras a aussi été créée spécialement pour que je puisse utiliser un bâton de randonnée”. Car pour arriver au sommet, il faudra marcher 8 heures par jour. “Deux personnels médicaux, qui me suivent depuis le début, m’accompagneront”, détaille Sarah de Lagarde. Des experts dans les cas d’amputés et qui sauront apporter les premiers soins en cas de besoin. “Il y aura aussi deux guides locaux qui connaissent la montagne comme leur poche”. La Londonienne, qui sera également accompagnée de son mari et de ses deux filles, ne veut pas se mettre trop de pression. “C’est une aventure familiale, ce n’est pas que pour moi. Nous irons aussi loin que possible”, souligne Sarah de Lagarde. Ses deux adolescentes se sont bien entraînées avec leur mère et leur père, puisqu’elles ont gravi avec eux Ben Nevis et Scafell Peak.
Cette ascension est aussi l’occasion pour la Britannique de récolter des fonds pour STAND, une association caritative qui soutient les amputés dans les zones de conflit et les pays du tiers-monde avec un objectif de £25,000. “J’ai été très chanceuse d’avoir les meilleurs chirurgiens qui m’ont permis d’avoir les meilleurs soins”, reconnaît Sarah de Lagarde, “quand j’ai lu des articles sur ces enfants amputés sans anesthésie, je me suis dit que, certes mon bras et ma jambe ne reviendraient jamais, mais qu’il ne s’agissait plus simplement que de moi”.
Elle avait envie d’aider à sa manière les autres et cette association lui semblait la plus adaptée, puisqu’elle collecte d’anciennes prothèses, encore utilisables mais plus adaptées à cause de la chaussette permettant de protéger le membre, pour les envoyer dans plusieurs pays, dont la Tanzanie. “STAND envoie par exemple des cliniciens à Moshi pour former le personnel médical sur place sur comment mettre les prothèses pour qu’ensuite les amputés puissent les utiliser correctement”.
Le grand départ est prévu jeudi 8 août. En même temps que cette grande aventure va enfin devenir réalité pour la famille de Lagarde, la Londonienne continue de mener son combat judiciaire contre TfL. En février dernier, elle a donc décidé de poursuivre la compagnie de transports londoniens, l’objectif étant que cette dernière accepte sa responsabilité dans l’accident survenu le 30 septembre 2022.
Mais pas seulement. Car le combat de Sarah de Lagarde est de faire en sorte que les quais soient plus sûrs pour tous les usagers. Elle a même lancé une pétition, qui a déjà récolté plus de 42,000 signatures. “Il est possible de faire mieux”, assure-t-elle. Sauf que “rien n’a été fait, rien n’a changé” depuis deux ans. “TfL veut faire croire que mon accident est une circonstance exceptionnelle, mais c’est faux. Ses statistiques le montrent puisque, depuis 2022, 16 incidents de ce type ont eu lieu par mois, soit environ 400 en deux ans, avec des morts ou des blessures qui changent des vies”.
Des données qui seraient pas assez pertinentes pour TfL, si elles sont ramenées aux millions de voyages effectués tous les ans sur son réseau. “Mais il ne devrait y avoir zéro accident”, martèle Sarah de Lagarde. Ce qui l’énerve, poursuit-elle, c’est que la technologie nécessaire pour éviter ces drames existerait. “J’ai rencontré le directeur financier de l’entreprise Purple Transform, qui utilise l’intelligence artificielle pour avoir de la vidéosurveillance en direct, des capteurs de bruit qui placés stratégiquement permettent de déclencher une alarme… Des outils plus sophistiqués que boucher des trous”.
L’entreprise aurait offert ses services à TfL, qui les aurait déclinés, selon la Londonienne. “Mes deux filles prennent les transports en commun et à chaque fois j’ai peur pour elles car j’ai sacrifié mon bras et ma jambe dans cet accident”. La Britannique espère donc voir les choses bouger, afin que chacun puisse utiliser le métro sans crainte et sans accident. “Ce sont des transports publics, donc qui doivent être faits pour tous”.
Pour en savoir plus : ici