Depuis plusieurs années, la Française travaillait comme chef de projet en entreprise, mais l’arrivée de la pandémie l’a amenée à repenser ses priorités. “Pendant le confinement, j’ai démissionné en me disant que j’allais profiter de mes enfants, réfléchir et chercher un travail en entreprise après la crise. Finalement, je n’ai jamais cherché”, se souvient Astrid Roussel, fondatrice d’Astrid’s Petite Cuisine, une boulangerie française dans le sud du pays de Galles. Comme beaucoup de personnes confinées, Astrid Roussel, en totale autodidacte, s’était en effet mise à pâtisser et confection du pain. Quatre ans plus tard, elle n’a jamais arrêté. L’entrepreneure vend aujourd’hui ses créations, propose des cours de cuisine, et envisage même de fonder sa propre boutique.
Astrid Roussel, originaire de Franche-Comté, a commencé sa carrière comme formatrice d’anglais en entreprise. En 2008, elle s’expatrie au Pays de Galles pour rejoindre son futur mari, mais continue de former. “J’adorais enseigner, mais ce n’était pas un emploi très stable, alors je suis devenue chef de projet”, raconte-t-elle.
Cependant, ce poste à responsabilité devient très stressant pour la Française. “À l’annonce du confinement, j’ai continué en télétravail et il y avait beaucoup de pression de la part de la hiérarchie. Cela commençait vraiment à me peser, surtout avec deux jeunes enfants à la maison”, explique-t-elle. C’est alors qu’elle décide de démissionner, le temps que la crise passe.
Pendant la pandémie, les frontières sont fermées, rendant la situation encore plus difficile pour les expatriés, séparés de leur famille et de leur pays pendant de longs mois. Pour retrouver un peu de France, Astrid Roussel prend une décision qui va changer sa vie : se lancer dans la pâtisserie pour s’évader. “Comme tous les Français, j’ai grandi en allant à la boulangerie chercher du pain tous les jours. Je voulais que mes enfants vivent cette expérience, mais nous ne pouvions pas y aller. Alors, j’ai commencé à faire du pain et des brioches à la maison”, confie-t-elle .
Au début, Astrid Roussel cuisine pour ses enfants et pour occuper ses journées durant le confinement. Mais découvrant sa passion pour la boulangerie et ayant “une personnalité assez obsessionnelle”, elle ne quitte plus son tablier et se met à en faire encore plus, distribuant ses créations à ses amis et voisins.
Tout change le jour de l’anniversaire de rencontre avec son mari. “Pour célébrer cette date, nous avons commandé un ‘afternoon tea’ à la maison et mon mari m’a dit : ‘Tu devrais faire la même chose mais à la française, un French brunch'”, se souvient Astrid Roussel. Elle ne prend pas cette suggestion au sérieux au début. “Je lui disais : ‘Arrête, je ne vais pas devenir boulangère’, mais l’idée a germé. Six mois après avoir quitté mon travail, je n’avais absolument pas envie de retourner dans une hiérarchie. Je m’habituais à ma liberté”, raconte la Française.
Après avoir passé plusieurs mois dans sa cuisine à s’améliorer, la boulangère commence à prendre des commandes de chez elle, à Newport, en février 2021. Elle vend des “sunday boxes” contenant cinq pâtisseries d’inspiration française et une baguette, et le concept prend.
Puis en 2022, le hasard joue encore en sa faveur. À peine un an après le lancement de son entreprise, Astrid’s Petite Cuisine, nommée ainsi en référence à ses débuts à domicile, un ami lui parle d’une cuisine professionnelle à louer à Cardiff. “C’est tellement rare de tomber sur une cuisine totalement équipée pour la pâtisserie et la boulangerie, je ne pouvais pas dire non”, se justifie la passionnée de cuisine. Ainsi, Astrid Roussel passe de son petit four et mixeur à une cuisine avec d’immenses installations.
À ce stade, la boulangère propose des commandes tous les week-ends, que les clients peuvent venir chercher directement à la cuisine, et organise régulièrement des magasins éphémères pour vendre et faire découvrir ses produits.
“Au départ, j’avais un syndrome de l’imposteur. Je ne viens pas d’une famille de boulangers et je ne faisais même pas de gâteaux avec ma mère. J’allais simplement à la boulangerie chercher le pain.” Astrid Roussel a tout appris sur internet dès ses premières créations pour ses enfants. “Je regardais YouTube en boucle. J’ai trouvé des boulangers que je souhaitais imiter. Voulant faire des viennoiseries et du pain, je me suis concentrée sur des Français.” C’est ainsi qu’elle découvre la chaîne Boulangerie Pas à Pas, créée par un professeur de CAP et BEP boulangerie qui met des vidéos en ligne pour que ses élèves puissent continuer à apprendre pendant la pandémie.
“Je ne me suis jamais cachée. Je n’ai jamais prétendu être formée, je disais que j’apprenais toute seule, et quelque part, c’est aussi une fierté de savoir qu’on peut y arriver par soi-même”, affirme l’artisane boulangère. Après deux ans de travail, Astrid’s Petite Cuisine se forge petit à petit une solide réputation, ce qui lui permet de rencontrer des confrères de la profession. “J’ai fini par rencontrer Fabrice Cottez de la chaîne ‘Boulangerie Pas à Pas’. Il est même venu à Cardiff. J’ai aussi fait plusieurs stages, je pars d’ailleurs en septembre à Paris dans une grande boulangerie pour améliorer mes techniques en viennoiserie. J’ai mis tellement d’énergie dans mon projet que je commence à me sentir à ma place”, explique-t-elle.
La principale difficulté pour Astrid Roussel en se lançant dans un nouveau métier était de “vouloir tout faire à la fois avant de se rendre compte que ce n’est pas possible.” Au début, elle voulait faire de la pâtisserie, puis du pain, et maintenant elle se concentre plutôt sur les viennoiseries. De plus, il a fallu du temps pour trouver un équilibre en tant qu’auto-entrepreneure après avoir été habituée à travailler en entreprise. “Les clients veulent leurs viennoiseries le week-end, donc je ne voyais plus ma famille, ça ne pouvait plus continuer comme ça”. Elle décide alors de réduire les pop-ups, d’embaucher quelqu’un pour cuire ses créations le week-end, et surtout de développer des ateliers en semaine pour transmettre ce qu’elle a appris.
Tous les cours qu’Astrid Roussel dispense sont en anglais et sa boulangerie cible principalement un public local, mais “la French touch” contribue grandement à son succès. “Mes clients ont une perception particulière de mes produits. Étant française, ils pensent qu’ils sont plus authentiques, semblables à ceux qu’ils achètent en France pendant leurs vacances”, explique-t-elle. Bien qu’il y ait d’autres boulangeries à Cardiff proposant des viennoiseries, Astrid’s Petite Cuisine est la seule à être dirigée par une Française, ce qui explique cet attrait. Astrid Roussel n’hésite donc pas à utiliser des mots français lors de ses ventes ou de ses cours pour ravir ses clients.
Cette authenticité lui a aussi permis de s’inscrire dans une communauté locale et tricolore. Par exemple, en 2022, la professionnelle lance une cagnotte de financement participatif pour acheter un four à pain, promettant en retour des pains ou viennoiseries aux donateurs. “Il y a une communauté française et britannique dont je suis très humble et fière. Le soutien a été incroyable”, s’émeut Astrid Roussel. Elle espère pouvoir compter sur cette communauté jusqu’au 10 juillet, date de clôture des votes pour le concours du meilleur croissant du Royaume-Uni auquel elle participe, une compétition rude face à des géants comme Harrods ou le célèbre Philippe Conticini.
Un autre rêve pour la Française serait d’ouvrir une boutique pour vendre ses créations à Cardiff. Son savoir-faire français est encore une fois un atout précieux pour y parvenir. Après avoir obtenu son four à pain, elle a été ajoutée à un groupe WhatsApp des propriétaires en Europe. Grâce à ce groupe, elle a pu échanger avec Tuile Bakery. Les artisans de cette boulangerie à succès de Liverpool, souhaitant apprendre ses techniques spécialisées en viennoiseries, ont accepté un échange de bons procédés : ils lui ont offert leur stratégie et leur expérience commerciale en échange de son savoir-faire français. “C’était une super journée. J’espère pouvoir ouvrir ma boutique prochainement et pourquoi pas me lancer dans du consulting pour aider les amateurs en boulangerie qui, comme moi il y a quatre ans, veulent se lancer”, s’enthousiasme Astrid Roussel.