Si les Britanniques ne sont plus concernés par ce vote, Brexit oblige, les ressortissants français vivant au Royaume-Uni, eux, sont appelés à élire dimanche 9 juin leurs 81 représentants au Parlement européen, parmi les 37 listes présentes. Selon le dernier Eurobaromètre, instance de sondages du Parlement européen, 57% des citoyens français établis au Royaume-Uni se disent prêts à se rendre aux urnes. Mais si certains sont en effet prêts à se déplacer et savent même pour qui voter, d’autres n’iront pas voter et ce, pour diverses raisons, dont celle de la distance entre leur lieu d’habitation et leur bureau de vote.
Clémence fera partie des Français du Royaume-Uni qui se déplaceront dimanche 9 juin aux urnes. Même si cela va lui coûter en temps et en argent. Car la jeune femme viendra de Cambridge jusqu’à Londres, en train, pour voter. “Habituellement, j’y vais avec une amie en co-voiturage, mais elle sera en vacances, elle m’a donné procuration. Je vais donc voter pour deux”, sourit-elle. Elle regrette qu’il n’y ait aucun bureau à Cambridge, alors même qu’elle considère que la communauté française est importante dans le secteur. Mais qu’à cela ne tienne, Clémence va faire d’une pierre deux coups en venant à Londres : voter et profiter d’une petite visite de la capitale anglaise. Pour elle, il est impossible de louper ce scrutin. “Le but est d’empêcher qu’il y ait trop d’extrême-droite au Parlement européen”, justifie Clémence, “c’est trop important”.
La jeune femme, arrivée en Angleterre en janvier 2020, soit avant l’entrée en vigueur officielle du Brexit, sait l’intérêt que représentent l’Union européenne et son parlement. Si elle confesse ne pas avoir voté en 2019, elle se justifie en expliquant qu’à l’époque elle ne se sentait pas encore concernée par ces élections. “J’étais beaucoup plus jeune, j’avais 25 ans. Mais les choses ont changé, j’ai vieilli et j’ai compris que l’Union européenne était bien plus que la PAC (politique agricole commune, ndlr), que le Parlement pouvait encourager ou imposer certaines pratiques, comme la fin de l’utilisation des sacs plastiques”. L’environnement est en effet une préoccupation centrale pour Clémence. “Je ne suis pas une activiste, mais en tant que citoyenne j’ai le devoir de voter”, résume-t-elle.
Sabrina glissera aussi son bulletin dans les urnes dimanche 9 juin, mais par procuration. Pour cette Française installée à Londres depuis plus de sept ans, voter est primordial. “Nous avons des droits et, en contrepartie, des devoirs. Le vote, qui selon moi devrait être obligatoire, en est un. C’est une chance de pouvoir donner son avis, qu’importe soit-il, même avec un bulletin blanc”, insiste-t-elle. Ainsi, Sabrina n’a manqué aucune élection depuis son déménagement bien qu’elle ait choisi de ne pas s’inscrire sur le registre des Français établis hors de France. “Premièrement, je ne savais pas combien de temps j’allais rester au Royaume-Uni en arrivant. Et de façon générale, si un jour d’élection je suis absente de Londres ou que j’ai un problème de dernière minute, j’ai l’assurance de la procuration”, explique-t-elle. Un choix possible puisque sa famille vote dans le même bureau en France.
Concernant l’importance de ces élections, Sabrina affirme qu’elle aurait “voté que le Royaume-Uni soit sorti ou non de la communauté européenne.” Cependant, le Brexit “prouve l’importance du Parlement dans les négociations entre l’Europe et le Royaume-Uni”. Malgré son expatriation, la jeune femme se considère toujours Française et estime que l’élection du Parlement européen est essentielle pour le quotidien de ses compatriotes. “Énormément de lois européennes surpassent les lois nationales. Elles sont donc tout aussi importantes que celles votées au Parlement français.” Voter d’après elle, c’est donc “donner un certain poids à l’Union européenne face aux questions de droits humains et de politique migratoire, par exemple”.
De plus, avec le passage des listes régionales aux listes nationales, “cette élection devient encore plus politisée et importante, car elle agit comme une seconde élection présidentielle ou législative.” Pour Sabrina, “un vote, une voix, ça ne change pas le monde, mais ça peut changer quelque chose”.
Il y a aussi celles et ceux qui n’iront pas voter. Non pas par manque d’intérêt pour ce scrutin, mais pour des raisons logistiques. C’est le cas de Titouan et de sa compagne. Le couple vit depuis un peu plus d’un an à Cambridge, à 80 kilomètres de Londres. Là-bas, pas de bureau de vote prévu donc. S’il veut voter, le couple doit donc se rendre dans la capitale anglaise, dans un des bureaux installés à Wembley. Le problème ? “Le coût du voyage”, répond Titouan. £70 à eux deux “juste pour glisser une enveloppe dans une urne”. L’option de la procuration n’était pas possible pour eux, ne connaissant aucun Français à Londres. “On a donc abandonné l’idée”, conclut le jeune homme, même si cette décision ne lui fait pas plaisir, car il estime ce scrutin essentiel. “Ces élections sont très importantes, encore plus depuis que le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne. On voit bien que les choses se sont dégradées depuis, d’où l’intérêt pour les autres membres de rester dans le bloc”.
Pour Titouan, les autorités françaises devraient penser à ouvrir un bureau pour la zone Cambridge et Oxford, où, dit-il, “il y a une forte communauté française”. “Ou alors nous permettre de donner procuration en France”. Car le problème est que depuis la réforme des listes électorales mise en place en 2019, les Français établis hors de France doivent choisir entre voter dans leur pays d’adoption ou en France. “Si nous l’avions su, nous nous serions jamais inscrits sur le registre des Français de l’étranger en nous installant en Angleterre”.
Adeline n’ira pas voter non plus, et ce, pour les mêmes raisons que Titouan et sa compagne. Habitante dans les alentours d’Oxford, elle explique qu’elle ne peut pas se permettre de se déplacer jusqu’à Londres. “J’en aurai pour toute la journée juste pour voter”, lance-t-elle avant de souligner qu’elle serait obligée d’emmener ses trois enfants n’ayant aucune possibilité de garde. “Je vais devoir payer le train, puis une fois à Londres, attendre pour passer à mon bureau de vote avant de repartir”. Elle non plus ne connaît personne dans la capitale anglaise pour donner procuration. “C’est difficile de toute façon de demander à quelqu’un de voter pour soi, un vote ça peut se changer jusqu’à la dernière minute. Et puis, je n’aime pas l’idée de donner cette possibilité à n’importe qui, d’autant quand l’élection est très politisée”.
D’ailleurs, depuis qu’elle réside au Royaume-Uni, il y a déjà 14 ans, elle n’est jamais allée voter. A son grand damn. “J’ai toujours voté en France. Et même si je vis ici, je me sens toujours autant française, j’aurais donc voulu participer aux grands choix de mon pays”, avance-t-elle. Adeline se dit passionnée par la politique, elle travaillait même dans le domaine dans sa précédente carrière professionnelle.
Elle trouve dommage que le vote électronique, comme l’avait pourtant promis Emmanuel Macron, ne soit pas mis en place pour permettre aux Français de l’étranger habitant loin des bureaux de vote de pouvoir exercer leur droit de citoyen. “La seule fois où j’ai pu voter depuis le Royaume-Uni, c’est justement quand il y avait eu l’expérimentation du vote électronique pour les législatives de 2022. Le gouvernement ne nous a même pas tenu au courant des résultats de ce test”. La Française dit regretter que l’Etat ait oublié ses concitoyens installés à l’étranger. Son idée serait de relancer l’idée – et d’ailleurs pour tous les scrutins, même la présidentielle – ou même de permettre en place le vote postal ou encore donner l’autorisation d’établir des procurations aux membres de la famille restés en France.
Adeline explique qu’elle n’est pas seule dans ce cas, nombreux sont ses amis à Oxford qui vivent la même situation. Comme Titouan, elle s’en veut elle aussi de s’être inscrite sur le registre des Français établis hors de France à son arrivée au Royaume-Uni. “A l’époque, je pensais que cela allait faciliter mes démarches, mais ce n’est pas le cas. Tout devrait être fait pour nous simplifier la vie, mais au contraire, tout semble compliqué. Je me demande à quoi sert notre député, pourquoi il ne se bouge pas plus que ça. Même chose pour les sénateurs de l’étranger. Ils devraient tous s’emparer de ce genre de dossier”. Adeline dit penser aussi aux personnes vulnérables et âgées qui, comme elles, pourraient ne pas pouvoir s’exprimer pour ces élections. “Il n’y a pas que des étudiants à Oxford”, rappelle-t-elle.
Gaël non plus n’ira pas lui non plus voter pour ces Européennes. A l’instar Adeline, ce Français habite à côté d’Oxford depuis environ 16 ans. “Trop galère de se déplacer”, se justifie-t-il, “le système français n’est pas très au point par rapport à d’autres pays”. Depuis qu’il vit en Angleterre, il n’a jamais vu un seul bureau de vote installé dans son secteur, et pour lui, cela est bien regrettable. “Je suis beaucoup ce qu’il se passe en France, je lis les journaux français et j’écoute la radio, mais le gouvernement doit estimer que les Français de l’étranger ne comptent pas beaucoup”, explique-t-il.
La preuve, ajoute Gaël, “à part des informations sur les démarches administratives, le consulat ne nous a donné aucune autre communication sur les enjeux du vote. De nos jours, il pourrait organiser des visios”. Une remarque qui s’adresse aussi aux candidats à cette élection. “Je me souviens de l’hologramme de Jean-Luc Mélenchon pendant la présidentielle, alors faire un Zoom avec la communauté française, ça ne doit pas être si difficile”. Décevant, estime ainsi le Français.
Pourtant, il aurait aimé participer à ce scrutin. “L’Europe a un sens à mes yeux, elle est importante”, lance-t-il, d’autant plus en tant que Français vivant dans un pays qui a fait le choix de quitter l’Union européenne. Il aurait souhaité pouvoir participer au choix des députés qui auront le pouvoir de décider de la relation future avec le Royaume-Uni. “D’ailleurs, il faudrait que l’Union européenne collabore davantage avec le Royaume-Uni. Quand on voit certaines directions prises par le pays en matière d’immigration, il faudrait une Europe plus ouverte et collaborative pour montrer l’exemple sur ce qu’il faudrait faire”.
Si Salim n’ira pas voter, ce n’est pas parce qu’il habite loin – il vit à Londres -, mais parce qu’il n’a pas fait les démarches nécessaires pour participer au scrutin. Volontairement, précise-t-il. “Jusqu’à il y a encore peu, je ne croyais pas en l’utilité de ces élections européennes”, répond-t-il simplement. Mais il a changé d’avis il y a quelques semaines constatant “dorénavant que le Parlement européen a plus de pouvoir, d’importance”, juge le jeune homme, étudiant en master. Mais cette révélation est arrivée bien trop tard pour s’actualiser sur les listes consulaires.
Salim ne se souciait pas des Européennes, car, confesse-t-il, il n’a pas baigné dans la culture politique dès son plus jeune âge. “Nous n’en parlions ni à la maison ni à l’école”, commente le Français, qui a commencé à s’intéresser, seul, aux débats politiques. Sans pour autant s’intéresser à l’Europe. D’ailleurs, il n’avait pas voté en 2019. “Je n’étais pas encore convaincu de l’utilité du Parlement européen. Encore aujourd’hui, l’Etat-nation reste encore trop puissant”.
Salim regrette d’ailleurs que les candidats, lors de leur campagne, ne parlent pas véritablement d’Europe, mais s’enlisent dans “des faux débats nationaux”. “Il y a trop de clivage, pas de débats impartiaux”. Il souhaiterait que l’Union européenne soit davantage construite sur une version états-unienne, avec l’élection d’un ou d’une présidente et des Etats qui pourraient parfois voter leurs propres lois. “Mais on en est encore loin, il n’y a même pas d’harmonisation économique et fiscale par exemple”, avance-t-il, “il y a bien eu une tentative de créer un budget européen ou une armée, puis rien. En même temps, en France, on n’arrive déjà pas à se mettre d’accord sur nos politiques, alors si on doit penser au niveau européen, on finit par se dire que c’est impossible”. Salim croira véritablement en l’Europe le jour, dit-il, où les citoyens se sentiront d’abord européens avant d’être français, allemands, italiens ou autres.
(Article écrit en collaboration avec Anna Witz)
One Response
Tout à fait d’accord avec cet article. Je n’irai pas voter non plus, ni aux présidentielles, pour les même raisons de distance. Pourqoi ne pas établis une fois pour toute la possibilité d’un vote en ligne? Ici, en Engleterre, je peux voter soit par la poste, soit en ligne sans problèmes. Alors que ce passe-t-il dans notre administration?