Quand l’un des plus grands restaurateurs français étoilés de Londres décide de n’ouvrir son établissement que le soir faute de personnel, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. C’est ce qui est arrivé début juin quand Michel Roux Jr, patron du Gavroche, a posté un message sur Instagram, où il expliquait : “Depuis leur ouverture, les restaurants de tout le pays ont beaucoup souffert de problèmes de personnel en partie dus aux nouvelles réglementations du Brexit, ainsi qu’au manque majeur de professionnels de l’hôtellerie bien formés depuis que la pandémie a frappé. Alors que nous avons travaillé d’arrache-pied pour résoudre ce problème au cours des deux derniers mois, Le Gavroche est malheureusement en sous-effectif pour le moment. Nous avons donc décidé d’ouvrir uniquement pour le dîner (et ce) jusqu’à nouvel ordre.”.
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Romain Bourillon, à la tête des restaurants Cocotte, a lui aussi tiré la sonnette d’alarme sur le manque d’effectifs dans la restauration, qui pourrait avoir des conséquences très graves sur le maintien de l’ouverture de certains établissements. “Nous avons les clients mais pas les ressources. Cela prend beaucoup de notre temps et les résultats de nos recherches sont très faibles. Cela nous rend également préoccupés par le maintien de notre personnel actuel, nous faisons donc tout notre possible pour les conserver”, a-t-il déclaré chez nos confrères d’iNews.
Cette réalité n’est pas que celle de Michel Roux Jr ou de Romain Bourillon, comme le rapporte une nouvelle étude des groupes de conseil CGA et Fourth réalisée en juin dernier, qui montre que la moitié (51%) des dirigeants ont constaté que la réduction des possibilités de recrutement était un problème plus important qu’ils ne l’avaient anticipé depuis que la levée des restrictions en avril. “Neuf propriétaires d’entreprises hôtelières sur dix s’attendent à rencontrer des problèmes de recrutement cette année”, résume l’étude. “D’après nos données, le nombre de travailleurs de l’UE dans le secteur de l’hôtellerie-restauration britannique a diminué de 4% en comparant le premier trimestre de 2021 à 2019”, a expliqué de son côté Sébastien Sepierre, directeur général de Fourth, “cela, associé à une réduction de 12% du nombre de nouveaux entrants en provenance des pays de l’UE au cours de la même période, a exacerbé l’impact de la pandémie sur la main-d’œuvre disponible”. Selon le syndicat UKHospitality, le taux de vacance dans le secteur de l’hôtellerie-restauration serait de 9%, soit un manque de 188.000 travailleurs.
Une pétition a été lancée en mai dernier pour demander au gouvernement britannique un assouplissement “temporaire” des nouvelles réglementations migratoires “imposées aux ressortissants de l’UE et aux autres travailleurs migrants ayant une expérience de travail dans l’industrie de l’hôtellerie-restauration britannique”. “Cela pourrait être réalisé en créant un nouveau visa d’accueil ou en exemptant les ressortissants non britanniques, ayant une expérience reconnue, des exigences en matière d’immigration”, demande cette pétition, qui n’a rassemblé pour le moment que 1.700 signatures. Alors qu’il en faudrait au moins 10.000 pour que le gouvernement y réponde.
Jean-François Pioc, à la tête de deux restaurants à Londres, reconnaît, qu’entre le Brexit et la pandémie, il sera évidemment plus difficile de trouver de la main-d’œuvre française. “Avant on avait des étudiants qui venaient en apprentissage ou se faire une expérience. Mais avec le Brexit qui est devenu une réalité, c’est clairement plus compliqué”. Ce manque d’effectifs pour le secteur de la restauration s’explique aussi selon lui par le fait que les établissements ont rouvert tous en même temps. Autant de places pour moins de candidats, ce qui a eu pour conséquence des difficultés de recrutement.
Mais Jean-François Pioc n’a pas eu ce problème, car il avait gardé son équipe pendant les différentes fermetures de ces établissements lors des confinements successifs. Cela étant dit, bien qu’il reste optimiste, assure-t-il, il estime que recruter un Britannique ou un Français, ce n’est pas la même chose. “Un expatrié a plus la gnac qu’un jeune qui va vivre chez ses parents ou qui sort tout juste de son cocon familial. Certains Britanniques ont plus de mal à s’adapter à des jobs où il faut rester près de 7 heures debout. Le problème, si on doit les former, et c’est plus difficile qu’avant à cause de toutes les restrictions sanitaires”.
C’est pourquoi Jean-François Pioc a revu sa stratégie de recrutement pour faire face aux crises du Brexit et sanitaire. “Je vais ne prendre que des étudiants qui ont déjà de l’expérience ou des personnes qui souhaitent un mi-temps”. Et il se dit prêt à payer plus pour avoir des gens expérimentés. Un avis que partage James Reed, fondateur du site web de recherches d’emploi Reed, comme le rapporte iNews. “Avec une telle pénurie de personnel, les entreprises seront contraintes d’augmenter les salaires si elles veulent placer les bonnes personnes aux bons postes”, confie le patron. Des augmentations ensuite répercutées sur les clients ? Sans nul doute, selon James Reed.
D’autres n’ont cependant pas de problèmes de recrutement, comme ce restaurateur français de Londres, qui préfère garder l’anonymat. “J’ai gardé tout le monde pendant la pandémie (ils ont été placés en “furlough”, chômage partiel), donc quand on a repris on était au complet”, confie-t-il. Pour lui, le problème de Michel Roux Jr. c’est que ce dernier a licencié une bonne partie de son personnel pendant le premier confinement et que donc aujourd’hui le chef se retrouve le bec dans l’eau. “Ce n’est pas le seul. Par exemple, l’entreprise qui s’occupe de mon linge de table a viré 40% de son personnel lors de la pandémie, et n’arrive plus à recruter aujourd’hui”, ajoute le restaurateur.
La chance de ce patron c’est aussi qu’il a ouvert son établissement il y a tout juste un an et qu’il avait donc une petite trésorerie d’avance. “Quand on fait ce métier, il faut toujours s’attendre au pire”. Lui garde espoir et pense que les difficultés de recrutement ne sont que temporaires. “Il y a eu 700. 000 chômeurs en plus pendant cette crise, certains établissements, restaurants comme hôtels, ne vont pas rouvrir ou risquent de fermer dans les prochains mois. Donc il y aura de la main d’œuvre qui va se libérer, reste maintenant qu’il faut trouver des personnes qui aient la volonté d’apprendre car c’est plus qu’un métier, c’est un sacerdoce, où il faut travailler dur”.