Prégnantes au cœur de nos sociétés, les notions de masculinité et féminité façonnent la mode. A la fois la victime et le bourreau des normes genrées, elle a souvent imposé la conformité, au détriment de l’expression individuelle. « Dans une société patriarcale, l’identité masculine est souvent façonnée par des stéréotypes violemment toxiques. […] Toute référence possible à la féminité est agressivement interdite, car elle est considérée comme une menace contre l’affirmation complète d’un prototype masculin qui ne permet aucune divergence. » Ces mots d’Alessandro Michele, directeur de la création de Gucci, mettent en exergue cette pression normative qui plane sur les créateurs, aussi bien pour le public féminin que masculin.
Dans Fashioning Masculinities : The Art of Menswear, à découvrir jusqu’au 6 novembre 2022 au Victoria & Albert Museum de Londres et réalisée en partenariat avec Gucci , sont justement mis à l’honneur les créateurs qui vont à l’encontre des normes et brisent les codes pour laisser place à l’expression personnelle libre de toutes contraintes. « Il est temps de célébrer un homme qui est libre de pratiquer l’autodétermination, sans contraintes sociales, sans sanctions autoritaires, sans stéréotype étouffant », avait ainsi déclaré Alessandro Michele en 2020. De la représentation du corps masculin à la réformation des vêtements traditionnels, French Morning London vous propose un aperçu de ce que vous pourrez retrouver dans l’exposition.
Pour accéder à l’exposition, il faut se rendre au sous-sol du musée. Une fois les escaliers descendus, on peut apercevoir sur le mur une citation d’Alessandro Michele, tirée de son communiqué de presse pour la collection automne/hiver 2020. Tout de suite après se trouve la première salle, qui a pour thème le corps et sa représentation à travers l’Histoire. C’est donc naturellement qu’elle se nomme Undressed.
La Grèce et Rome antiques ont toujours été sources de fascination pour les artistes dans la représentation du corps masculin. Cette obsession particulièrement envers les dieux grecs a fortement façonné l’idéal masculin, bien qu’irréaliste. Dans une société où le corps est de plus en plus exposé, la pression normative est de plus en plus forte. Casser les normes, c’est ce que les créateurs contemporains s’efforcent d’accomplir. La diversité n’est plus décriée mais célébrée. Même si la mythologie grecque continue d’inspirer, l’accent est davantage mis sur la façon dont les vêtements peuvent complimenter le corps, en toute fluidité. The Three Graces (photo ci-dessus) – dont les tenues ont été imaginées par JW Anderson, Virgil Abloh et Ludovic de Saint Sernin – représentent bien ce mélange entre mise en avant du corps et fluitdité. Undressed présente ainsi cette évolution dans la conception modale et le rapport des créateurs et artistes au corps masculin.
Après la relation au corps, c’est la signification des vêtements qui est mise en avant dans Overdressed, la deuxième salle. Faire transparaître son rang, et plus encore, son identité, a toujours été une préoccupation sociétale. Loin de s’opérer à travers un choix libre et conscient, les codes vestimentaires règnent en maître.
Historiquement, les couleurs flamboyantes, textiles aux motifs complexes, accessoires et autre matériaux ostentatoires étaient réservés aux hommes dont le statut social était élevé, afin d’afficher leur pouvoir et leur richesse. Si la volonté de mettre en avant sa classe se fait désormais plus subtilement, les codes vestimentaires persistent. On observe plutôt un transfert de paradigme, et ce notamment à partir du XXème siècle. C’est à cette époque que la dimension genrée prend réellement de l’ampleur : le rose devient une couleur pour les filles, et le bleu pour les garçons. L’impact est tel qu’au XXIème siècle, le rose semble être l’antonyme de l’expression de la masculinité.
Au-delà des couleurs, la féminité a également été associée à certains motifs en particulier, tels que les motifs floraux. Aujourd’hui, les créateurs souhaitent se réapproprier ces interdits de la mode qui brident la créativité et renferment les hommes dans des cases définies par leur genre et rang social.
Overdressed célèbre ainsi ces réappropriations en exposant de nombreuses créations dont l’inspiration provient de ce qui est conventionnellement féminin.
En arrivant dans la troisième salle baptisée Redressed, nous découvrons le travail de ces créateurs qui ont voulu repenser des éléments vestimentaires traditionnels et les transformer sans qu’ils en perdent leur essence. Elément central de Redressed : le costume. Pièce incontournable dans la garde-robe masculine, le costume est vu depuis sa création comme le symbole même de l’élégance. Epitome des conventions vestimentaires masculines, sa conception est restée pendant de nombreuses années inchangée.
Outre la possible permutation entre un deux pièces et un trois pièces, la fantaisie n’a que rarement été bien accueillie. Au XXIème siècle, les créateurs s’affranchissent des conventions et élargissent leurs horizons, et notamment à la mode féminine. Le costume classique se réforme, tant sur le plan matériel que conceptuel. Plus qu’un gage d’élégance, cette pièce maîtresse est désormais une toile sur laquelle sont peintes les expressions identitaires des créateurs, ainsi que celles de celui qui la porte.
Juste après Redressed, se trouve la quatrième et dernière salle, simplement nommée Dressed. Bien que moins fournies que les trois salles précédentes, Dressed est tout autant intéressante.
Apogée de l’exposition, elle contient trois robes qui ont été spécifiquement créées pour des modèles masculins. A observer notamment la robe d’Harry Styles portée par le chanteur britannique en couverture de Vogue – novembre 2020 – et la robe-smoking de l’acteur américain Billy Porter conçue à l’occasion de la cérémonie des Oscars en 2019.