“Très tôt, on m’a dit : ‘toi, tu ne seras jamais une championne'”, se souvient Florence Alix-Gravellier. Pourtant, elle a dépassé toutes les attentes autour de son handicap avec le tennis fauteuil : numéro un mondiale en double, deuxième mondiale en simple, plusieurs fois médaillée en Coupe du monde et double médaillée de bronze aux Jeux paralympiques de Pékin en 2008. Aujourd’hui installée à Londres, elle traversera à nouveau la Manche à l’approche de Paris 2024, pour porter la flamme olympique fin mai et la flamme paralympique en août.
Florence Alix-Gravellier est née avec une malformation de la hanche. Enfant, elle pouvait pratiquer du sport à l’école, mais il lui était interdit de participer à des compétitions sportives. Dès son plus jeune âge, l’athlète subit de multiples interventions chirurgicales, devant réapprendre à chaque fois à marcher. “Cela m’a inculqué une vision de l’échec, j’ai appris à tomber et à me relever”, explique l’ancienne numéro deux de tennis en fauteuil. Puis à l’été de ses 14 ans, elle commence à ressentir de vives douleurs à la hanche. “En quelques semaines, je ne pouvais plus courir ni marcher sans aide”, se rappelle la Française.
Commence alors une période de mal-être et d’incertitude pour la jeune femme. “Il n’y avait pas de transition, je n’étais ni tout à fait valide ni tout à fait handicapée. On me disait d’attendre, mais on m’avertissait aussi que ça pourrait être permanent”, raconte Florence Alix-Gravellier. À ce moment-là, elle pense à se tourner vers le sport et demande à ses parents de faire du basket en fauteuil. Cependant, en Charente-Maritime où vit la famille, la pratique n’existe pas. “Les seuls sports accessibles aux personnes handicapées étaient le tennis en fauteuil et le tir à l’arme. Comme je n’avais pas une grande dextérité, le tir n’était pas pour moi”, s’amuse l’athlète.
Le tennis n’a donc pas été son premier choix mais une décision dictée par la disponibilité de ce sport. De plus, en commençant dans les années 1990, la sportive ne recevait aucune aide de l’État. Le tennis fauteuil, vingt ans plus tôt, en était encore à ses débuts et le soutien est principalement associatif. “Aujourd’hui, un joueur débutant avec du potentiel reçoit rapidement de l’aide. Depuis 2021, nous avons même un centre national dédié aux joueurs en fauteuil. À l’époque, ce n’était pas le cas”, raconte Florence Alix-Gravellier.
Quand la jeune femme se met au tennis, ce n’est pas dans une logique de compétition. “Je jouais pour sortir de chez moi, pour me réinventer afin changer la perception que j’avais de moi-même et susciter un regard positif de la part des autres”, explique avec du recul la sportive.
Parallèlement, elle poursuit ses études à Sciences Po Bordeaux. Après l’obtention de son diplôme, elle est sélectionnée en équipe de France pour disputer la Coupe du monde à New York en 1999. Cette expérience fait l’effet d’un déclic : “J’étais en contact avec des joueurs qui incarnaient non seulement des athlètes de haut niveau, mais aussi des personnes libres, capables de décider pour elles-mêmes, au-delà de leur handicap.”
En 2005, Florence Alix-Gravellier et son homologue masculin, Michaël Jérémiasz, deviennent les premiers Français à devenir officiellement des joueurs de tennis fauteuil professionnels. Cependant, malgré son changement de statut, la Française doit elle-même gérer en grande partie sa carrière. Seul Adecco, une entreprise avec laquelle elle entretient de véritable liens, la place sous contrat de sponsoring. Pour le reste, il s’agit d’aides caritatives.
En ce qui concerne l’aspect compétitif, les tournois du Grand Chelem sont en général perçus comme étant les plus prestigieux dans le monde du tennis. Pourtant, quand Florence Alix-Gravellier lance sa carrière professionnelle, le tennis fauteuil est tout juste intégré à ces tournois, le premier étant l’Open d’Australie en 2005. “Et c’est bien plus que cela : nous étions des joueurs mais également des agents du changement, des militants pour faire émerger le sujet dans la société”, ajoute la championne.
Le mouvement paralympique se distingue nettement des tournois du Grand Chelem, non seulement en matière de visibilité mais aussi d’ancienneté, le tennis fauteuil étant devenu une discipline officielle en 1992. Pour l’ex numéro un mondiale en double, “les Jeux restent notre fête, un moment de visibilité tellement rare, et pour un sportif paralympique, décrocher une médaille est l’accomplissement ultime”.
Et cet accomplissement ultime, Florence Alix-Gravellier le vit à deux reprises à Pékin, en remportant, devant plus de 6,000 spectateurs, deux médailles de bronze, une en simple et une en double. Elle garde un souvenir très précis de ce moment. “C’était comme tourner une page de mon histoire personnelle et de mon handicap. Je me souviens avoir regardé mes parents et leur avoir dit : “tout ça pour ça, tout ce chemin pour arriver à cet instant.””
En 2010, la joueuse française met fin à sa carrière sportive et rejoint son sponsor principal, Adecco, comme responsable de projets stratégiques, notamment liés à l’emploi des personnes handicapées. À partir de 2020, elle se met à son compte en tant que conférencière, coach personnelle et consultante pour les entreprises sur des sujets de diversité, d’inclusion et d’égalité ainsi que de performance.
En parallèle, l’entrepreneuse rejoint la Fédération Française de Tennis en 2009 à cause d’un quota implicite destiné à accroitre la présence des femmes dans la gouvernance, une idée qu’elle rejetait initialement. Mais avec le changement de présidence, elle trouve des personnes plus ouvertes à ses idées et après plusieurs mandats, elle est aujourd’hui vice-présidente. Sur le rôle de la fédération dans le handisport, Florence Alix-Gravellier ne pense pas que la mise en avant du tennis fauteuil soit une question de morale, mais remplit une mission celle “de faire jouer et proposer une l’activité physique au plus grand nombre, dont ceux qui ont des problèmes de santé ou viennent de quartiers sensibles et qui considèrent que le tennis n’est pas un sport fait pour eux”.
La tenniswoman estime que Paris 2024 n’en fait pas assez pour promouvoir les Jeux paralympiques et insiste sur l’importance de l’après-Jeux, en soulignant le besoin de changement. Elle cite en exemple Londres 2012 qui, parce qu’il fallait remplir les stades et rendre le handisport attrayant, a permis de faire évoluer la perception des Jeux paralympiques. Le comité d’organisation londonien a ainsi présenté les athlètes paralympiques comme des super-héros. Bien que cette notion puisse être discutée, selon la Française, cela a tout de même attiré le public, avec un record de 2,7 millions de billets vendus.
Un autre facteur important est le sport lui-même. “Tout pays organisateur veut des médailles donc ils investissent massivement dans l’entraînement et le soutien des athlètes paralympiques”, explique Florence Alix-Gravellier. Aujourd’hui, l’Angleterre compte parmi les meilleurs joueurs de tennis en fauteuil, dont Alfie Hewett, actuellement le numéro un mondial. “Cette génération de joueurs est née dans le sport après les Jeux de 2012, il y a une corrélation directe”, affirme-t-elle.
Face à l’exemple anglais, l’ancienne joueuse regrette l’inefficacité du marketing pour les Jeux paralympiques de Paris, notant que les billets sont vendus à bas prix et que la billetterie est loin d’être épuisée. Elle estime que “la France n’est pas encore passée au-delà des bons sentiments, même lorsqu’il s’agit de marketing.”
Malgré son incertitude face à la réussite symbolique de Paris 2024, Florence Alix-Gravellier portera fièrement la flamme olympique jeudi 30 mai prochain à Caen. Elle voit en cette participation un moyen de mettre en lumière le sport paralympique, tout en honorant les 80 ans du Débarquement et les origines familiales de son mari en Normandie. “On a tous des agendas personnels quand on porte la flamme, mais le principal est de participer au grand mouvement, fabuleux, de contribuer à transformer la société par le sport. Un enjeu auquel j’adhère au-delà des Jeux olympiques.”
L’ancienne médaillée sera à Paris mercredi 28 août, jour de la cérémonie d’ouverture, pour porter la flamme paralympique, comme d’autres athlètes qui se seront relayés avant elle depuis Stoke Mandeville, en Angleterre. “Sur cet aspect, Paris 2024 a réussi à créer un réel échange entre athlètes valides et handicapés” commente-t-elle.
Mais avant ça, Florence Alix-Gravellier commentera le French Riviera Open, l’un des tournois de tennis fauteuil les plus réputés au monde, du mardi 11 au dimanche 16 juin (pour les intéressés, la sera finale diffusée sur Canal +), ainsi que pendant les Jeux paralympiques où elle commentera cette fois-ci pour France Télévisions.