Impertinent et provoquant ou visionnaire et audacieux ? Gérald Garutti serait-il le Molière version 21ème siècle ? En tous les cas avec sa mise en scène de “Tartuffe“, actuellement sur la scène du prestigieux Theatre Royal Haymarket, le Français a marqué les esprits. Son adaptation moderne et bilingue – une première à Londres – de ce grand classique, a suscité beaucoup de commentaires, bons comme mauvais. Pas de quoi agacer Gérald Garutti, bien au contraire. Car pour lui, bousculer les codes et faire réfléchir c’est tout l’intérêt du théâtre.
Il a fallu quatre ans de travail au total pour proposer le premier spectacle bilingue français-anglais joué dans le West End à Londres. “Tartuffe” de Gérald Garutti et Christopher Hampton est en train de révolutionner le monde de théâtre. “J’aime les challenges, mais par parce que ce sont des challenges, mais parce que pour moi la création est un geste d’invention”, confie le premier.
Mettre en scène une version moderne – Netflix même, comme il aime à dire -, de ce grand classique de Molière était pour le Français un vrai défi car il souhaitait être à la hauteur du chef d’œuvre. “Mon but était de montrer que même dans le présent cette pièce reste essentielle. Mais sans lui donner une vision conservée dans le formol”. Autrement dit, comme certains conservateurs auraient aimé le voir, sans perruques et costumes d’époque. “Pourquoi il n’y aurait que les Anglais qui pourraient faire du Shakespeare moderne ? La France aussi a évolué”, s’agace-t-il.
Pour le metteur en scène, pourquoi verser dans l’ancien, quand pour lui la pièce de Jean-Baptiste Poquelin fait résonnance avec l’actualité. “”Tartuffe” aborde des sujets encore bien présents : la fascination, le pouvoir, le scandale. Christopher Hampton, le traducteur et adaptateur, a pensé intégrer l’histoire dans un Los Angeles contemporain, une ville où il co-existe l’appétit de la jouissance et de la débauche avec la censure religieuse et les discours puritains partout présents. J’avais envie de faire vivre l’esprit que Molière avait insufflé en son temps”.
Cette audace a été soulignée par bien des critiques de théâtre. Certains y ont vu du génie, d’autres un blasphème. Peu importe pour Gérald Garutti, digne héritier de Molière qui lui aussi en son époque avait fait hérisser les poils des plus conservateurs avec son “Tartuffe” originel. Et puis, le Français jouit d’une réputation sans faille dans le monde théâtral, et ce, des deux côtés de la Manche. “J’ai monté plusieurs spectacles en France et en Angleterre depuis 15 ans”, explique celui qui a été dramaturge au Théâtre National Populaire.
Parmi ses plus belles réussites, sa mise en scène de “Richard III” et des “Liaisons Dangereuses”. Pour Gérald Garutti, le théâtre est une vieille passion. C’est à 9 ans qu’il le découvre. A 15 ans, il met en scène sa première pièce. “Ca a été le coup de foudre”, résume-t-il, “j’ai toujours aimé travailler sur la question du sens : savoir pourquoi, ce que ci ou ça signifie. Et pour moi le théâtre est une manière d’incarner cette question, de la faire résonner”.
Ce qui lui plaît aussi, c’est aussi de structurer une troupe d’acteurs, de les choisir, de pouvoir les diriger. “J’aime l’engagement que l’on met dans une pièce, mais aussi le sens du collectif. Certains acteurs ont la réputation d’être terribles mais ils se révèlent finalement être des amours. D’autres sont dans un rapport de séduction, puis dans le travail peuvent se montrer pétris d’incertitudes. Tout est possible car les comédiens sont des catalyseurs d’émotions, ils vivent le théâtre intensément”.
Pour Tartuffe, le choix des acteurs s’est porté sur celles et ceux qui seraient capables d’évoluer dans les deux langues. “Il fallait qu’ils soient soit bilingues soit passer du français à l’anglais et inversement facilement”. Gérald Garutti avait également une vision précise de chaque personnage. “Je voulais un Cléante libertin, inspiré d’Oscar Wilde, pour donner du mordant et du panache au rôle. Je connaissais Vincent Winterhalter depuis de nombreuses années et je savais qu’il avait une palette de jeux intéressante. Nous avons fait un essai ensemble et cela a confirmé mon envie de travailler avec lui”.
Tartuffe, il voulait en faire un Raspoutine. “Un tentateur, un séducteur, un homme qui fascine. J’ai longtemps réfléchi et cherché. Paul Anderson (salué par la critique pour son rôle d’Arthur Shleby dans “Peaky Blinders“, série diffusés sur la BBC, NDLR) m’est ensuite apparu comme une évidence et il en a été le premier surpris. J’ai aimé chez lui son côté animal, sa puissance de jeu”. Gérald Garutti ne s’empêche jamais, jure-t-il, de garder l’esprit le plus ouvert possible. “Ce n’est pas parce que je connais quelqu’un ou que j’ai travaillé avec lui que je vais le choisir. Je préfère prendre le temps qu’il faut”. Du temps, il en a pris, un an plus précisément pour achever la distribution, qui inclut la Française Audrey Fleurot vue entre autres dans le film “Intouchables”.
Mais comment lui viennent les idées ? Tout dépend. “Soit un acteur vient me voir avec une proposition de texte et là je travaille pour et avec lui. Soit un auteur me propose un projet avec un acteur”. Ce que Gérald Garutti apprécie particulièrement, c’est de pouvoir entraîner un comédien sur un chemin inhabituel. “J’aime aller chercher quelque chose qui est enfoui et qui n’a jamais été montré”. Autre possibilité : un projet que lui-même a envie de monter. “Dans ce cas-là, je réfléchis aux types d’acteurs qui pourraient incarner les personnages. Parfois, il y a des évidences, parfois non. Je veux juste être pertinent sur le rôle et sur la vision que j’ai de la pièce. Et surtout, les personnes choisies doivent avoir l’esprit collectif”.
La pièce se joue jusqu’au samedi 28 juillet. “Ce serait beau qu’elle voyage un peu partout ensuite, ce serait même drôle qu’on la joue à Los Angeles”, confie le metteur en scène, “Tartuffe est une des plus grands chefs d’œuvre de théâtre français. Ici, il a attiré un public international et jeune. J’ai l’impression qu’on a remporté notre pari, qu’on a réussi une forme d’exploit”. On confirme.