“Le mime permet de rendre visible l’invisible grâce à la gestuelle et le rythme. C’est fascinant”, s’enthousiasme Guillaume Pigé. Le Français, installé à Londres depuis 15 ans, est passé maître dans cet art, qui lui a, confesse-t-il, permis de “trouver (sa) voie en tant que metteur en scène, comédien et artiste”. Et c’est cette passion qu’il essaie de communiquer aujourd’hui au grand public. “Il y a aussi beaucoup d’idées préconçues sur le mime, qui, pour beaucoup, est immédiatement et uniquement associé à Marcel Marceau et la pantomime blanche. Mais ce serait restreindre cet art, qui est bien plus large et plus ouvert”, estime Guillaume Pigé, qui présentera du mercredi 18 au dimanche 22 janvier la pièce qu’il a créée, The Nature of Forgetting, lors du London International Mime Festival.
Ce metteur en scène, professeur à la Royal Academy of Dramatic Art (RADA) – là-même où il a étudié et obtenu sa maîtrise en études du texte et de la performance -, s’est passionné pour le mime après avoir travaillé, entre la Californie et Vancouver, avec d’anciens disciplines d’un maître dans cet art, le Français Etienne Decroux. “Dans d’autres formations traditionnelles théâtrales, l’acteur a un rôle d’interprète”, analyse Guillaume Pigé, “avec le mime, l’acteur devient une force créatrice en donnant un langage à son corps qu’il utilise comme un instrument pour jouer des mélodies. Il devient poète”.
C’est ce qui le pousse à finir sa formation à Londres en rejoignant, pendant trois ans, l’International School of Corporeal Mime, où là encore il collabore avec des anciens étudiants d’Etienne Decroux. Un parcours impressionnant pour celui qui est entré dans le monde du théâtre par l’art de la magie. “Je ne viens pas d’une famille de comédiens ou de théâtreux”, confie le Français, “mais très tôt j’ai su, sans déclic particulier mais plutôt comme une évidence, que je voulais faire de la scène”. Il commence donc à faire de la magie, vers 10 ans, initié par un ami de son grand frère. “A 14 ans, je me suis inscrit à des cours dans une compagnie lyonnaise”, se souvient-il. Il se forme, avec le soutien et les encouragements de ses parents, pendant six ans avant de rejoindre le Conservatoire de Villeurbanne.
Lui, qui jure qu’il n’a jamais eu de plan préconçu pour sa carrière préférant agir avant de réfléchir, s’est ensuite créer au fur et à mesure son réseau, soit avec ses camarades de classe ou grâce aux rencontres faites lors de ses études. Talentueux, Guillaume Pigé s’est progressivement fait sa place et un nom. Il a travaillé comme “directeur de mouvement” avec Andrew Visnevski, Sue Dunderdale et Bill Gaskill. Aujourd’hui professeur associé à la RADA, il est régulièrement invité à donner des ateliers au Royaume-Uni comme au London International Mime Festival ou le Fourth Monkey TC, aux États-Unis à la Louisiana State University et en France au Conservatoire de Villeurbanne. Artiste associé au South Hill Park Arts Centre depuis 2014, Guillaume Pigé a été mandaté il y a quatre ans par le National Theatre pour produire une nouvelle traduction de Tartuffe de Molière.
Parallèlement, et avant même la fin de sa formation à l’International School of Corporeal Mime, le Français a monté sa propre compagnie, Theatre Re, en 2009 à Londres. “C’était l’opportunité de commencer à prendre mon envol”, lâche le metteur en scène. Une manière aussi pour lui de “progresser artistiquement”, mais aussi d’obtenir des soutiens financiers pour présenter ses créations. C’est d’ailleurs via Theatre Re qu’il a créé, avec la collaboration de ses deux complices de travail, le compositeur Alex Judd et la designer lumière Katherine Graham, The Nature of Forgetting. Cette création originale a été présentée pour la première fois en 2017. “C’est le spectacle qui a tout changé”, lance Guillaume Pigé. Dans le sens, précise-t-il, qu’il a permis de présenter le travail de la compagnie dans le monde entier. En effet, The Nature of Forgetting tourne encore dans de nombreux pays et dans les plus grands festivals depuis cinq ans maintenant. “On est même allé à Séoul, où on a formé des comédiens coréens pour qu’ils puissent la jouer”, lance avec enthousiasme le Français.
Ce spectacle raconte l’histoire de Tom, 55 ans, qui s’apprête à célébrer son anniversaire. Alors qu’il s’habille pour sa fête, des bouts emmêlés de souvenirs se rappellent à lui. Inspiré du travail du metteur en scène de théâtre Tadeusz Kantor, des recherches neurobiologiques récentes et des entretiens avec des personnes atteintes de démence, The Nature of Forgetting se veut ainsi être une “pièce de théâtre puissante, envoûtante et magnifique sur l’incapacité de se souvenir d’une vie et ce qui reste quand la mémoire est partie”. “Mais ce n’est pas un spectacle sur la démence ou la maladie d’Alzheimer”, prévient Guillaume Pigé, “c’est plutôt un spectacle qui célèbre la vie tout en abordant ces sujets”. Cette pièce a été créée de manière collaborative, souligne aussi le Français. “On s’est rassemblé autour de la question : ‘qu’est-ce qui est éternel ?’. Et au fur et à mesure des échanges, on en est arrivé à une autre question : ‘qu’est-ce qui reste quand la mémoire est partie ?’ Ce spectacle est notre réponse”.
La compagnie a travaillé avec des scientifiques de l’University College London pour comprendre le rôle de l’hippocampe dans la formation de nouveaux souvenirs. “La mémoire n’est pas une bibliothèque”, lance Guillaume Pigé qui explique avoir beaucoup appris en préparant cette pièce, “notre cerveau en réalité reconstruit un souvenir. Et c’est ce qu’on explique dans le spectacle : ne pas se souvenir ou oublier, c’est peut-être mal reconstruire ou déconstruire ce qui s’est passé dans notre vie”. La représentation du jeudi 19 janvier sera suivie d’ailleurs d’une discussion pour échanger autour des sujets qu’aborde cette pièce. Le spectacle tournera aussi ailleurs au Royaume-Uni avec des représentations à The Lowry de Salford (lundi 30 et mardi 31 janvier), au Edge Hill University Theatre d’Ormskirk (jeudi 2 et vendredi 3 février) et au Northern Stage de Newcastle (vendredi 17 et samedi 18 février).
Crédit photos : Danilo Moroni
Quand : du mercredi 18 au samedi 22 janvier à 7.30pm (5pm le dimanche)
Où : Shoreditch Town Hall, 380 Old Street, London EC1V 9LT
Combien : de £16 à £18
Réservations : ici