Dans un entre-deux entre une interdiction pure et simple et une pratique commerciale, la gestation par autrui est autorisée au Royaume-Uni. Bordée par des garde-fous, elle se veut altruiste. Comment s’y déroule une maternité par substitution ?
Sa sieste finie, la petite fille de 14 jours s’invitera aux côtés de ses parents au cours de l’interview. « Elle se prénomme Joy. Notre histoire, c’est ‘our journey to Joy’, notre voyage vers la joie », résume son père. Un éprouvant voyage vers la parentalité pour Nick et Vicky, qui débute par un long et douloureux parcours de FIV au bout de deux ans de mariage. Les huit années suivantes seront marquées par la perte de jumeaux, puis des fausses couches à répétition. « Mon corps n’en pouvait plus. Nous sommes alors tournés vers la GPA », explique Vicky. Une pratique interdite en France, au nom de l’indisponibilité du corps humain, mais légale et encadrée au Royaume-Uni.
La maternité de substitution (surrogacy) est la pratique par laquelle une femme (la mère porteuse ou surrogate) porte un enfant pour une autre personne et (généralement) le partenaire de cette personne (parents d’intention), à la suite d’un accord, tel que défini par le Home Office. Un accord qui, sans engager les parties sur le plan légal, est vivement conseillé. « Cela incite les parents d’intention et la mère porteuse à se mettre d’accord sur un certain nombre de points, explique Connie Atkinson, avocate chez Kingsley Napley. Comme qui assistera à la naissance, qui prendra telle ou telle décision concernant l’enfant ».
D’autre part, puisqu’il s’agit d’une pratique vue comme altruiste et donc non commerciale, la mère porteuse n’est pas payée. Des dépenses « raisonnables » seront cependant couvertes par les parents d’intention, à savoir les frais médicaux. Parfois les frais de garde de ses enfants, la perte de revenu, des heures de ménage, un abonnement à une gym après la naissance etc.
Enfin, en vertu du droit anglais, et ce « quel que soit le pays dans lequel l’enfant est conçu et né, la mère porteuse sera toujours la mère légale de l’enfant. Son éventuel(le) conjoint(e) sera alors le deuxième parent légal tant qu’il aura consenti à cet arrangement », avertit Connie Atkinson. Pour éteindre cette filiation et être reconnus comme les parents légaux de l’enfant, les parents d’intention doivent demander une ordonnance parentale (parental order). Un projet de réforme pourrait par ailleurs simplifier la procédure. Cette démarche est réservée aux familles dont au moins un parent d’intention est domicilié au Royaume-Uni. Exit donc le tourisme de procréation. En 2022, 449 parental orders avaient été prononcés en Angleterre et au Pays de Galles, selon Family Court Statistics Quarterly.
« Les cas où ça tourne mal sont par exemple quand les gens rencontrent par hasard sur Facebook, met en garde Connie Atkinson. Il faut procéder de manière aussi formelle que possible, avec le soutien d’une organisation, d’avocats, de thérapeutes ». Quatre organisations de GPA à but non lucratif sont ainsi recommandées par le Home Office. Car les écueils sont nombreux.
Tout d’abord l’attente. « Au Royaume-Uni, il faut compter entre 18 mois et deux ans d’attente avant de trouver une mère porteuse, sans compter la grossesse, détaille Michael Johnson-Ellis, fondateur avec son mari de My Surrogacy Journey. La petite Joy est ainsi née plus de trois ans après le début des démarches de GPA.
Cela décide alors certains à se tourner vers d’autres pays, pas toujours très scrupuleux. « Dans certains pays, la GPA exploite complètement les femmes, expose Michael Johnson-Ellis, qui indique ne travailler qu’avec les Etats-Unis et la ville de Mexico en plus du Royaume-Uni.
D’autre part, l’aspect financier est loin d’être négligeable. « Au Royaume-Uni, il faut compter entre £35,000 et £50,000, voire £60,000, en comptabilisant tous les frais, c’est-à-dire les dépenses de la mère porteuse, la FIV ou l’insémination, éventuellement les gamètes, les frais d’agence, les frais légaux … détaille Michael Johnson-Ellis. A Mexico City on est autour de £75,000, et aux Etats-Unis entre £180,000 et £220,000 ».
Ensuite, attention à la composante internationale et donc l’aspect immigration. « Si l’enfant nait aux US, il peut revenir sous passeport américain. S’il s’agit d’un autre pays, il n’aura pas forcément droit au passeport de ce pays et vous pourrez être bloqué pendant 6 mois dans l’attente d’un passeport britannique, avertit Connie Atkinson. L’enfant est-il d’ailleurs éligible au passeport britannique ? A-t-il besoin d’un visa pour rentrer avec vous au Royaume-Uni ? ».
Les organisations précitées se chargent de matcher les parents d’intention avec des mères porteuses. « C’est la mère porteuse qui choisit la famille. Nous l’avons rencontrée une première fois par visio », se souvient Mathieu, père avec son conjoint d’un petit garçon de 4 mois, conçu et né au Royaume-Uni.
Avec cette mère de deux enfants commence la ‘get to know each other period‘, de trois à six mois. « Tous les mois, nous nous rencontrions pendant une journée ou un week-end. Nous avons beaucoup parlé avant le transfert d’embryon (obtenu via un don d’ovocytes). Tu abordes absolument toutes les questions sur avant, pendant et après la naissance. Ça va de combien de fois on s’appelle pendant la grossesse, à qui porte l’enfant en premier à la naissance, jusqu’à la relation qu’on souhaite avoir après. Sans oublier la santé de la mère et les sujets délicats, comme une malformation de l’embryon ».
« Absolument tous les sujets doivent être mis sur la table, abonde Vicky. C’est sur la base de ces discussions qu’est d’ailleurs écrit l’accord entre les parties. Chacun de ces deux couples avait fait le choix d’une mère porteuse résidente au Royaume-Uni, afin d’être présent à chacune des étapes de la grossesse ainsi qu’à la naissance de l’enfant. Naissance qui n’a pas du tout signifié la rupture des liens avec la mère porteuse. « Nous avons forgé des liens d’amitié extraordinaires avec cette femme (et son mari) qui, une fois sa famille fondée, voulait aider des couples qui comme nous avaient eu un parcours très difficile s’émeut Vicky. Notre fille porte d’ailleurs son prénom comme deuxième prénom ».
Après une naissance tant attendue, place à l’administratif. La mère porteuse étant toujours reconnue comme la mère selon la loi britannique, c’est à elle qu’il incombe de déclarer la naissance. « Mais c’est bien notre nom de famille qui figure sur le ‘birth certificate’, puisqu’au Royaume-Uni on peut donner n’importe quel nom de famille à un enfant », précise Nick.
Ensuite, les parents d’intention lancent les démarches d’obtention de l’ordonnance parentale. Un nouveau birth certificate est alors produit, mentionnant cette fois-ci les parents d’intention.