Cela fait quatre mois qu’Elise* attend une réponse. “Je regarde tous les jours mes mails pour vérifier que je n’ai pas loupé l’information”, confie la jeune femme de 28 ans. La Française a fait sa demande de pre-settled status à quelques jours de la date butoir du 30 juin dernier. “Je sais que je m’y suis prise tardivement, mais je ne suis arrivée à Londres que mi-mai dernier, à cause de toutes les restrictions de voyage imposées à cause de la Covid”, se justifie Elise.
Elle avait fait exprès de venir de vivre près d’un mois en novembre 2020 pour s’assurer de pouvoir prouver cette résidence temporaire sur le sol britannique le moment venu. “J’avais pris trois semaines de vacances à mon boulot pour commencer à tâter le terrain directement sur place”, raconte la jeune femme. Elle avait ainsi pu louer une chambre dans une colocation et demander à l’époque au propriétaire, “très sympa” reconnaît-elle, de lui faire un mini-contrat par écrit. Elle était ensuite repartie en France pour reprendre son poste son poste d’assistante marketing dans une entreprise de la région lyonnaise, puis préparer son départ. Première étape : la démission. “J’ai donné ma lettre en février, mais il y a eu le confinement en Angleterre donc j’ai dû attendre que les choses se calment pour pouvoir enfin venir”, confie-t-elle.
Elle aurait pu candidater au pre-settled status depuis la France, mais elle n’était pas au courant. “Si je l’avais su bien évidemment que je l’aurais fait immédiatement”, s’explique-t-elle. Elle profite alors de la situation de confinement pour se mettre à la recherche d’un logement à Londres et même de passer des entretiens à distance. Elle décroche même un poste, expliquant à son futur employeur qu’elle pourra obtenir son pre-settled status sans problème. Finalement, dès la levée des restrictions, en fin mai dernier, Elise a pu prendre le train. “J’étais tellement contente, cela avait toujours été mon rêve de venir vivre à Londres. J’étais encore dans mes études quand le référendum est passé en 2016, je voulais donc les terminer puis démarrer une expérience professionnelle en France et ainsi être sûre de pouvoir la faire valoir auprès d’entreprises anglaises”.
Dès son arrivée à Londres, elle fait sa demande de pre-settled status pour se mettre en règle, sa prise de poste ne devant être effective qu’à la fin juin. “Je pensais que cela n’allait prendre que quelques jours, mais là ça fait quatre mois que j’attends. J’ai appelé, au point même d’avoir l’impression de harceler le centre de résolution des problèmes du Home Office, mais les seules fois où je suis parvenue à avoir quelqu’un, on m’a répondu que je devais patienter et que ma demande était en cours”. Ce qui la rassure, c’est qu’elle a bien reçu son “certificate of application”, qui prouve que la démarche a bien été faite et prise en compte. “Sauf que maintenant, il faudrait vraiment que les choses s’accélèrent parce que je ne voudrais pas vivre dans l’illégalité et donc avoir des problèmes avec les services de l’immigration et mon employeur”.
Thomas*, lui, a décidé de ne plus voyager vers la France tant qu’il n’aurait pas obtenu son statut, justement pour ne pas avoir de mauvaises surprises au passage aux douanes. “Comme je ne pourrai pas prouver que j’ai bien mon pre-settled status, je ne préfère pas prendre le risque, de peur de me faire expulser”. D’autant plus qu’une telle situation s’est produite il y a quelques semaines à l’aéroport de Gatwick. Comme le rapporte The Guardian, une Française a été “arrêtée et détenue par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur pendant plus de huit heures”.
Selon le quotidien, la jeune femme de 23 ans, Tessa Stines, vivait au Royaume-Uni depuis un an où elle était bénévole pour une association caritative, tout faisant de allers-retours vers la France. Sauf qu’à son retour en août dernier, elle a été stoppée aux frontières et on lui a refusé l’entrée sur le sol britannique. En cause ? Une demande de pre-settled status toujours en cours de traitement. Puis, quelques semaines plus tard, on a notifié à la Française par courrier que cette demande avait été en fait refusée le 20 août dernier, d’où sa détention.
A priori, toujours selon les informations du Guardian, “elle avait déjà reçu deux e-mails de la part des travailleurs sociaux du Home Office demandant des documents supplémentaires pour étayer sa demande, mais elle n’avait pas vu les e-mails car ils avaient fini dans ses spams”. Tessa Stines – que nous avons également contacté mais elle n’a pas donné suite à notre demande d’interview – a confié au journal qu’elle s’était sentie “vraiment stressée” pendant sa détention. “Les agents ont pris des photos des pages de mon journal intime. J’ai été triplement contrôlé, mes empreintes digitales ont été relevées et mes cahiers ont été lus”.
C’est donc ce genre de situation que Thomas, 30 ans, veut éviter à tout pris. Le Français reconnaît qu’il aurait dû faire sa demande avant, d’autant plus qu’il vit à Londres depuis plus d’un an. “Je pensais avoir le temps et puis finalement, la date butoir est arrivée. C’est là que j’ai commencé à paniquer”. Ce qu’il ne comprend pas c’est que malgré le fait d’avoir fait sa demande le 28 juin dernier, il aurait cru avoir un retour rapide. “Je travaille ici depuis un an, donc ils peuvent facilement vérifier que je suis éligible au pre-settled status”, lance-t-il.
Sauf que que trois mois plus tard, aucune réponse lui a été donnée. “J’avoue que je stresse un peu”, confie le trentenaire, espérant que les choses s’arrangent rapidement. “J’imagine qu’ils ont beaucoup de demandes à traiter avec tous les retardataires comme moi”. En effet, les derniers chiffres du Home Office, datant du mois d’août dernier, montrent que 450.000 demandes seraient en cours de traitement et le ministère de l’Intérieur promet qu’elles seront toutes traitées d’ici la nouvelle année. “Même si il y a des jours où j’angoisse plus que les autres, je me dit que je dois être patient”, lance Thomas.
Patience, un mantra que Chloé* se répète quotidiennement. La Française de 32 ans a fait sa demande après le 30 juin. “Je suis arrivée début juillet à Londres, mais j’avais déjà vécu ici pendant deux ans avant de partir vivre début 2019 aux Pays-Bas”. C’est une opportunité de travail qui l’avait poussée à s’expatrier vers la Hollande. “J’avais trouvé un super poste dans la communication pour une petite entreprise basée à Amsterdam”, confie la jeune femme, “je me suis dit que je pourrais de toute façon revenir à Londres après cette belle expérience”. Sauf qu’en mars 2019, le système de pre-settled et settled status a été lancé par le gouvernement britannique. “Je ne me suis pas trop posée de questions et surtout je me suis dit que j’avais le temps de faire ma demande au cas où je rentrerais en Angleterre”.
Sauf que le temps a passé, la Covid est arrivée, et Chloé a complètement oublié. “Quand j’ai été licenciée de mon poste à Amsterdam lors de la deuxième vague de la crise sanitaire, je n’avais pas envie de rentrer en France”. La trentenaire se dit alors qu’il était temps de revenir à Londres. “Avec les restrictions de voyage, sans emploi et sans appartement, j’ai préféré attendre. Du coup, je suis partie chez mes parents pendant quelques mois pour me ressourcer et attendre que la tempête passe”.
C’est en juillet que la jeune femme décide alors de revenir dans la capitale anglaise. “Dès mon arrivée, j’ai fait ma demande, mais depuis pas de nouvelles”, se désespère-t-elle. Comme Thomas, elle se doute que des centaines de milliers de ressortissants européens sont dans le même cas. “J’imagine que les services doivent être débordés. J’appelle presque tous les jours le centre de résolution pour savoir s’ils ont besoin de documents pour prouver ma présence entre 2017 et 2019. On me répond que ma demande est en cours et que tant que j’ai bien reçu la preuve que j’ai bien fait la démarche, je n’ai pas à m’inquiéter”, confie-t-elle.
Sauf que pour le moment, elle a du mal à trouver un emploi, car sans preuve de statut temporaire de résident, certains employeurs sont frileux. “Je les comprends, ils n’ont pas envie de se retrouver avec une personne dont la demande serait finalement refusée”, reconnaît Chloé, “il n’y a plus qu’à attendre, mais ce serait bien que la réponse arrive vite, car mes économies sont en train de fondre à vue d’œil. C’est là qu’on se rend bien compte que Londres est une ville qui coûte vraiment cher”. Dans le doute, la jeune femme, qui sait aussi qu’elle a déjà perdu son droit de transformer son pre-settled status en settled status, postule tout de même à Dublin, capitale de l’Irlande, pays anglophone et surtout encore européen. “On ne sait jamais, si on me refuse mon pre-settled status…”.