A 51 ans, elle est devenue la huitième femme française à avoir réussi l’exploit de traverser la Manche à la nage. Laure Latham a défié les courants, la faune aquatique et les eaux froides de la mer qui séparent la France du Royaume-Uni le 23 août dernier. Une expérience qui lui a valu de gros sacrifices pendant toute son année de préparation et une arrivée au cap Gris-Nez assez “dramatique” entre l’obscurité, la rencontre avec un phoque agressif et un banc de méduses, les rochers ou encore l’averse torrentielle qui s’est invitée pour son “finish”. Mais tout ça est oublié et la Française a de quoi être fière.
19h16 de nage avant qu’elle ne touche la rive française du côté du Pas-de-Calais. Un peu plus d’un mois après son exploit, Laure Latham a déjà repris le chemin de l’entraînement. Cette sportive de l’extrême figure dorénavant dans l’histoire des participants à la traversée de la Manche à la nage. Un club réduit à 48 français, dont 8 Françaises depuis qu’elle y a ajouté son nom. Et dire, que tout était parti d’une envie de prendre revanche sur la vie. Après avoir fait face à “des circonstances personnelles difficiles” l’an dernier, elle a eu envie de se lancer ce grand défi. Laure Latham, qui a grandi en Nouvelle-Calédonie, est une bonne nageuse. Sa passion pour la nage en eau libre et froide, sur des longues distances, lui est venue naturellement et confie s’être beaucoup renseigné via des vidéos sur YouTube.
Avant de se lancer dans l’Everest de la natation, la Française avait déjà eu un avant-goût avec la traversée entre San Francisco, où elle a habité pendant onze ans jusqu’en 2012, et Alcatraz. Les eaux sont certes un peu moins glacées que celles de la Manche, mais Laure Latham a relevé le défi, “décidé sur un coup de tête”, de nager les plus de trois kilomètres qui séparent la baie de San Francisco à l’île. Alors quand elle arrive dans la capitale anglaise il y a 11 ans, la première chose qu’elle fait est “chercher un club de natation en air libre”.
Laure Latham s’inscrit alors au Serpentine Swimming Club, où elle découvre la nage en eau froide sans combinaison. Une technique qui plaît à la Française et sa passion pour cette pratique grandit rapidement. Sa première tentative de nage dans la Manche a lieu en juin 2014, quand elle décide alors de participer à un relais avec cinq autres nageurs. “Le Serpentine Swimming Club est le plus grand club en termes de nombre de nageurs ayant traversé la Manche”, confie la Française. Mais cette première participation finit par tomber à l’eau à cause d’un membre du bateau, qui devait accompagner l’équipe, pris du mal de mer. Une seconde tentative échoue ensuite en août de la même année à cause cette fois-ci du brouillard. Finalement, un an après avoir commencé à s’entraîner, la Française se jette à l’eau en septembre 2014. “J’étais en Cornouailles quand j’ai reçu le coup de fil pour rejoindre Douvres le soir même”, se souvient-elle.
Une première expérience qui lui donne envie de plus et qui va l’amener presque dix ans plus tard à tenter de réaliser la traversée de la Manche en solitaire. La décision est prise en septembre 2022. Pendant un an, elle s’entraîne à un rythme effréné, avec une moyenne de 20 kilomètres par semaine. Une année de sacrifices, avec des séances de nage très tôt le matin à Londres mais aussi lors de sorties plus longues dans le Lake District (18 kilomètres à 16 degrés) ou encore en Grèce (50 kilomètres sur une semaine), du sport (yoga, pilates, musculation et vélo), une hygiène de vie irréprochable mais avec la nécessité de prendre du poids pour mieux lutter contre l’hypothermie, même si cela se révèlera un peu difficile pour elle. “Manger sans avoir faim a été le plus dur. Il fallait aussi se dire que son corps allait changer, qu’on allait prendre volontairement du gras”. Finalement, malgré toutes les séances de sport qu’elle doit faire et la difficulté de s’alimenter sans faim, elle réussit tout de même à prendre huit kilos grâce à l’aide d’une nutritionniste, bien qu’il lui aurait fallu en prendre plus. Pour se préparer, Laure prend aussi conseil auprès de personnes ayant déjà effectué cette traversée mythique. “Certains m’ont raconté avoir été désorientés, être dans une réalité parallèle”.
Devant tous ces sacrifices, elle puise sa motivation auprès de ses deux filles, âgées de 18 et 20 ans. “Elles m’ont beaucoup encouragée”. Ainsi qu’auprès de ses partenaires du club de natation, son “autre famille”. Un groupe WhatsApp avec plus de 160 personnes a aussi été créé pour lui apporter un soutien. De quoi réchauffer le cœur de celle qui s’apprêtait à se lancer dans des eaux glacées. La date est fixée au 23 août 2023. La traversée se fera en pleine nuit, mais ce n’est pas un problème pour elle, même si le corps, avoue-t-elle, est plutôt habitué à dormir à ces heures-là . “J’adore nager dans ces conditions. On peut voir le ciel étoilé, la lune”.
Le départ a été donné à 2h32 du matin, heure anglaise. “Mais il fallait y être une heure avant, donc on est parti de Londres vers 23h”. Puis, il ne faut pas oublier de s’appliquer de la crème solaire, même en pleine nuit, car impossible d’en mettre une fois dans l’eau. “Puis, il y a eu le briefing sécurité sur le bateau. Et on est enfin parti de la plage de Shakespeare Beach”. Une petite plage de galets, où la chute des falaises font que la mer y est très agitée et provoque de la forte houle. A peine le temps de se préparer mentalement à une traversée d’une vingtaine d’heures, dans une complète obscurité (à part le faisceau lumineux du bateau accompagnant), dans des eaux glacées (17 degrés), en simple maillot de bain, que Laure Latham doit rapidement se jeter à l’eau. “Pendant les entraînements, j’avais évidemment le temps de me lancer. Mais là, le top a été donné rapidement et j’ai même été prise par surprise”. Pendant le premier quart d’heure dans l’eau, “un gros moment de doute” traverse la Française. “Il y avait beaucoup de vagues, bien plus que prévu”.
Au bout de la troisième heure, elle souffre déjà de l’épaule gauche, une vieille blessure qui s’est réveillée à elle. “Je me suis résignée à la douleur, j’ai composé avec à chaque fois”. Pendant toute la traversée, Laure Latham repousse ses limites de la douleur. Tout est dans le mental, paraît-il. Outre cette blessure, la quinquagénaire souffre aussi de la solitude. “On a cette sensation de privation sensorielle”. Sensation étrange, ajoute-t-elle. Mais la motivation demeure. “Je me suis rappelée que je n’avais pas envie de la refaire, donc il fallait que je termine cette traversée. Surtout quand j’avais déjà fait huit heures dans l’eau, et que traverser la Manche coûte cher. Tant sur le plan personnel que financier”. Car entre les séances de physiothérapie, les heures dans la piscine, les cours de natation, les week-ends à la mer, le voyage en Grèce, la location du bateau… tout cela a un coût. Et puis, cette traversée sert aussi à récolter des fonds pour une cause qui lui tient à cœur : l’environnement, via l’association Nature Conservancy. Alors pas question de lâcher, d’abandonner. Même si elle fatigue au bout de 10-12 heures, et qu’elle sait qu’elle a encore au moins sept heures à tenir. Même quand, lors des trois dernières heures, ses épaules virent au bleu à cause du froid.
Cette traversée était aussi très symbolique pour la Française. En effet, son arrière-grand-oncle, Hubert Latham, avait tenté lui aussi de rallier la France à l’Angleterre en 1909 en… avion. “Mais il a eu un problème moteur et a dû amerrir. Ce fut d’ailleurs le premier amerrissage réussi. Il avait été alors rapatrié sur le cap Blanc-Nez”, là même où est érigée aujourd’hui une statue en sa mémoire. “Cela m’a donné encore plus de motivation, notamment lors du dernier mile nautique, qui est le plus dangereux”. Surnommé le ‘cimetière des nageurs’, c’est en effet là que 90% des abandons se font. “La marée s’inverse et on peut vite ajouter huit heures de nage en plus, alors même que la côte est en vue”.
Elle raconte avoir eu de la chance puisque les vents lui étaient favorables ce jour-là, mais la mer agitée l’a empêché d’aller plus au nord ce qui l’a amené à devoir nager pendant quatre heures en parallèle de la côte. “C’était un peu démoralisant”, reconnaît-elle. Puis la marée s’est inversée et elle a nagé sans temps mort pendant cinq kilomètres jusqu’au phare du cap Gris-Nez. “Au final, j’aurai fait deux heures de plus. La nuit était déjà tombée, je ne voyais plus rien et je suis tombée sur un banc de méduses. Il y en avait peut-être une centaine, mais j’ai continué malgré mon moral plombé et la pluie qui commençait à tomber”. Mais la Française n’est pas au bout de ses surprises, puisqu’un énorme phoque quelque peu agressif se dirige vers elle. Avant finalement de disparaître. Puis arrive enfin le moment de toucher terre. Il est 22h48, heure française. “Je me suis écroulée de fatigue, le stress est retombé d’un coup. Je me suis dit : ‘j’y suis arrivée!’”. Mais elle n’a pas le temps de dire ouf qu’il fait repartir de l’autre côté de la Manche. Pas à la nage évidemment, mais en bateau. “Quand on fait la traversée, on part avec son passeport et on ne peut rester que dix minutes sur place”. Sur le bateau, habillée chaudement, elle ne rêve que d’une seule chose : un bon thé chaud.
Bilan de cette traversée : 19h16 de nage, deux tendinites aiguës, une gorge brûlée par l’eau de mer, un mal d’épaule, une perte de sensation de la langue pendant trois jours, un mal de mer pendant deux jours… Mais l’incroyable satisfaction d’avoir accompli quelque chose d’unique. “Je ne réalise pas encore être la huitième femme française à avoir résalisé la traversée de la Manche. Les femmes sont sous-représentées dans les sports extrêmes. Avoir réussi, c’est montrer que nous sommes autant capables que les hommes, que nous ne devons pas nous mettre de barrière”. Un peu comme l’a fait Laure Latham, qui rejoint le club des sportifs de l’extrême en réalisant ce qu’elle pensait irréalisable. De quoi rendre extrêmement fières ses filles. “Ma plus jeune m’a attendu à mon retour à 3 heures du matin, elle était tellement heureuse pour moi”.
Laure Latham ne compte pas s’en arrêter là. Elle a même déjà repris l’entraînement et rêve à d’autres aventures tout aussi uniques. Elle aimerait pourquoi pas tenter la traversée du lac Tahoe en Californie (36 kilomètres) ou du lac Léman. “Mais je réfléchis à toutes les possibilités, pourquoi ne pas faire une traversée qui n’existe pas encore”, sourit-elle. De nouveaux challenges qui sont bons pour le moral. “Beaucoup de gens font des dépressions après un tel exploit. Il y a comme un vide psychologique qui s’installe pendant quelques semaines”. Elle avoue qu’elle-même n’a voulu parler à personne pendant des semaines après sa traversée de la Manche.
Crédit photo de Une : Rob Ouldcott
Crédit photo Laure Latham : Laure Latham
Crédit photo traversée : Boris Mavra