Ils sont nombreux, ces étudiants français, à vouloir venir faire leur stage à Londres. Mais beaucoup se sont rapidement rendus compte que cela était devenu quasiment impossible. Avec le Brexit et les nouvelles règles migratoires, venir quelques mois se former ou avoir une première expérience professionnelle auprès d’une entreprise basée dans la capitale anglaise (ou ailleurs au Royaume-Uni d’ailleurs) est en effet devenu mission impossible.
Rejets sur rejets
“Je ne pensais pas que ce serait si compliqué”, confie Romain*, étudiant en communication à Paris. Le jeune homme cherche depuis septembre 2021 un stage de 3 mois minimum dans une entreprise à Londres à effectuer courant 2022, mais aucun des employeurs qu’il a sollicité n’a accepté. “J’ai envoyé mon CV et ma lettre de motivation à une dizaine d’entreprises, j’ai même parfois réussi à décrocher un premier entretien, mais à chaque fois, elles finissent par me répondre que sans visa je ne peux pas venir”. Même discours tenu par les entreprises auprès desquelles Anaïs* a postulé. L’étudiante en marketing rêvait de faire son stage de fin d’études dans la capitale anglaise, mais toutes ses candidatures spontanées ont été rejetées. “Sur la vingtaine à qui j’ai écrit, celles qui m’ont répondu m’ont confié qu’il n’existait aujourd’hui aucun visa spécifique pour accueillir un stagiaire au sein de leur compagnie”, raconte la jeune femme de 22 ans, encore très déçue de ces retours.
Eric*, lui, a découvert qu’il était impossible de venir à Londres en faisant ses propres recherches. Etudiant en commerce international, il doit faire un stage à partir de mai prochain dans une entreprise anglophone. Il a alors tout de suite pensé à Londres. “Mon école nous avait donné une liste avec plusieurs entreprises intéressées par des stagiaires. La plupart étaient basées en Europe, une seule était basée à Londres”. Il a alors envoyé un mail, resté depuis sans réponse. Il a donc décidé de chercher par lui-même, mais il s’est vite rendu compte qu’un visa était nécessaire. “Personne ne nous a informé au sein de l’école de ces changements”, dit-il à regret.
Des étudiants étrangers comme les autres
La faute donc au Brexit. En effet, avec la mise en place des nouvelles règles migratoires, les étudiants français deviennent des étudiants étrangers comme les autres. Sans visa, pas possible donc de venir faire un stage. Sauf qu’aucun visa “stage” n’existe pour l’heure. Le consulat général de France à Londres le confirme d’ailleurs sur son site : “La nouvelle loi sur l’immigration ne permet pas actuellement de venir au Royaume-Uni pour y effectuer un stage, ni en tant que visiteur, ni avec un visa. L’administration britannique n’a pas fourni d’indication à ce jour sur de possibles solutions à venir”.
Malgré tout, certains Français ont tenté de venir sans visa l’été dernier. Mais ils se sont cassés les dents au passage aux frontières. C’est le cas de Flora, qui croyait remplir toutes les conditions nécessaires en présentant sa convention de stage, mais a vécu une amère expérience. Elle nous confiait qu’elle avait même été raccompagnée vers la sortie de l’Eurostar. “On m’a mise dans l’ascenseur de sortie, qui m’a fait atterrir de l’autre côté de la gare. Je me suis sentie comme une délinquante alors que j’ai tout fait dans les règles”. Mathilde, elle, s’est vue refuser l’accès au train par deux fois, la première à Lille, la seconde à Paris. “Quelqu’un est revenu me voir me rendre mes papiers, me disant que j’avais pris les douaniers pour des idiots, que je serai interdite de séjour au Royaume-Uni jusqu’à nouvel ordre et que si je tentais à nouveau de partir cela se passerait mal”. Puis, elle aussi a été raccompagnée au poste frontière français avec en prime, confie-t-elle, une interdiction du territoire britannique.
Certains y sont cependant arrivés
La situation a de quoi agacer, s’emporte Romain. Le jeune homme, qui regrette avoir “perdu beaucoup de temps à candidater alors qu’il n’y avait aucun espoir”, s’est finalement tourné vers l’Irlande. “Cela reste un pays anglophone mais dans l’Europe. Cependant, j’aurais tellement voulu venir à Londres, car c’est une ville qui me plaît. Je suis venu plusieurs fois en week-end et j’aime bien l’ambiance”. Anaïs, elle, a opté pour Malte, une destination moins intéressante à ces yeux, mais qui lui permet de rester dans un environnement anglophone. “C’est vraiment dommage ce Brexit, qui finalement prive des milliers d’étudiants français de la culture d’entreprise britannique. Mais c’est comme ça, on ne peut rien y faire”.
De son côté, Eric, qui s’accroche à son envie de venir à Londres, continue ses recherches et espère qu’une entreprise le “sponsorisera” en tant que travailleur. Car c’est une solution. Victoria** peut en témoigner. La jeune femme a été “embauchée” au sein d’un cabinet d’avocats pour son stage de six mois. “Mon intitulé de poste est bien ‘intern'”, confirme-t-elle, “j’ai eu beaucoup de chance, je suis tombée sur une offre d’emploi d’un cabinet d’avocats pour un poste de juriste stagiaire dans le département ‘droit de la famille'”, confie l’étudiante qui avait auparavant envoyé des dizaines de candidatures spontanées, “le cabinet recherchait une personne bilingue français-anglais pour pouvoir traiter des dossiers franco-anglais car ils ont de nombreux clients francophones”. Le cabinet l’a donc sponsorisée pour un ‘Skilled Worker Visa’. “Ils ont un département spécialisé en droit de l’immigration donc ils ont l’habitude de faire ce genre de démarches”, avoue Victoria, qui n’a pas avancé un centime pour l’obtention de ce visa. “Ils ont tout payé et les démarches pour le visa n’ont pris que 5 jours”.
Margaux** est arrivée fin août à Londres pour son stage dans la finance qu’elle a décroché via LinkedIn, mais sous le visa Tier 5, donc ‘temporary work’. “Je l’ai eu en 15 jours sans aucun problème”, confie la jeune femme, “je ne sais pas si ça joue mais mon école n’a pas signé de convention de stage, je viens de finir mes études, donc c’est un contrat entre l’employeur et moi”. C’est son entreprise qui s’est chargée de payer son visa. A l’issue de son stage en février, elle sait déjà qu’elle restera à Londres, puisqu’elle a déjà un contrat qui l’attend dans une autre entreprise. Une bonne nouvelle pour l’étudiante qui se dit heureuse de pouvoir rester dans la capitale anglaise.
Contourner la loi
Ce sont donc les employeurs qui peuvent faire la différence. Sauf que toutes les entreprises n’ont pas les moyens de payer un visa. C’est le cas de Thierry**, qui travaille dans le secteur artistique. Le Français, établi depuis plus de 20 ans à Londres, a toujours pris des stagiaires, notamment pour gérer les réseaux sociaux et le fichier clients. Avec le Brexit, il s’est donc confronté à l’impossibilité d’en prendre de nouveaux sans payer un visa.
Du coup, il a décidé de “contourner la loi”, comme il le considère. “Ils viennent comme touristes”, explique Thierry, “ce n’est pas illégal puisque les personnes ont le droit de venir au Royaume-Uni sans visa pendant six mois maximum”. Le Français ne peut cependant pas les rémunérer, la loi interdisant aux “touristes” de travailler. Il prévient donc les étudiants qu’il leur faudra venir avec quelques économies. “Le seul souci demeure que ces étudiants ne pourront plus réclamer une bourse Erasmus au sein de leur université, comme c’était le cas avant. Du coup, seuls ceux qui auront les moyens de venir le feront et c’est vraiment dommage”.
*Prénoms modifiés à la demande des interviewés
**Les personnes n’ont pas souhaité qu’apparaissent leur nom de famille