Après un premier confinement qui a pris de court le monde du sport, ce deuxième lockdown, bien que plus léger, n’est pour autant pas sans conséquence. Il vient en effet bouleverser un peu plus ce domaine qui se remettait à peine sur pied. Quand certaines pratiques parviennent tant bien que mal à tirer leur épingle du jeu et à s’adapter à la situation, d’autres risquent de finir sur le banc de touche.
Le métier de coach sportif est certainement l’un des seuls domaines qui, du point de vue de la demande, sort renforcé du confinement du printemps. ‘Personal trainer’ depuis bientôt un an, Guillaume Buisson-Hainaut a lancé son entreprise, Beyond Fit London, quelques mois avant la prise de connaissance de l’existence de la Covid-19 en Angleterre. Alors qu’il comptait sur les premiers mois pour amortir ses investissements, il a dû changer ses plans. “Comme je n’avais pas encore beaucoup de sportifs à suivre lors du premier confinement, j’en ai profité pour suivre des formations. Il y avait de nombreuses structures qui proposaient des contenus pédagogiques en ligne. J’ai aussi utilisé ce temps pour faire des recherches et préciser mon approche”, confie le Français de Londres.
Formule qui a finalement été payante car dès la rentrée de septembre, la demande pour le coaching sportif a connu une augmentation. “Je pense que le confinement a fait prendre conscience aux gens que le sport peut être un réel moyen de se sentir ‘équilibré’. Ça a été un déclic chez certains. En plus, beaucoup d’individus ne veulent plus aller dans les salles de sport.” Ces derniers préfèrent donc se tourner vers des pratiques plus individuelles où ils sont tout de même suivis par un professionnel. “Beaucoup ont essayé de suivre des programmes en ligne, mais la partie “suivi” leur manquait”, analyse Guillaume Buisson-Hainaut.
Si la pandémie a joué positivement sur la demande de séances sportives individuelles ou en petit comité, elle a eu, au contraire, de lourdes conséquences sur les pratiques de sports collectifs, comme le rugby. Le club français de Londres, le London French Rugby, établi depuis 1959, fait en effet face à de nombreuses interrogations. “C’est une galère totale depuis l’arrivée de la Covid-19”, confie Philippe Carré, responsable de la section “minis” du club. Si la saison 2019/2020 a brutalement pris fin en mars dernier, celle de 2020/2021 n’a pas non plus repris normalement en septembre. “Les clubs doivent suivre le protocole sanitaire mis en place par la RFU (Rugby Football Union, ndlr), où il est demandé aux joueurs de se laver les mains régulièrement, aux coachs d’organiser des bulles d’entraînements de dix joueurs maximum et de ne pratiquer que le ‘touch rugby’ (pratique d’évitement qui induit un minimum de contact, ndlr)…”
Autant de règles qui font perdre à cette pratique son essence même. “Les enfants ne font que jouer à la “baballe”, explique Philippe Carré. Il leur manque ce côté “contact” qui est souvent l’une des raisons pour laquelle ils s’inscrivent. Du coup, il est plus difficile de les motiver à revenir s’entraîner ou à fédérer un enthousiasme.” D’autant plus que les clubs, du fait du nouveau confinement, sont obligés de mettre en suspens toute pratique, et ce, au moins jusqu’au 2 décembre.
Du côté des équipes seniors, le constat est tout aussi inquiétant. Le même protocole sanitaire que celui des minis s’y appliquent, ce qui a empêché la reprise des championnats amateurs pour la saison 2020/2021. Une saison blanche pour ces catégories qui fait donc craindre à Stéphane Redon, chargé des équipes seniors, une perte de licenciés. “Nous avions un groupe d’une vingtaine de joueurs, dont 60% de nouveaux, ce qui était encourageant pour la suite. Mais il va être compliqué de les garder mobilisés pour jouer avec nous l’année prochaine.”
Quand le London French Rugby peine à innover pour continuer à être attractif auprès des petits comme des grands, à cause de la nature et de l’esprit de la pratique, d’autres disciplines s’en sortent mieux. Yannick Kamanan, ancien joueur de football professionnel et créateur de la Champions Football Academy, est par exemple parvenu à conserver une continuité avec les jeunes qu’il encadre. Lors du premier confinement, il a en effet proposé des entraînements “one to one”. Grâce à un camion dans lequel il peut transporter tout son matériel, l’entraîneur se déplace au gré des rendez-vous pour proposer à ses jeunes footballeurs un entraînement individuel.
“Ce concept plaît beaucoup, notamment le mercredi après-midi et le week-end. Je fais d’abord travailler techniquement les enfants, avant de leur proposer une petite séance de tirs aux buts, exercice qu’ils affectionnent tout particulièrement.” La Champions Football Academy est en effet axée sur un travail technique des jeunes, âgés au maximum de 15 ans. Les entraînements individuels que proposent Yannick Kamanan pendant le confinement s’inscrivent donc dans l’esprit de la structure, ce qui lui permet de ne pas mettre totalement en suspens son activité.
De la même façon, Guillaume Buisson-Hainaut a dû revoir ses plans concernant le futur de Beyond Fit London, afin de s’adapter à la nouvelle conjoncture. “Je vais monter une plateforme pour faire de la vente de programme, du coaching et du suivi en ligne. Je pense qu’il est aujourd’hui important et nécessaire d’offrir cette option pour anticiper de prochaines restrictions.” Le coach sportif prévoit donc de mixer coaching en présentiel et coaching en ligne dans les prochains mois. “Proposer les deux me semble primordial aujourd’hui. Du fait des confinements, un nouveau type de demande s’est généralisé : de nombreuses personnes se sont en effet habituées à suivre des programmes par elles-mêmes. Certaines aiment être coachées, c’est-à-dire avoir un programme et un suivi, tout en conservant une certaine autonomie.”
N’en reste que pour tous, les inquiétudes concernant le futur ne sont jamais bien loin. L’ancien footballeur professionnel connaît notamment des ralentissements dans le développement de sa structure. “Pour l’instant, nos équipes ne sont pas inscrites dans des championnats. Nous en avons fait la demande à la fédération anglaise. Mais avec les confinements et les mises en suspens des compétitions, la réponse tarde…” Or, si s’entraîner avec les copains est toujours un plaisir, se mesurer à d’autres clubs renforce l’esprit d’équipe et crée une émulation encore plus importante chez tout sportif.
Mais c’est surtout du côté financier que tous rencontrent les principaux problèmes. “Les règles mises en place par le gouvernement ne sont pas claires, il est donc vraiment compliqué de se projeter, que ce soit sur le nombre de séances ou sur les rentrées d’argent…, explique Guillaume Buisson-Hainaut. Pour l’instant, mon activité marche bien et je ne voudrais pas que cela s’essouffle…” De son côté, Yannick Kamanan doit fournir un salaire aux 4 coachs qu’il emploie. Même s’il arrive à s’en sortir grâce à l’organisation des “one to one”, il a perdu une grosse partie de son activité liée à son intervention dans les écoles. “On s’occupait de 80 enfants d’une école le mercredi après-midi. Même si on en a récupéré quelques-uns en “one to one”, ce n’est pas suffisant pour pallier les pertes liées à l’arrêt des activités périscolaires.”
Le London French Rugby en est, lui, à un stade encore plus critique. Il craint en effet aujourd’hui pour sa survie. “Les joueurs du club sont majoritairement français, mais nous avons aussi des licenciés irlandais, américains, sud-américains, qui n’ont pas de représentation suffisamment grande pour avoir leur propre équipe. Or, avec le Brexit, il y a eu de nombreux départs de familles françaises et européennes, ce qui a décimé certaines équipes, notamment les seniors”, explique Philippe Carré. Ce à quoi vient aujourd’hui s’ajouter la Covid-19 et les pertes de licenciés dues à la pratique, qui se rapproche aujourd’hui plus du fitness que du rugby.
Mais ce n’est pas tout. “Cette année, le club va avoir très peu de revenus pour couvrir les frais fixes car il est difficile de demander des cotisations au vu des conditions d’entraînements et de l’absence de compétition…”, se désole Stéphane Redon, directeur du London French Rubgy. “C’est la survie même du club qui se joue”, finit Philippe Carré.
Et ils ne comptent pas sur les aides de la fédération de rugby, la RFU, ou du gouvernement pour les aider. Tout simplement parce que rien n’est prévu pour eux. “La RFU cherche à donner des instructions précises, mais je n’ai pas entendu parler d’un plan d’aide. C’est vraiment préjudiciable”, confie l’entraîneur des “minis”.
Et sur ce point, les trois structures sont logées à la même enseigne. Si la Champions Football Academy a obtenu une aide permettant à ses employés d’avoir un semblant de salaire, Beyond Fit London n’a quant à lui pas pu en profiter, car trop nouveau dans le milieu. “Il faut avoir au minimum un an d’activité complète pour pouvoir prétendre à des aides. Et encore, de nombreux collègues n’en ont même pas bénéficié…” Le monde du sport, à l’image de celui de la culture, n’a pas fini d’être inquiété…