“Ni l’équipe ni moi ne l’avons encore vu sur grand écran, donc je suis impatiente”. Elisabeth Felson a de quoi : cette Française va présenter son dernier film documentaire dimanche 30 octobre au cinéma Curzon de Soho, dans le cadre de la 30ème édition du Raindance Festival de Londres. Ce deuxième projet, elle l’a mené pendant la seconde vague de la pandémie, en 2021, et a dû s’adapter avec son équipe aux différentes règles sanitaires mises en place à l’époque.
Mais la qualité de son travail aura été remarquée puisque son film documentaire, intitulé “Night Burns Like Cigarettes”, a été nommé à ce festival cinématographique londonien de renommée, et ce, dans deux catégories : Best UK Film et Best Cinematography. Si elle parvient à décrocher ces deux prix, ils viendront s’ajouter à une liste déjà longue d’autres récompenses que son équipe et la cinéaste franco-britannique ont déjà reçues avec une première œuvre sortie en 2020, “Small Kingdom”. Dans ce documentaire, Elisabeth Felson y racontait le quotidien de Ross Nye Stables, une écurie installée en plein cœur de Hyde Park. “Ils étaient menacés de fermeture et j’avais envie de montrer son importance au sein de la communauté locale”, confie la cinéaste, qui tenait donc beaucoup à faire ce film.
Les spectateurs ont ainsi suivi toute l’équipe de cette écurie, des jeunes cavaliers aux propriétaires des lieux, une famille australienne qui avait fondé dans les années 60 ce qui est devenue depuis une institution dans le monde équestre londonien. Elisabeth Felson y apporte, à travers le choix de son cadrage, de ses images mais aussi de son montage – des étapes qu’elle supervise entièrement -, un regard intimiste sur tous les gens qui font fonctionner cette écurie et ainsi leur rendre hommage. Un travail qui mêle à la fois un peu de journalisme d’enquête mais aussi un de vue plus artistique et poétique que revendique la jeune femme. “Au Royaume-Uni, il y a cette culture du documentaire très journalistique à la façon BBC, où tout est argumenté et avec, souvent, le choix de sujets très provocants. Mais moi, je ne suis pas britannique à proprement parler puisque je n’ai pas la nationalité. Je suis française et je voulais donc apporter un regard différent”.
Elle a donc choisi de faire un film du point de vue de l’animal pour montrer à quel point il est important de préserver cette présence en plein cœur d’une ville. “J’ai beaucoup joué sur le langage visuel, très cinématique, les chevaux étaient constamment dans le cadre et l’idée était de parler d’eux comme s’ils étaient des personnes”. Pour la musique, elle est parvenue à convaincre l’ancien membre du groupe Radiohead, Jonny Greenwood, devenu compositeur de musique de films. “Je suis allée le voir à la fin d’un festival, je lui ai expliqué mon projet et il a accepté”, se réjouit encore la jeune femme.
Ce film documentaire, qu’elle a réalisé avant la pandémie, a été sélectionné dans de nombreux festivals : Australie, Argentine, Angleterre, Inde. Et a remporté de nombreux prix, dont celui de la meilleure réalisation au Bristol Independent Film Festival en 2021. “Au total, on a obtenu dix nominations et quatre prix”, se félicite Elisabeth Felson. Seul regret : que tout se soit passé en ligne à cause de la pandémie et de l’impossibilité de voyager. Mais les spectateurs peuvent se rattraper puisque le film documentaire de 42 minutes est désormais disponible à la demande sur Amazon Prime Video.
Après ce premier opus, Elisabeth Felson a voulu enchaîner immédiatement. Pas de temps à perdre pour la jeune femme, qui ne se destinait pourtant pas au cinéma. Cette Française a grandi à Paris puis est arrivée en Angleterre pour suivre des études en politique au sein de l’université de Cambridge. Après des allers-retours entre le Royaume-Uni, les Etats-Unis (où elle a vécu deux ans à New York) et la France, elle a finalement posé ses valises définitivement à Londres il y a six ans. Alors qu’elle propose de faire un documentaire sur François Truffaut pour une radio française, elle tombe amoureuse du travail du cinéaste mais aussi du cinéma. “Cela m’a tellement plu que je me suis dit qu’il fallait que je me lance”. Elisabeth Felson retourne donc sur les bancs de l’école et s’inscrit à la London Film School. Elle réalise deux courts métrages pendant ses études, mais elle se rend compte que ce format ne lui correspond pas. “Je n’aime pas les histoires courtes, je préfère avoir le temps de développer le sujet, les personnages”.
C’est ce qu’elle a donc à nouveau réalisé avec son second opus, “Night Burns Like Cigarettes”, qui vient de sortir et qu’elle a aussi auto-produit grâce à sa société Steppenwolves Films Ltd. “Je me suis lancée dans la pré-production tout de suite après la sortie de ‘Small Kingdom’. Mais il a fallu que j’arrête à cause des nouvelles conséquences de la pandémie”. Le sujet de son nouveau film documentaire s’est imposé de lui-même. “Je voulais faire une ode à la beauté de la nuit, mais ce film est aussi une réflexion sur la surconsommation de la nuit, comme en sur-éclairant nos villes, de notre société contemporaine”, explique la cinéaste. De quoi faire disparaître le côté obscur, notamment par peur du noir. Dans son film, Elisabeth Felson suit ainsi des personnages, comme le chanteur anglo-zimbabwéen Kwaye – qui signe d’ailleurs la musique du documentaire – qui, lui, revendique ce droit à l’obscurité via un spectacle de danse envoûtant.
Pour cet opus, la Française s’est entourée de grands talents, comme le monteur Francesco Cibati ou le directeur de la photographie Máté Herbai. Pour la voix qui entraîne les spectateurs dans cette introspection, celle de Lily Cole. Cette ancienne mannequin britannique devenue actrice a accepté de participer au projet. “Un petit miracle”, lance Elisabeth Felson qui n’en revient toujours pas, “je lui ai envoyé le film et elle a dit oui”. Si elle tenait à ce que se soit Lily Cole, c’est parce qu’elle apprécie son militantisme écologiste et que cet investissement pour les causes environnementales correspondait bien au message de son projet. “Les films, en portant un regard sur le monde et sur nous-mêmes, peuvent influencer le public, parfois même le changer, ou les inspirer. Et c’est ça que j’aime”.
Elisabeth Felson n’arrête jamais et travaille déjà à un nouveau projet, mais cette fois-ci, pas de documentaire mais une fiction féministe. “Je viens de finir de l’écrire”, confie la jeune femme, qui cherche dorénavant un producteur. “J’avais l’habitude d’auto-produire mes films mais pour un tel film ce n’est pas possible”. Peut-être que les prix qu’elle obtiendra pour ce second documentaire donneront envie à certains de participer à son nouveau projet.