Le 6 mai 1994, la reine Elisabeth II, François Mitterrand et Margaret Thatcher inauguraient “l’ouvrage du siècle” : le tunnel sous la Manche. Avec plus de 50 kilomètres, dont 37 sous la mer, il reste à ce jour le plus long tunnel sous-marin au monde. Autre prouesse, ce tunnel a été construit “sans le moindre penny public” selon la volonté de l’ancienne Première ministre britannique, surnommée La Dame de fer. L’histoire raconte que François Mitterrand insistait pour avoir un tunnel ferroviaire, tandis que, côté anglais, la préférence était pour une autoroute. Un compromis a été finalement trouvé : ce sera le rail, financé par des fonds privés. En ce 30e anniversaire de ce tunnel emblématique, French Morning London présente sept faits marquants sur son histoire et son actualité.
Le chantier du tunnel sous la Manche, entamé en 1987, a été un véritable exploit architectural. Sur une période de sept ans, ce projet colossal a mobilisé une main-d’œuvre de plus de 10,000 personnes et nécessité près d’un million de tonnes de béton. Pour mener à bien ce projet, de nouvelles technologies ont dû être développées, notamment les tunneliers géants, des machines révolutionnaires capables de creuser jusqu’à 150 mètres par jour, à 40 mètres sous le fond marin.
En ce qui concerne la structure, bien que souvent évoqué au singulier, le tunnel se compose en réalité de trois voies. Deux d’entre elles sont destinées au transport ferroviaire dans chaque direction, tandis que la troisième est utilisée comme voie de service et de secours. Durant les périodes de forte affluence, jusqu’à cinq à six trains peuvent circuler simultanément dans chaque sens, avec la possibilité d’augmenter ce nombre à huit grâce aux nouveaux standards de sécurité, permettant potentiellement le passage de 1,000 trains par jour. Quant au temps de trajet sous la Manche, il n’est que de 35 minutes.
Le tunnel est également équipé d’un système de ventilation sophistiqué, injectant 140 mètres cubes d’air par seconde pour maintenir un environnement sûr en régulant la température et en filtrant les particules nocives, de quoi jouer avec les oreilles de ses passagers, à l’instar de l’avion.
Chaque année, des millions de voyageurs empruntent le tunnel sous la Manche. Les navettes LeShuttle transportant les véhicules accueillent en moyenne dix millions de passagers par an, tandis qu’Eurostar transporte 11 millions d’usagers supplémentaires. Pour atteindre ces chiffres impressionnants, 400 trains et navettes circulent sous la mer, soit un départ toutes les quatre minutes (440 millions de passagers transportés depuis 1994). Quant aux navettes de fret ferroviaire, elles représentent chaque année 26% de la valeur des échanges entre la France et le Royaume-Uni.
Depuis mai 2022, le tunnel transporte un nouveau passager : l’électricité. En effet, Eurotunnel (devenu Getlink) s’est engagé dans le secteur de l’énergie avec la mise en service de l’Interconnecteur à très haute tension ElecLink, reliant les réseaux de transport d’électricité de la France et de l’Angleterre. Un investissement de 826 millions d’euros a donné naissance à cette nouvelle filiale de Getlink : Eleclink.
Cependant, malgré les succès enregistrés, le tunnel rencontre également des difficultés. Le trafic commercial ferroviaire en est une des principales. “Les études initiales tablaient sur 10 millions de tonnes de marchandises par an, alors que nous n’en sommes qu’à 1 million aujourd’hui”, souligne sur le site de la compagnie, Yann Leriche, PDG de Getlink, société mère d’Eurotunnel. Bien que des trains de marchandises empruntent effectivement le tunnel, ils ne sont qu’au nombre de quatre par jour. Ce sont donc principalement les camions qui empruntent le tunnel via les navettes de l’entreprise, loin de l’idée originelle d’un réseau ferroviaire, car en dehors des 50 kilomètres souterrains, ces gros véhicules circulent sur les autoroutes.
Deux facteurs principaux expliquent cette lacune. Tout d’abord, le réseau ferroviaire anglais n’est pas adapté pour accueillir les caisses mobiles utilisées pour charger et décharger les camions sur les trains. Cette incompatibilité de gabarit rend ainsi le fret ferroviaire non concurrentiel dans le tunnel. Malgré cela, Getlink cherche à persuader les autorités britanniques d’investir pour permettre aux trains de circuler jusqu’à Wembley, puis vers les plates-formes multimodales au nord de Londres. Un investissement de 50 millions de livres sterling, selon l’entreprise, pourrait résoudre ce problème.
Un autre obstacle majeur au développement des trains dans le tunnel est la concurrence intense avec les ferries traversant la Manche. Deux des trois compagnies pratiquent ce qu’on appelle le dumping social. C’est-à-dire que sur les ferries sont embauchés des travailleurs étrangers avec des conditions de travail et des coûts de main d’œuvre bien inférieurs à ceux pratiqués par Eurotunnel. Ainsi, des marins venus d’un peu partout dans le monde travaillent 17 semaines sans discontinuer sur leur bateau, pour des salaires payés 60% des minima sociaux français ou anglais. De ce fait, les deux tiers du trafic de marchandises entre le Royaume-Uni et l’Union européenne passe donc par la voie maritime plutôt que sous terre.
Des lois françaises et britanniques prévues pour cette année 2024 devraient imposer un salaire minimum aux équipages de toutes les compagnies maritimes, ainsi qu’un repos obligatoire. Eurotunnel et les compagnies de ferry concurrentes attendent donc l’application de ces décrets, prévue pour la fin du mois de décembre. Cependant, ces lois ne résolvent pas tous les problèmes relatifs aux marins internationaux, notamment en ce qui concerne l’assurance maladie, le chômage, etc., ce qui nécessite une action au niveau européen.
Durement frappée par le Brexit et le Covid, Eurostar, qui détient le monopole de la liaison entre Londres et le continent européen, a frôlé la faillite en 2021 et se trouve depuis dans une situation délicate (suppression de lignes vers Disneyland Paris, le sud de la France ou encore d’arrêts dans le Kent).
Après la Renfe, la compagnie ferroviaire espagnole, un nouvel acteur entre en scène pour concurrencer Eurostar. En effet, la société majoritairement espagnole Evolyn se positionne pour rivaliser sur la liaison Paris-Londres et a annoncé en octobre dernier l’acquisition de 12 trains auprès d’Alstom, le fabricant français de matériel roulant. Cette transaction pourrait même être étendue à 16 trains, selon un communiqué d’Evolyn. Le coût total de ce projet s’élève à 1,16 milliard d’euros, précise l’entreprise, qui prévoit le démarrage de la circulation des trains en 2025, avec un service pleinement opérationnel en 2026. Cela marquerait la première incursion d’un concurrent sur le marché après 30 ans de monopole d’Eurostar.
Pour l’instant, Evolyn envisage un service sans arrêt entre Londres St Pancras International et Paris Gare du Nord, avec la possibilité d’ajouter dans le futur des arrêts dans le nord de la France, bien qu’aucun autre itinéraire ne soit planifié pour le moment.
Bientôt de nouvelles destinations au départ de Londres ?
Malgré le Brexit, le Royaume-Uni reste étroitement lié au continent européen. Et pour élargir cette connexion, le projet d’Eurotunnel est de venir concurrencer l’avion sur de nouvelles destinations. Après Paris, Bruxelles et Amsterdam, ce sont Cologne, Francfort, Genève et Zürich qui pourraient bientôt bénéficier d’une liaison ferroviaire avec la capitale anglaise. Eurotunnel considère le développement du trafic passagers à grande vitesse comme une priorité et soutient financièrement tout projet d’ouverture de nouvelles liaisons.
Par exemple, 9 millions d’euros ont été investis pour la liaison Londres-Amsterdam par Eurostar, et 50 millions d’euros sont déjà prévus pour les futures liaisons depuis l’Allemagne ou la Suisse d’ici 2030. Il a fallu dix ans pour relier Londres à Amsterdam, il faudra compter cinq ans pour les autres villes, à partir du moment où la décision aura été prise.
L’Eurotunnel se positionne comme un acteur de la transition écologique
En proposant de nouvelles destinations et en capitalisant sur le contexte actuel favorable au transport ferroviaire, Eurotunnel ambitionne de jouer un rôle central dans la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement. Bien que le tunnel sous la Manche soit opérationnel depuis près de 30 ans, il est actuellement exploité à seulement 40% de sa capacité, avec 400 trains quotidiens. Eurotunnel s’engage dans une série d’initiatives visant à accroître ce chiffre à 1,000, offrant ainsi aux marchandises et aux voyageurs une option de déplacement à faible empreinte carbone.
De plus, grâce à une modernisation continue des réseaux, des équipements et de l’infrastructure entre 2012 et 2019, les émissions de gaz à effet de serre ont été réduites de 33%, tandis que le chiffre d’affaires augmentait de 28% sur la même période. Dans le cadre de son “Plan Environnement 2025”, l’entreprise vise à réduire encore de 54% les émissions d’ici 2030 par rapport à 2019. L’approvisionnement électrique de l’Eurotunnel est désormais largement décarboné, avec une part provenant des énergies renouvelables.
Depuis le Brexit, les contrôles aux frontières ont dû être renforcés, entraînant des délais supplémentaires. Pour minimiser les perturbations dans le trafic sous la Manche, Eurotunnel a investi 78 millions d’euros dans un système de reconnaissance faciale et digitale pour les non-Européens entrant ou sortant du continent. Cet investissement vise à mettre en œuvre les nouvelles procédures. L’entreprise a adapté ses infrastructures pour gérer les pics d’affluence et assure que ce système n’ajoutera que cinq à sept minutes au temps de parcours des passagers. Le système, appelé Parafe, est habituellement déployé dans les aéroports, notamment à Paris, Nice ou Lyon. Il s’agit de sas équipés pour vérifier, grâce à des algorithmes précis, si la photo du passeport correspond à celle de la personne présente à l’intérieur. Ce dispositif ne devrait pas, en revanche, être utilisé à d’autres fins, telle que la reconnaissance faciale de personnes recherchées.