“J’ai écrit ce que les journalistes ou chroniqueurs britanniques n’auraient jamais pu écrire par pudeur ou par respect de la reine”, résume Marc Roche. Lui qui rapporte depuis 40 ans tous les faits et gestes de la famille royale sait que son dernier ouvrage, paru le 18 mai dernier aux éditions Albin Miche, risque de ne pas être au goût de Buckingham. Mais le journaliste belge n’en a cure. Surtout que, dit-il, ce qu’il a écrit n’est que le reflet de la réalité de la cour britannique. D’ailleurs, s’il a choisi la référence des Borgia, cette famille espagnole qui avait défrayé la chronique dans l’Italie de la Renaissance du XVème siècle, ce n’est pas un hasard. “Ce sont les mêmes ingrédients, sans le sang et le poison, mais avec des adultères avec notamment Charles et Camilla, de la débauche avec le scandale du prince Andrew et une lutte fratricide entre William et Harry”.
Son livre, Marc Roche l’a construit comme “une série télé”. Mais pas dans la même veine que The Crown, qui reste pour lui une version très romancée et loin du réel de ce qui s’est passé et se passe entre les murs de Buckingham Palace. “D’autant plus que cette série s’achève en 2002 et rate donc toutes les dernières et importantes évolutions de la famille royale”, souligne ce spécialiste de la famille royale, correspondant du Monde et du Point. Et parmi cela, le scandale du prince Andrew pris dans une affaire de pédophilie, du départ de Meghan et Harry et l’arrivée de Kate Middleton au sein de la “firme”.
Le journaliste n’avait plus envie d’être consensuel, confie-t-il. Lui qui a écrit trois biographies sur la reine, dont une “quasi autorisée”, il a souhaité aller à contre-courant de ce que l’on peut lire traditionnellement sur la famille royale. “Je crois que l’approche du Jubilé a été un véritable déclic. C’est le dernier de la reine et donc je trouvais essentiel de briser l’omerta qui règne autour de la famille et ainsi de remettre les pendules à l’heure en particulier concernant Elizabeth II et son fils Charles”. Ce livre, les Britanniques n’auraient pas pu l’écrire, reconnaît Marc Roche. “Il y a une certaine pudeur et un respect de la royauté de la part de la presse britannique”, raconte-t-il, sans compter que Buckingham travaille et a beaucoup travaillé sa communication. “Charles, depuis l’histoire de Diana, a lancé une grande opération médiatique pour être présenté comme un excellent père, alors qu’il n’avait qu’une obsession : son remariage”.
Son ouvrage se présente donc sous la forme de dialogues entre les principaux protagonistes de Buckingham Palace. Une volonté assumée de l’auteur, qui ne souhaitait ni écrire un roman ni une pièce de théâtre, mais bien un livre de “facts and fiction”. Mais alors comment reconstituer des scènes intimes auxquelles on n’a jamais assisté, notamment quand il s’agit de retranscrire les échanges entre roturiers, dont la manière de parler est bien éloignée de celle de l’aristocratie monarchique ? “Le ton de la royauté est en effet très détaché, froid, peu émotionnel, on ne parle jamais de choses intellectuelles ou artistiques. Les roturiers, eux, parlent comme vous et moi. Mais en sachant qu’ils ont passé tellement de temps dans les pensionnats aristocratiques ou ont longtemps fréquenté le cercle de la royauté, on se demande toujours comment ils échangent dans ce monde”, lance l’auteur. C’est grâce non seulement à sa fine connaissance de la famille royale, qu’il a fréquenté.
La reine, dont il a écrit trois biographies (la dernière est sortie en 2021), il l’a rencontrée à plusieurs reprises depuis 1994. D’ailleurs, comme il le rappelle, il a été “le seul journaliste jamais invité à deux banquets”. La première fois en 2004 lors de la venue du président Jacques Chirac, la seconde en 2008 pour celle de Nicolas Sarkozy. “J’ai aussi connu le prince Andrew quand il était représentant pour le commerce extérieur britannique”. Ses autres sources, il les a puisées auprès des experts de la monarchie britannique, “mais pas qu’auprès de Buckinghamologues”. Spécialistes en droit constitutionnel, historiens, sociologues… la liste est longue. “Et puis, il y a aussi les chroniqueurs royaux sérieux comme ceux de The Daily Telegraph, du Times ou encore de Vanity Fair”. Bref, Marc Roche est très bien informé et a donc pu mener un vrai travail journalistique, ne se basant que sur des faits. Mais, il confesse que s’il en connaît un rayon sur la génération de la reine, il est moins expert sur la nouvelle génération portée par William et Kate.
Même si son livre pourrait agacer les fans de la famille royale dont il égratigne sérieusement l’image idyllique vendue par les magazines spécialisés, Marc Roche assure pourtant que c’est un royaliste. “Je pense sincèrement que la reine est un point fixe nécessaire dans la tourmente, un rempart contre toute dérive autoritaire”. Après ce dernier ouvrage, le journaliste confesse qu’il n’en écrira pas d’autres sur Elizabeth II. “Je crois que j’ai fait le tour de ce que j’avais à dire”, confie-t-il.
Si aujourd’hui, il est occupé à travailler sur un sujet complètement différent, à savoir les oligarques russes, pour la chaîne Arte, Marc Roche ne reste pas moins intéressé par ce qui se passe dans la famille royale. “J’aimerais bien écrire un jour une biographie sur le prince Charles. C’est un personnage attachant, même s’il est froid et distant. Quand il régnera, il ne faudra pas attendre de grandes réformes substantielles par rapport à sa mère, mais il a un véritable accent pour l’écologie et la diversité”. Le journaliste rappelle que c’est lui qui avait nommé la première attachée de presse de couleur, une Antillaise, dès les années 2000. “Il a aussi fait campagne pour qu’il y ait des gardes royaux noirs. Il s’est aussi engagé, quand il deviendra monarque, à devenir le gouverneur de toutes les religions et non plus que celle de l’Eglise d’Angleterre”. Un projet dont il parlera peut-être lors de son intervention pour le Jubilé de Platine de la reine, sur TF1, jeudi 2 juin.