Une bible protestante cachée à la hâte et cuite dans une miche de pain lors d’une perquisition dans la Drôme. Afin de garder secrète l’identité de l’imprimeur, la famille Fasquet, alors propriétaire de l’ouvrage, en avait même au préalable arraché la page de titre. C’est par cet objet marqué par l’histoire et la clandestinité que sont accueillis les visiteurs du musée huguenot de Rochester, dans le Kent.
Contraints d’abjurer leur foi (l’émouvant certificat d’abjuration d’Antoine Lauzy en 1733 témoigne de ces pratiques) ou condamnés à mort, nombre de protestants français s’enfuirent en secret et trouvèrent refuge aux Pays-Bas, en Suisse, aux Etats-Unis ou encore et surtout en Angleterre. Il est estimé que 50,000 d’entre eux, sur un total de 180,000 à 200,000, y ont trouvé asile, principalement à partir des années 1680, suite à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 qui engendre un pic de migration (« Le Grand Refuge »).
La moitié d’entre eux s’installera à Londres. Le musée de Rochester, ouvert en 2015, retrace leur histoire, les systèmes de solidarité mis en place et la contribution importante de ces réfugiés à leur patrie d’adoption. Afin d’aider les nouveaux arrivants démunis et éprouvés, des hospices et des écoles furent créés. Le French Hospital, hospice à l’origine de la création du musée est d’ailleurs toujours en activité aujourd’hui. Fondé à Londres en 1718 puis déplacé à Rochester après-guerre, « il aide encore aujourd’hui les descendants de protestants dans le besoin », explique Lara Dix, directrice du Huguenot Museum.
Comme le montrent ses vitrines richement dotées d’objets transmis par leurs descendants, ces huguenots étaient pour nombre d’entre eux de très habiles artisans. Ces talents et parfois quelques outils constituant d’ailleurs bien souvent les seuls biens en leur possession à leur arrivée facilitent leur assimilation. Leurs compétences s’exerçaient notamment dans les domaines du tissage de la soie (laquelle sera ainsi désormais fabriquée sur place, à Spitafields, Londres et non plus importée), l’orfèvrerie, la reliure, la marqueterie, la verrerie, l’horlogerie, autant de qualifications recherchées.
Ils furent aussi des professionnels doués pour la banque, la médecine ou l’armée. Nombre d’entreprises anglaises peuvent retracer leur origine à ces entrepreneurs huguenots, comme le rappelle un billet de £50 en circulation entre 1994 et 2014, à l’effigie de John Houblon, petit-fils d’un huguenot réfugié, nommé premier gouverneur de la Banque d’Angleterre en 1694. Ou encore les bijouteries Asprey, fondées elles aussi par des huguenots.
Ces réfugiés ont fait souche et leurs descendants sont nombreux dans la société britannique. A tel point qu’on estime aujourd’hui qu’« un Londonien sur 6 descend de huguenots », rappelle Andrew Cazalet, trustee du musée. Des noms à consonance française nous mettent la puce à l’oreille. En passant la frontière, certains ont été anglicisés : « Reynard devient ainsi Fox ou Delacroix : Cross ».
Le musée propose d’ailleurs ses services de généalogie pour permettre aux familles de confirmer leur ascendance huguenote et découvrir leur histoire. Fidèle à son appartenance à la « première vague de réfugiés en Angleterre », le musée mène des projets en lien avec ce thème. Récemment avec la communauté ukrainienne, ainsi qu’en témoigne le grand patchwork en fin d’exposition.
Crédit photo de Une : Marie de Montigny
Adresse : Huguenot Museum, 95 High Street, Rochester, Kent, ME1 1LX
Ouverture : de 11am à 4pm du mardi au samedi
Combien : £5 pour les adultes, £4 pour les enfants à partir de 5 ans