Sur les pelouses vertes de Regent’s Park, une équipe se distingue autant par son jeu que par sa voix : le London Storm FC, la première équipe féminine bilingue anglais-français à Londres. En cette fin de première saison de compétition, le bilan est plus qu’encourageant : une deuxième place au classement sur douze équipes et, surtout, une aventure humaine sans précédent.
C’est en septembre 2024 que le London Storm FC est officiellement lancé. À l’origine du projet : le Français Ahmed Boutafza, installé à Londres depuis 2011 et professeur de sport spécialisé dans le football ainsi que le Britannique Serkan Kemal, lui aussi professeur de sport et coach expérimenté depuis plus de 20 ans dans le football londonien.
Tous deux enseignants dans un collège du nord de la ville, ils décident de créer une équipe féminine bilingue. « On avait perçu une demande croissante de football chez les jeunes filles », explique Serkan Kemal, avant d’ajouter, « il y a une grosse communauté française à Londres et pourtant on n’avait jamais vu une équipe de football francophone ».
Finalement, le duo s’appuie sur leur expérience de coach d’équipes masculines pour bâtir un groupe solide, composé aujourd’hui de 15 joueuses francophones et anglophones âgées de 11 à 13 ans. « Les entraînements ont lieu chaque jeudi à Hampstead, à côté de Tallacre, ou à Belsize Park et les matchs se disputent tous les samedis à Regent’s Park dans le cadre du Regent’s Park Youth League, la plus grande compétition de football du centre de Londres », avance Ahmed Boutafza.
« Au début, on essayait de ne pas se prendre plus de dix buts. Maintenant, le seul objectif est la victoire », confie le professeur de sport français. En quelques mois, l’équipe a ainsi connu une progression fulgurante, et même les parents en sont bouche bée. « Les parents n’en reviennent toujours pas que ce soit la même équipe qu’au début» , ajoute Serkan Kemal. Le nom de l’équipe, London Storm, est d’ailleurs significatif de leur progression : « Le mot ‘storm’ évoque à la fois la météo que nous connaissons bien et reflète notre état d’esprit : énergie, détermination et résilience », lance l’Anglais.
La capitaine Zoé Dembiermont et la gardienne Iris Calhoun expliquent aussi cette évolution : « Au début on était stressées avant les matchs, mais plus maintenant. On sait comment tout le monde joue ». Et si les jeunes filles restent actuellement imbattues sur les quatre derniers matchs, c’est notamment grâce à leur singularité bilingue.
Si l’équipe des U13 impressionne par ses résultats, c’est aussi sa dimension bilingue qui fait son originalité et sa force. « Notre point fort est qu’on peut parler français pour ne pas dévoiler nos tactiques », confie Zoé Dembiermont. Si cette technique permet de déstabiliser les adversaires, c’est aussi un aspect qui permet de rendre ce groupe unique et puissant.
De plus, la French touch se fait ressentir dans la stratégie. « Les Anglais sont plus dans l’attaque alors que nous, on joue plus à la française, on construit le jeu sur la défense, le milieu et l’attaque », lance Ahmed Boutafza. Cette approche tactique plus structurée peut ainsi surprendre les adversaires à leurs dépens.
« Je crois qu’aujourd’hui je prends plus de plaisir à entrainer les filles car elles sont plus indépendantes et débrouillardes », explique le coach français. En effet, même si cette expérience est nouvelle pour les deux professeurs de sport, elle les a complètement bouleversés. « Je suis très fier, les progrès sont beaucoup plus flagrants que chez les garçons. Elles ont un esprit d’équipe fort alors que les garçons sont plus individuels et ont tendance à vouloir être les meilleurs individuellement », lance Serkan Kemal.
Si l’esprit de groupe est différent, c’est que les filles seraient moins « stressantes », considère Ahmed Boutafza. Il ajoute : « Vous apprenez quelque chose avec les filles, elles ont moins peur de rater et s’il y a un but, il ne se passe rien, on prend la balle et on replace. Chez les garçons, j’ai l’impression de devoir porter une casquette de gendarme ».
Le football féminin reste toujours moins mis en avant que le football masculin. Les joueuses confient regarder de temps en temps les matchs des équipes françaises ou anglaises, mais elles soulignent néanmoins le problème encore existant de l’accessibilité à la diffusion et à l’information du football féminin des deux côtés de la Manche.
Malgré cela, les coachs soulèvent le fort développement du football féminin à Londres et notamment chez les enfants et adolescentes. « Depuis deux ans, il y a presque plus d’évènements pour les filles que pour les garçons », explique Ahmed Boutafza.
En effet, si les tournois mixtes existaient à l’époque, rares étaient ceux destinés uniquement aux filles. Dans cette continuité, Regent’s Park a d’ailleurs créé un nouveau terrain uniquement pour la ligue des filles. La compétition est également conciliante sur l’âge des joueuses pour les équipes ne respectant pas les limites, en raison du nombre encore parfois trop faible de filles jouant au football.
Ce développement a donc permis aux coachs de créer cette équipe du London Storm FC aussi facilement que l’aurait été pour une équipe de garçons. « Comme on est dans le domaine, on n’a pas rencontré trop de difficultés », explique le Français.
« Cette équipe, ce n’est pas que du sport mais également un accompagnement pour le futur de ces jeunes filles », assurent les coachs. Cette expérience est donc faite pour donner aux joueuses une confiance en elles et les aider à se développer. « Par exemple, Zoé (la capitaine) a tout de suite montré son potentiel de leader et continue à l’exploiter en devenant une inspiration pour les autres », affirme Ahmed Boutafza. La gardienne Iris Calhoun ajoute quant à elle : « Au début, en tant que goal, j’avais l’impression que si je n’arrêtais pas la balle, tout était de ma faute alors que je me suis rendue compte du contraire ».
« L’équipe, c’est jouer au foot mais aussi donner aux filles des chemins de carrière en faisant naître en elles des idées sur ce qu’elles pourraient envisager pour plus tard », poursuit Serkan Kemal. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Anglais aimerait organiser des rencontres entre les joueuses et des femmes dans le milieu du football ou des femmes entrepreneuses. « C’est d’ailleurs avec les parents, très présents aux matchs, que l’on peut mettre en place ces perspectives avec des mamans cheffes d’entreprise par exemple », explique le coach britannique.
L’an prochain, les coachs souhaitent créer deux nouvelles équipes pour accueillir des joueuses d’âges différents. London Storm FC restant ouverte à toutes, bilingues ou non.
Ils espèrent aussi faire participer l’équipe à des matchs autour de l’Euro féminin 2025 – qui se tiendra du mardi 2 au dimanche 27 juillet en Europe du Nord – et à des tournois à l’étranger, comme en Suède ou au Maroc. Malgré le coût des terrains, le club maintient des frais de licence bas et reste actif dix mois sur douze, y compris après la saison officielle de Regent’s Park : une singularité forte à Londres.