La fin de la libre-circulation et le fait, pour les citoyens de l’Union européenne, de devoir désormais demander des visas pour pouvoir venir vivre au Royaume-Uni est sans doute l’un des aspects les plus marquants du Brexit. Mise en place depuis janvier 2021, la nouvelle politique a bien sûr eu pour effet de compliquer relativement sérieusement la tâche à de nombreux candidats, dont de nombreux Français, à l’immigration vers les îles britanniques.
A l’instar de Caroline Ursenbach, étudiante qui visait l’expérience culturelle et linguistique et espérait venir passer quelques mois à Londres en tant qu’au pair. La jeune fille a rapidement dû abandonner l’idée, l’activité ne lui ouvrant pas droit à un visa. Une situation qu’elle juge naturellement décevante. “Le séjour au pair est un excellent moyen d’apprendre et améliorer une langue, insiste-t-elle. Et c’est au Royaume-Uni qu’il fonctionne le plus.”
De manière générale, c’est surtout pour les Français cherchant à occuper des emplois considérés comme “peu qualifiés” (serveur, barrista) que les choses se sont compliquées, ce type d’emplois n’étant pas couverts par les visas.
Employée dans un bar à Londres, Carla (*), 23 ans, avait dû rentrer en France début 2020 à cause de la Covid. Elle espérait pouvoir revenir en 2021 mais les choses ont entre temps changé. Le visa pour “travailleur qualifié” – par lequel passent une grande partie des personnes souhaitant immigrer – exige d’avoir une offre d’embauche avant de véritablement pouvoir s’installer outre-Manche. Un point qui inquiète quelque peu la jeune femme, tout comme le fait, plus généralement, de voir son droit de séjour lié à un travail… Carla ne peut par ailleurs pas postuler à un poste de barmaid, jugé peu qualifié et qui ne fait pas partie de la liste des emplois acceptés pour le visa.
Et la Française ne se sent pas de candidater à un grade de manager (sur la liste). Elle a donc pour l’heure décidé de faire une croix sur l’Angleterre. A regret. Son séjour londonien lui avait vraiment plu. “J’y ai découvert des gens très ouverts d’esprit et avais l’impression d’une absence de jugement, de discrimination.” Carla avait aussi été surprise de pouvoir travailler un peu en tant que modèle photo, à côté de son job au bar. “Pour moi, Londres, c’était un peu la terre des opportunités.”
Sébastien Mangili, 42 ans, rêvait lui d’Ecosse. Le Français réfléchissait à venir y monter un concept touristique destiné à un public francophone. Lui aussi prévoyait d’effectuer des petits boulots, afin de progresser en anglais et gagner de l’argent, le temps de monter son projet. Mais compter sur les petits boulots n’est aujourd’hui plus possible. Quant à l’idée d’un visa en montant son entreprise, la chose peut être complexe selon le type d’affaire, les visas en la matière s’avérant assez exigeants…
Pris par des problèmes personnels (en plus de la situation épidémique), et pas toujours bien informé, Sébastien Mangili n’avait pas eu le loisir, fin 2020, de passer quelques jours en Grande-Bretagne pour sécuriser un statut de résident. Il met aujourd’hui son projet d’immigration sur pause et se focalise sur des cours d’anglais, en France, ainsi que sur une formation en tourisme… tout en espérant que les choses évoluent un jour vers plus de flexibilité, outre-Manche. Pour ce Français passionné, qui se rendait avant la Covid régulièrement en Ecosse, le Brexit a été vécu comme une “déchirure”.
De son côté, Manon (*), récemment diplômée, espérait pouvoir revenir en Angleterre – elle a travaillé en tant qu’au pair à Londres en 2018/2019 – et a cherché pendant plusieurs mois des postes en “sales, marketing, project management”. Sans résultat. “Je n’ai eu que des refus. J’avais pourtant un CV adapté au Royaume-Uni et suis bilingue en anglais. Mais les réponses me disaient toutes la même chose : ‘nous cherchons quelqu’un ayant le droit de travailler au Royaume-Uni’.” Sous-entendu quelqu’un ayant le statut de résident, de “settled” ou “pre-settled”(**).
Une situation peu évidente pour la Française, qui regarde avec envie l’exemple d’une amie avec le même master qu’elle mais qui, arrivée sur le marché britannique un an plus tôt, avait trouvé un emploi “en seulement quelques jours”. “Le marketing est un secteur moins demandé, ici”, note Nilmini Roelens, avocate spécialisée en immigration, qui rappelle que la facilité ou non de trouver une entreprise ouverte à des visas dépend bien sûr des domaines. “Il y a des secteurs où les compétences sont rares, au Royaume-Uni. Ces emplois figurent dans ce qu’on appelle la liste ‘des professions en pénurie’, où l’on trouve, par exemple, de nombreux emplois d’ingénieurs. Le parrainage y est plus facile et moins coûteux pour l’employeur.” En attendant, Manon a fini par accepter un poste en France. Mais envisage de retenter sa chance dans un an, “avec un peu plus d’expérience”.
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(*) Le nom n’a pas été précisé.
(**) Pour faciliter les recherches, sachez qu’il existe aussi un registre listant les entreprises disposant déjà d’une “sponsor licence”, plus aptes a priori a parrainer quelqu’un dans le cadre d’un visa.
Selon l’Observatoire de l’Immigration, les ressortissants de l’UE n’ont représenté que 7% des demandes des visas de travail (hors travailleurs frontaliers) durant la première moitié de l’année 2021, au Royaume-Uni. Une faible proportion… Cependant, l’institution estime qu’il est encore tôt pour tirer des conclusions concernant l’évolution de l’immigration européenne post-Brexit. La Covid a bien sûr aussi joué un rôle.