Arrivé à Londres en 2015, Julien Balajas est professeur de théâtre dans la capitale anglaise. Mais depuis six mois, il ne peut plus exercer son métier, souffrant des conséquences d’une contamination au nouveau coronavirus, attrapé en mars dernier. Il fait en effet partie de ces cas de “Covid long” dont, selon lui, personne ne parle alors que les malades “souffrent en silence”. Sur les réseaux sociaux, le Français a alors décidé de prendre sa plume numérique pour alerter les citoyens et les pouvoirs publics.
Le 24 mars 2020, Julien Balajas perd l’odorat. Deux jours après, il perd le goût et ne peut plus dormir à cause de difficultés respiratoires. Ces premiers symptômes annoncent le début d’un long chemin de croix. Quatre jours plus tard, il se rend aux urgences de l’hôpital de Saint Thomas avec l’impression qu’il ne respire plus. C’est dans un contexte anxiogène qu’il s’y rend alors que les élèves de son cours de théâtre partagent des photos de gens allongés sur le sol des hôpitaux anglais. “J’étais résigné à mourir. Quand j’y repense, c’était une fatalité”, confie t-il. Pourtant, alors qu’il est aux urgences, la culpabilité remplace la résignation. “Au bout de dix minutes, je respirais mieux alors je me suis mis à culpabiliser d’être là”.
Cependant, les médecins lui confirment qu’il s’agit bien du Covid-19 mais ils lui demandent de rentrer chez lui. “Dans les hôpitaux, il y avait une charge virale énorme, rester là-bas était trop dangereux.” Ainsi livré à lui-même, le Français fait face aux conséquences de l’hystérie générale qui a notamment provoqué une rupture de stock de thermomètre. Jusqu’au 1er avril, il n’a pas pu savoir s’il avait de la fièvre et, pour seule solution, a pris du paracétamol tous les quatre heures.
Le temps passe mais l’état de Julien Balajas ne s’améliore pas. Il fait des allers-retours aux urgences, parfois poussé par l’inquiétude de son entourage. Les médecins observent alors que l’infection gagne du terrain et tentent d’en rechercher la cause. Ils émettent l’hypothèse d’une maladie auto-immune mais les prises de sang ne révèlent rien de ce type. Jour après jour, certaines caractéristiques de ce que les médecins appellent alors le “Covid long” apparaissent chez le Français. “C’est un phénomène de yoyo, parfois dans la même journée”, raconte-t-il, ajoutant, “mais on connaît des périodes d’accalmie”.
A partir du mois de mai, il se sent mieux mais ce moment de répit est tout de suite suivi d’une période de rechute. Aujourd’hui, il désigne ces périodes comme des “phases” qui peuvent se traduire par l’apparition de nouveaux symptômes comme de la tachycardie, de l’eczéma, des douleurs à la jambe, le gonflement des veines ou encore des sensations étranges au visage. “Pendant une semaine non stop, j’avais cette sensation que l’on a après avoir avalé de la menthe, comme si le sang ne parvenait plus au visage.” Les médecins n’ont alors aucune explication à lui donner.
Au fil des mois, les rechutes se font moins intenses. Six mois après avoir été contaminé, Julien Balajas assure ne plus être en détresse respiratoire. “J’arrive à accepter le paradoxe d’avoir l’impression de ne pas respirer mais pourtant d’avoir de l’oxygène.” En effet, les médecins lui ont conseillé de se munir d’un oxymètre pour mesurer son taux de saturation en oxygène qui s’est toujours révélé excellent.
Au début de son infection, en mars 2020, il n’y avait pas de suivi des cas de Covid long. C’est vers la fin du mois de mai que la Chest Clinic du Guy’s Hospital de Londres ouvre un service de ce genre. Malgré cela, aucun traitement médical n’a été trouvé à ce jour pour soulager les malades. Julien Balajas avoue ne pas réellement suivre l’avancée des recherches scientifiques, notamment en termes de médicaments. “Cela crée des fausses joies. J’ai appris à prendre du recul sur ce qu’on dit.” En revanche, il a pris certaines initiatives personnelles pour tenter d’aller mieux. C’est sur son alimentation que Julien Balajas se concentre principalement. Il mange, par exemple, de l’ail pour ses propriétés antiseptiques. “J’ai senti que cela a marché, même si je n’en ai pas la preuve scientifique”. Il se renseigne également sur la neurologie, en particulier sur le nerf vague et s’est mis à l’acupuncture qui le soulage beaucoup.
C’est aussi grâce aux groupes Facebook de “Covid longs” que Julien Balajas trouve des conseils, malgré quelques réticences en amont. “Au début, j’étais réfractaire à ce genre de groupe, je ne voulais pas me complaire dans cette situation. J’avais peur de rentrer dans quelque chose de morbide”. Finalement son avis a changé en constatant que le but de ces groupes était de répondre à la question : “Que peut-on faire pour aller mieux ?”. Il y apprend par ailleurs que les personnes infectées du Covid-19 ont des symptômes très différents et donc qu’aucun profil type n’existe. “Je m’estime plutôt heureux, confie t-il, car d’autres personnes ayant le Covid long ont des symptômes bien pires que les miens comme des diarrhées ou d’affreux maux de tête.”
Les cas de long Covid ne sont pas connus de la majorité de la population, et ce par leur absence de visibilité dans les médias, dénonce Julien Balajas. “Ils n’ont aucune excuse”. Pour lui, il s’agit d’une volonté délibérée du gouvernement de faire taire l’existence des Covid longs, que ce soit en Angleterre et en France. Alors que les médecins et les scientifiques sont pleinement conscients de ces cas de figure, comment expliquer que l’ignorance reste de mise dans les discours politiques et médiatiques, lance le Français. Peut-être, questionne-t-il, pour des raisons économiques ou une peur de semer la panique. “Je ne comprends pas. On veut contenir l’épidémie, mais on dit à tout le monde que les personnes de moins de 60 ans n’étant pas obèses ne risquent rien. C’est maintenir les gens dans l’ignorance. C’est de la désinformation.” Sur les réseaux sociaux, le professeur de théâtre alerte donc son cercle de ce qu’il vit et lance des appels, qu’il espère un jour être entendus par les politiques.
Aujourd’hui, même si son inflammation des poumons est finie, Julien Balajas a perdu 9 kg qu’il n’arrive pas à reprendre. Il est trop fatigué et trop lent pour reprendre les cours de théâtre qu’il donnait le soir à Londres. Il continue cependant une activité intellectuelle en faisant des traductions, notamment celle du Songe d’une nuit d’été. Ainsi, il maintient son cerveau actif, en attendant de retrouver la force dont il a besoin pour retourner sur les planches.