Que peut bien faire une Française de 27 ans sur une des îles les plus lointaines d’Ecosse ? Marie Bruhat a fait le choix de quitter la France il y a quatre ans pour s’installer sur Fair Isle. C’est après une première expérience vécue là-bas en 2015, qu’elle est tombée amoureuse de ce bout de terre de 8 kilomètres carré et qui compte 45 habitants. Depuis, la jeune femme, titulaire d’un diplôme en design de textile, n’avait qu’une obsession : y retourner pour faire vivre la tradition de l’île, le tricot.
Quand Marie Bruhat parle de son île, on aurait presqu’envie de faire son baluchon et d’aller visiter cette “terre perdue” située entre les mers du Nord et de Norvège. “Ce que j’aime, c’est que je me suis tout de suite sentie accueillie et soutenue dans un pays qui n’est pourtant pas le mien”, explique la jeune femme, qui souligne là le caractère très ouvert de toute l’Ecosse.
Le coup de foudre avec Fair Isle est donc né en 2015. Après deux ans en arts appliqués à Lyon, cette Auvergnate d’origine a pris la direction de Roubaix pendant trois ans pour suivre des études dans le design textile, et son stage de six mois entre sa 3ème et 4ème année, où elle s’est spécialisée dans la maille, elle l’effectue à Paris au sein de la prestigieuse maison Marc Jacobs. “C’était une très belle expérience, mais qui a demandé beaucoup d’énergie. C’était une vie assez folle, par exemple on a passé deux semaines non-stop sur les routes italiennes”.
Pour son stage de 4ème année, qu’elle doit effectuer à l’étranger, elle souhaite alors une ambiance “à l’opposé”. En faisant ses recherches, elle tombe alors sur Mati Ventrillon, réputée pour son savoir-faire du tricot écossais. La jeune étudiante décide alors de se rendre sur Fair Isle pour apprendre le métier auprès de cette habitante de l’île. “J’ai aimé le fait qu’elle ait une marque artisanale, que tout était fait à la maison, mais avec un côté moderne”.
Marie Bruhat débarque donc sur Fair Isle à l’automne 2015. Elle y apprend comment confectionner un pull de A à Z. “J’ai pu voir toutes les étapes, de la fabrication aux contrôles de toutes les filières”. Elle tond aussi les moutons, qui appartiennent à Mati Ventrillon. “Je n’ai jamais trouvé de métier aussi épanouissant professionnellement que personnellement”, confie la jeune Française. A son retour en France, elle passe son diplôme mais au moment de chercher un travail ou un nouveau stage, elle commence à redouter de ne pas pouvoir retrouver la même émotion que sur Fair Isle. “Quand on a découvert ce qu’était être heureux au travail, il est difficile de retourner vers quelque chose de peu satisfaisant”, philosophe la jeune femme.
Il ne lui en faut pas plus pour décider de repartir sur l’île écossaise. Mati Ventrillon accepte de l’héberger le temps qu’un logement se libère sur Fair Isle. “Là-bas, c’est très difficile de se loger. La plupart des habitations appartiennent au National Trust of Scotland. Pour pouvoir faire une demande de logement, il faut présenter certains critères et si on a déjà un travail, on a plus de chance d’en obtenir un”, détaille la jeune Française. Elle aura attendu un an et demi pour qu’une maison se libère. Entre-temps, elle se sera grandement investie dans la communauté de l’île – un bon point pour obtenir une maison -, en devenant pompier volontaire mais aussi en rejoignant l’équipe de premiers secours des gardes côtes. “J’ai aussi rencontré mon actuel compagnon, un Ecossais qui était venu sur l’île installer des éoliennes”.
Le couple retape entièrement la maison qui leur est louée par le National Trust. “Le loyer est en général faible, mais les logements proposés sont très peu entretenus”, commente Marie Bruhat. Après six mois de rénovation, avec son compagnon, ils décident de louer une des chambres comme ‘Bed and Breakfast’. “On a ouvert les réservations à l’été 2019 mais on s’est aperçu qu’il était trop compliqué pour les gens de louer la chambre pour une ou deux nuits seulement”. Du coup, la Française décide de lancer un concept original : des vacances tricot. “Les gens pourraient rester une semaine et ainsi apprendre l’art du tricot avec moi pendant leur séjour”. L’idée est belle et le projet est lancé en février 2020. Sauf que la Covid est passée par là. “On n’a pu encore recevoir personne”, se désole encore Marie Bruhat qui qualifie l’année 2020 de “difficile”.
Mais pas de quoi l’abattre. Depuis son atelier, elle confectionne des pulls (parfois sur-mesure), gants, bonnets et autres écharpes. Sa laine provient entre autres de son propre troupeau de moutons (sa production est envoyée ensuite sur l’île principale et toutes les toisons sont mélangées, la jeune femme achète la laine finie à l’usine). “On a une quarantaine de moutons Shetland, qui sont à une dizaine de minutes de la maison. C’est la première année que nous avons des naissances, donc on doit aller vérifier que tout aille bien toutes les 3-4 heures”, commente Marie Bruhat.
Fair Isle with Marie cartonne depuis. Les ventes, depuis le premier confinement, n’ont en effet pas cessé d’augmenter. “Il y a quatre mois, il fallait compter trois semaines pour recevoir sa commande, maintenant, c’est plutôt trois mois”, se réjouit-elle. Quand on lui demande si ses journées ne sont pas trop longues, elle répond simplement : “Je ne m’ennuie jamais. Je dessine d’abord les modèles maille par maille sur mon ordinateur, puis je calcule la taille du vêtement, ensuite je me mets devant ma machine à tricoter”. Elle peut y passer jusqu’à 7 heures pour réaliser un pull par exemple. “J’assemble tout à la main, avant de laver le vêtement, puis de l’emballer pour l’expédier”. Elle passe aussi beaucoup de temps à répondre aux mails, car pour elle le service clients est essentiel.
Marie Bruhat, heureuse de perpétuer la tradition avec d’autres tricoteuses de l’île, ne se voit pas vivre autre part que sur Fair Isle. “J’aime bien les villes en général, mais ici j’ai un sentiment de liberté, de simplicité”.