La chose peut sembler surprenante à ceux qui n’ont jamais vécu dans d’autres pays, mais les Français vivant à l’étranger ont parfois tendance à pas mal fréquenter… d’autres expatriés. Et beaucoup de ceux établis en Grande-Bretagne n’échappent pas à la règle.
Bien sûr, il y a les nouveaux arrivants qui ont logiquement un peu de mal au début. C’est le cas de Nicolas (*) qui partage son temps, depuis trois mois, entre la France et une petite ville non loin de Londres, où il se rend pour le travail. N’y connaissant encore personne, il a posté une annonce sur Facebook pour rencontrer des compatriotes. “J’ai pensé que des Français pourraient plus facilement m’intégrer dans un groupe d’amis britanniques et que je pourrais ainsi commencer à créer du lien…” Il indique aussi avoir naturellement encore du mal avec l’anglais. “La barrière de la langue est difficile. Parfois, je dois avouer que je n’ose pas aller vers mes nouveaux collègues.”
De son côté, Juliette a tenté quelques “Meetup”, au début de son expatriation à Londres, afin d’améliorer son niveau linguistique (son travail ne lui permettait pas tant que ça de le développer) et rencontrer des Britanniques. Mais se souvient s’être retrouvée un peu à part au milieu de “native speakers”. “J’avais l’impression de les ennuyer parce que je leur demandais pas mal de répéter…” Elle a parallèlement vite ressenti le besoin de se lier à des Français. Ne serait-ce que pour se “reposer” de l’anglais. Et sortir d’un certain isolement.
Benjamin a pour sa part vécu plusieurs expatriations et parle de “filet de sécurité” à propos de ce “réflexe” qu’ont beaucoup d’expatriés – y compris, bien sûr, d’autres nationalités – lorsqu’ils arrivent quelque part, de se retrouver entre eux (même si d’autres ont aussi l’attitude inverse, afin de s’intégrer rapidement). “Dans l’inconnu, cela te rassure de retrouver des repères…” “Des études montrent qu’en temps de danger, on va davantage se focaliser sur les gens qui nous ressemblent, indique Leonor de Escoriaza, psychologue ayant exercé plusieurs années à Londres, notamment auprès de francophones. Et donc, là, c’est indirect, mais quand même… Quand on est dans un nouvel endroit, on est beaucoup plus exposés psychologiquement. Le niveau de ‘danger’ perçu est plus élevé et on va se réfugier dans ce qu’on connaît.”
Et la tentation est d’autant plus grande à Londres, où les ressortissants français sont nombreux. Le conseil est bien sûr de ne pas en oublier d’“aller à la rencontre de l’Autre”. “Cela permet de gagner en ouverture d’esprit, de prendre du recul sur sa propre culture.” Même si cela peut demander pas mal d’efforts…. De son côté, Kelly côtoie pour l’heure surtout des Français et peine à se faire de nouvelles connaissances. Pour elle, la difficulté vient entre autres du fait que les Anglais sont aussi “chez eux”, avec des proches non loin. Ce qui fait qu’“ils n’ont souvent pas besoin de nouvelles vraies relations”. Il lui semble plus facile de se rapprocher d’autres étrangers.
Pour Michel Guignard, à Londres, directeur d’une école de langues adaptée au monde des affaires – et qui s’intéresse donc particulièrement aux différences culturelles entre pays –, il peut en outre y avoir un certain décalage d’attitudes (variable, peut-être aussi, selon les milieux) entre Anglais et Français. Plus généralement, “côté anglais, on ne dit jamais ‘non’, mais ‘oui, mais’. ‘Stiff upper lip’ : on ne montre pas ses émotions. Les sujets de badinages (‘small chats’), de prise de connaissance chez nous sont tabous chez eux. Sexe, politique, religion… A l’inverse, l’argent, la richesse ne sont pas un problème.”
Des différences, un manque de certaines références en commun – ainsi probablement, que la relative facilité à entrer en contact avec d’autres Français dans le pays – qui, font que, même après pas mal d’années vécues en Angleterre, beaucoup d’expatriés continuent d’apprécier la compagnie d’autres Français. C’est par exemple le cas de Lindsay, venue en Angleterre il y a dix ans, mariée plusieurs années à un Anglais (avec qui elle a des enfants), se disant “complètement intégrée” et qui explique pourtant avoir du mal à se faire des amies anglaises et avoir cherché à rencontrer des Françaises. “Il y a un aspect culturel, un retard qu’on ne peut pas rattraper… J’ai quand même passé vingt-cinq ans en France.” Du côté de Birmingham, Catherine dit, elle, avoir vécu trente ans en Angleterre, être aussi mariée à un Anglais et pourtant continuer à se sentir “très différente”. “Mes meilleures amies ici sont Françaises.”
Une sensation de décalage – parfois aussi accentuée par le Brexit et ses possibles marques de rejet –, ainsi qu’un attachement aux racines qui peuvent bien sûr en pousser beaucoup à vouloir rentrer en France au bout d’un moment… Ce qui n’est néanmoins pas le cas de pas mal d’autres personnes. A l’instar de Lindsay, qui a une maison et ses enfants en Angleterre, n’a plus spécialement d’attaches en France. Et qui se sent tout simplement bien dans ce pays… même si c’est aux côtés d’autres expatriés.
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(*) La personne n’a pas souhaité préciser son nom de famille.