La dernière fois que nous l’avions rencontrée, c’était en 2018 et elle se confiait sur son exposition de dessins consacrés aux plus belles façades de pubs londoniens. Six ans plus tard, Lili Bé dessine toujours, mais sur un autre sujet. L’illustratrice française, installée à Londres depuis plus de 15 ans, vient en effet de publier son tout premier roman graphique, dans lequel elle aborde un sujet encore tabou : l’interruption médicale de grossesse.
D’elle, elle n’aime pourtant pas beaucoup parler. Lili Bé est plutôt du genre discrète. D’ailleurs, quand nous l’avions interviewée en 2018, elle ne souhaitait pas que son nom de famille apparaisse pas dans l’article. A l’époque, la Française, Claire de son prénom, expliquait ce choix par son travail, dans une école de Londres. “C’est une manière pour moi de marquer un respect au regard des parents et des élèves. Et puis, cela me permet de rester plus libre dans mon travail”, se justifiait-elle et continue-t-elle de se justifier. Un choix d’autant plus compréhensible que pour ce premier roman graphique, baptisé Je voulais vous parler de lui et paru le 5 avril dernier, Lili Bé parle don d’unn événement très personnel.
En 2006, deux ans avant de s’installer à Londres, la Française, déjà maman d’un petit garçon de deux ans, est aux anges : elle attend un second enfant. Sauf qu’à six mois de grossesse, elle apprend que son bébé est atteint de trisomie 21. L’équipe médicale explique alors à Claire qu’il est possible de pratiquer à une interruption médicale de grossesse (IMG), procédure n’intervenant que s’il existe “une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic”. Comment réagir au fait que son enfant est atteint d’une trisomie 21 et comment prendre la décision d’interrompre ou non cette grossesse ? “Quand on apprend une telle nouvelle, c’est un choc immense, c’est le ciel qui s’écroule”, confie Lili Bé, “avec mon mari nous nous sommes posé la question pendant une dizaine de jours, nous avons vu beaucoup de médecins, dont des psychologues”.
Car, ajoute-t-elle, la partie la plus difficile dans ce choix, c’est de l’assumer. “C’est d’ailleurs le propos de mon livre”, souligne l’illustratrice, “comment vivre avec les conséquences de ce choix, cette culpabilité, cette honte, même des années après ?”. A l’époque, le sujet était encore plus tabou qu’aujourd’hui. “Je me sentais tellement seule. Il y avait très peu d’écrits, et le seul livre que j’avais trouvé, ‘Quel âge aurait-il aujourd’hui?’ de Stéphane Clerget, traitait des grossesses arrêtées de manière générale et non pas spécifiquement de l’IMG”. C’est pourquoi, la Française a eu envie de prendre le crayon et de raconter son histoire. “Même si depuis, il y a eu plus de choses dites et écrites sur le sujet, grâce aux réseaux sociaux ou à des podcasts, je voulais partager mon témoignage pour sensibiliser au deuil périnatal”.
Ce livre, elle a mis plusieurs années à l’écrire, car elle ne savait pas comment l’articuler. “Quand j’ai commencé, je ne savais pas si cela allait rester quelque chose de personnel ou s’il allait devenir un projet d’édition”, avoue Lili Bé. Elle finit de mettre ses émotions en images et en textes pendant le confinement. “Je l’ai d’abord fait lire à mon mari pour avoir son avis”, raconte la Française, “il a tout de suite été enthousiaste”. Certes de manière différente, dit-elle, son conjoint aura lui aussi vécu cette interruption médicale de grossesse aussi intensément qu’elle. “Il m’a beaucoup épaulée. On a partagé cette épreuve ensemble, cela nous a permis de grandir en tant que couple”, confie-t-elle, “même si le choix de cette IMG a été aussi difficile pour lui, il l’a mieux vécu que moi. Et c’est tant mieux”.
Lili Bé décide de le faire également lire à sa belle-mère, dont elle est très proche et qui “a été la seule dans notre entourage, à continuer à parler de cet enfant avec nous. A chaque date anniversaire, elle nous envoie un message”. La Française reconnaît que les proches peuvent avoir du mal à imaginer “le tsunami émotionnel que l’on vit”. “Ils ne savent pas quoi et comment le dire, par peur de nous voir pleurer. Mais parler de cet enfant, de ce qui s’est passé, cela fait, au contraire, du bien”, avance Lili Bé, espérant ainsi que son livre pourra aussi sensibiliser l’entourage des couples qui traversent cette épreuve.
C’est une de ses amies parisiennes, estimant cet ouvrage “d’intérêt public”, qui l’encourage à le publier et lui donne quelques contacts chez des éditeurs. Sur la quinzaine de dossiers envoyés, Lili Bé reçoit deux réponses positives. Puis tout s’enchaîne et elle signe son contrat avec les Editions Les Enfants Rouges en août dernier. Paru le 5 avril, Je voulais vous parler de lui est ainsi un nouveau pas dans son long chemin de résilience. “Vivre un deuil, c’est vivre des hauts et des bas, mais c’est aussi essayer d’approvisionner sa tristesse, d’avancer et de trouver le moyen de faire la paix avec soi-même”. La culpabilité ne quitte jamais les personnes ayant eu à vivre une telle épreuve. “Il y a ce sentiment qu’on a abandonné et tué son enfant, qu’on ne lui a laissé aucune chance. On en prend pour toute sa vie”.
L’aîné de la Française, aujourd’hui âgé de 19 ans, n’a pas encore lu le livre, mais Claire a beaucoup échangé avec lui. “Je viens de passer quelques jours en tête à tête avec lui. J’ai pu lui ré-expliquer ce qui s’est passé et je lui ai demandé s’il se souvenait de cette période. Il m’a répondu qu’il avait toujours eu l’impression d’avoir su”. Si elle a écrit ce livre, c’est aussi pour lui et son frère, âgé de 16 ans, très fier lui aussi de sa mère. “Je ne veux pas que le sujet soit tabou, je ne veux pas de secrets de famille”, résume Lili Bé qui sera à la librairie La Page samedi 27 avril pour une rencontre-dédicace avec les lecteurs.
Quand : samedi 27 avril à 11am
Où : Librarie La Page, 7 Harrington Rd, London SW7 3ES
Combien : gratuit
Inscriptions : ici