Lorsqu’il n’anime pas une émission sur Channel 4, s’offre la Une des étals en librairies, s’affiche dans les pages des magazines et fait le show dans les festivals culinaires, le pâtissier Eric Lanlard est aux fourneaux de sa pâtisserie “Cake Boy” à Battersea.
Ouvert en 2005, son établissement tourne à plein régime : ses créations partent comme des petits pains et ses cours font le plein. A Londres, Eric Lanlard est une figure incontournable de la pâtisserie, une “star” qui compte parmi ses clients les VIP Victoria Beckham, Elizabeth Hurley et la famille royale.
Pourtant, le Breton garde la tête froide. Baskets Converse aux pieds, diamant à l’oreille, Eric Lanlard dégage une bonhomie communicative. C’est tout sourire qu’il nous raconte sa success story et partage ses réflexions sur le Brexit et l’apprentissage en pâtisserie en Angleterre.
Rome ne s’est pas faite en un jour, “Cake Boy“ non plus. Avant d’avoir ses propres fourneaux, Eric Lanlard a fait ses armes auprès des frères Roux. “J’ai atterri à Londres en 1989 après avoir passé deux ans sur le navire militaire Jeanne d’Arc” se souvient-il. “J’avais le goût du voyage mais je voulais améliorer mon anglais. Je ne suis jamais reparti”.
Si le pâtissier a décidé de s’ancrer dans la capitale anglaise, c’est parce que Michel et Albert Roux lui ont fait confiance. “J’ai rapidement été promu “head chef”, chose qui aurait été impensable à l’époque en France”. Travailler pour les seuls chefs auréolés d’étoiles Michelin de l’époque lui a permis d’apprendre vite et de se faire connaître sur le marché, notamment auprès des maisons réputées. “Un jour, Harrod’s a téléphoné à l’un des frères Roux pour savoir qui réalisait les pâtisseries, mon nom a commencé à circuler comme ça”.
Fort de ses connaissances et de sa réputation, Eric Lanlard a décidé de voler de ses propres ailes. “Avec un ami, nous avons ouvert “Laboratoire 2000″, un labo de production. Nous louions une petite cuisine centrale à Vauxhall où nous produisions des pâtisseries pour Harrods, Fortnum & Mason, Harvey Nichols. C’était les débuts de la révolution culinaire, ça a immédiatement marché. On a grandi et je me suis retrouvé à ne faire que de la paperasse. J’avais envie de remettre la main à la patte et surtout de transmettre.”
Avec sa déco arty, son espace cafétéria et son nom qui sonne très anglo-saxon, “Cake Boy” ne ressemble en rien aux pâtisseries à la française. “Je ne voulais surtout pas que ce soit étiqueté “French touch”. J’ai vu beaucoup de confrères échouer comme ça. J’avais prévenu Philippe Conticini, venu me consulter à l’époque pour sa “Pâtisserie des Rêves”, que Londres n’est pas la France. La clientèle ne vient pas juste acheter un gâteau pour le déjeuner dominical. Avoir que du “retail” ne fonctionne pas. Il faut un espace convivial, où prendre un café”.
Même recette pour les créations qu’il propose. “J’ai un héritage et un ancrage français mais je crée en pensant global, pas franco-français. Mes clients sont anglais, j’ai beaucoup de personnes originaires du Moyen-Orient aussi. C’est à moi de m’adapter, pas l’inverse. En revanche, je ne transige pas sur la qualité des produits.”
S’il travaille depuis des années avec des fournisseurs français pour le chocolat – Valrhonna – et la crème – Elle & Vire – “ce sont des marques que les clients connaissent, en qui j’ai confiance et que l’on trouve partout facilement à l’international”, Eric Lanlard n’hésite pas à faire appel à des locaux. “Avant, nos boîtes à pâtisseries venaient de France. Les Anglais ne savaient pas les faire. Avec l’émergence d’un marché, des entreprises sont apparues. La qualité est égale, c’est local, ça facilite le stockage, pourquoi m’en priver ?” justifie-t-il, l’esprit ouvert.
L’ouverture du chef s’observe aussi dans sa “politique de recrutement”. Pas question de donner la priorité aux Français. “Ça, c’est la vieille école. Avant, les chefs devaient venir de France. Les recrues arrivaient avec un melon et l’envie de tout révolutionner. Au bout de quelques mois, ça ne collait pas et ils repartaient” raconte-t-il.
Chez “Cake Boy”, la brigade a des accents internationaux. “Le chef pâtissier est péruvien, le manager est français, on a aussi un Polonais et un Italien. Et le jeune sous-chef est anglais. C’est un ancien client qui venait prendre des cours à la pâtisserie tous les Noëls. Quand il m’a dit qu’il voulait devenir pâtissier, je lui ai conseillé de faire une école. Avec la “food revolution”, les structures d’apprentissage sont apparues en Angleterre. Les écoles de pâtisseries sont encore rares mais ça évolue doucement. Ce n’est pas plus mal car avec le Brexit, la main d’oeuvre va être plus difficile à trouver”.
Sur cette question, Eric Lanlard explique que le retrait de l’Angleterre de l’Union Européenne a fait fuir tous les travailleurs saisonniers. “On a perdu tous ceux qui venaient pour six mois, un an. C’est un peu malheureux mais ça veut aussi dire que les personnes qu’on recrute sont plus fiables, dans le sens où elles sont à Londres avec l’idée d’y rester“.
Rester à Londres, la question ne se pose même pas pour Eric Lanlard. “Je suis de très près la dynamique de la pâtisserie française. Il se passe plein de choses en ce moment à Paris. J’adore Cédric Grolet. Sa patte est très inspirante. Mais ma vie est en Angleterre et j’ai plein de projets sur le feu”.
La dernière clé du succès : en plus d’être le pâtissier chouchou des Anglais, Eric Lanlard signe les afternoon tea de toute la flotte de bateaux P&O Cruises Fleet. Une signature que les gourmands retrouveront d’ici quelques semaines à bord des avions de la compagnie Virgin. “C’est un challenge énorme car il faut prévoir les réachalandages partout dans le monde. Je suis très excité par ce projet, ça doit être mon attirance pour les airs” plaisante-t-il. “Il y a une dizaine d’années, j’ai signé avec Virgin Atlantic, l’entreprise de Richard Branson, pour faire partie des privilégiés à faire un aller/retour dans l’espace. J’étais sur le vol 30. Depuis, il y a eu des désistements. Ils veulent garder mon départ secret mais ça ne devrait pas tarder“. Stay tuned pour le prochain départ de la star pâtissière vers les étoiles…