Dix mois, c’est le temps qu’il a fallu à Jérôme Favre pour dresser les portraits des habitants de Peckham. Fasciné par ce quartier du sud de Londres à l’identité très forte, le photographe de rue y emménage en 2013. Son installation à Peckham – alors en pleine mutation – est un déclencheur : “Le quartier est en train de se gentrifier. C’est ce qui m’a motivé à créer un document sur Peckham et sa population en 2017-2018.”
Armé de son petit Fuji XT-20 et d’un Nikon D750 pour les jours très ensoleillés, Jérôme Favre aborde ses modèles à la volée, “des gens qui me semblaient intéressants et représentatifs du quartier.” Un travail de longue haleine car beaucoup de passants refusent. “Ce qui est parfaitement normal. Il faut donc se présenter, expliquer le projet rapidement et prendre la photo en quelques secondes car les gens sont en général pressés.” Avec de la persévérance et grâce à la forte personnalité des habitants du quartier – “Peckham est rempli de personnages”, confie le photographe -, Jérôme Favre parvient parfois à dresser plusieurs portraits par jour.
Le résultat est troublant. Pourtant prises à la volée, les photos semblent très posées. “Quand on fait des portraits de rue, il faut aller très vite. Une fois son accord obtenu, je demande simplement à la personne de se positionner où je le désire – toujours à proximité -, de regarder droit dans l’objectif et de ne pas sourire.” Une consigne “stricte” du photographe pour obtenir davantage d’authenticité. “Lorsqu’ils sont photographiés, la plupart des gens sourient par réflexe. Leur demander de ne pas le faire permet d’obtenir un résultat plus honnête, et de faire transparaitre leur personnalité. Cela ôte un filtre artificiel.” Une personnalité que chacun sera alors libre d’interpréter : pour laisser au spectateur se faire sa propre idée, le photographe n’accompagne ses portraits d’aucune information identitaire.
Intitulée Peckhamites, cette série de portraits d’hommes et de femmes est à découvrir à la galerie Ten Point 5ive du Peckham Levels. “J’ai simplement contacté l’équipe par email, et ses membres ont tout de suite adoré la série, donc ça s’est fait très vite”, se réjouit-il. Une belle opportunité pour le photographe qui explique que le marché dans la capitale anglaise est hyper concurrentiel mais, ajoute-t-il, “je ne pense pas que ce soit un trait uniquement londonien. Avec les smartphones, tout le monde se considère comme un photographe de nos jours, et pourquoi pas ? Il faut réfléchir à son style et à ses projets, surtout lorsqu’on souhaite faire son trou.”
Son style, c’est la photographie de rue. “Je fais aussi un peu de studio, mais je préfère l’authenticité et l’honnêteté de la photo de rue.” Des rues des villes plutôt que celles des campagnes. “Je m’y ennuierais à terme. Et les villes sont plus dynamiques et hautes en couleurs, il s’y passe toujours quelque chose.” Dans le cas de la capitale anglaise, ce que Jérôme Favre souhaiter capter, c’est sa photogénie bien à elle : “Londres n’est pas une ville “jolie” dans le sens conventionnel du terme, à part peut-être son hyper-centre. Pour moi, sa photogénie provient de son passé industriel, toujours visible, et de l’importante mixité sociale de ses quartiers.”
De là à en dresser tous ses portraits, Jérôme Favre s’interroge : “Mes amis me poussent à faire de nouvelles séries dans d’autres quartiers, voire villes, mais je ne veux pas non plus m’enfermer dans un seul style de photo. J’y réfléchis toujours.” En attendant, lorsque le photographe ne travaille pas pour son agence de créa, il planche avec une amie journaliste sur un projet personnel autour du football à… Peckham. Ça ne fait pas de quartier, Jérôme Favre l’aime, le sien.
L’exposition Peckhamites est à découvrir gratuitement jusqu’au 26 juin 2018 à Ten Point 5ive Gallery, le nouvel espace créatif du Peckham Levels.