Depuis le lancement sur la plateforme Netflix de la quatrième saison de la série à succès, The Crown, mi-novembre dernier, les polémiques s’enchaînent. En cause, des séquences de la vie de la famille royale qui ne seraient pas le reflet de la réalité.
Bien que les producteurs n’ont cessé de rappeler que la série n’était pas un documentaire, le ministre de la culture britannique, Oliver Doden, a dû intervenir en demandant à Netflix d’ajouter l’avertissement suivant avant chaque épisode : “Ceci est une fiction.” Qu’en pensent les spécialistes de la monarchie britannique? French Morning London a demandé à Marc Roche, chroniqueur belge royal basé à Londres et auteur du livre Elle ne voulait pas être reine, son avis sur la question et quels étaient les passages les plus problématiques.
Si le correspondant du magazine Le Point “trouve que cette série est une remarquable fiction : les dialogues, les scènes, les décors, les costumes, le ton des personnages royaux, tout est parfait”, il reconnaît que cette série reste bien une “fiction” et que s’il y a autant de polémiques, c’est parce que l’histoire racontée est bien plus contemporaine que lors de la première saison, où il était question du couronnement de celle qui allait devenir la reine Elizabteth II. “L’action est basée sur une réalité fluctuante, et ce notamment pour la saison 4. Pour cette dernière, à part Diana et Margaret Thatcher, tous les protagonistes sont en vie, contrairement aux trois saisons précédentes.”
Marc Roche plaide donc lui aussi pour que Peter Morgan, le réalisateur de The Crown, fasse apparaître que la série est certes basée sur des faits réels, mais est avant tout une fiction. “Il a oublié que le public savait tout, grâce aux mémoires rédigées par l’ancienne première ministre et toutes les réalisations autour de la vie de Diana. Ce n’est pas fair-play pour la famille royale qui ne peut pas se défendre.” D’autant plus que pour la jeune génération, qui n’est pas autant au point que leurs aînés sur la famille royale, ce qui est sur Netflix devient réalité.
Pour autant, le chroniqueur royal est certain que Netflix ne fera pas apparaître la mention demandée. “La plateforme a peur de mettre en danger le succès de sa série, confie-t-il. Si elle devient une fiction, elle sera considérée comme une série basique. Or, on ne fait pas 73 millions de téléspectateurs avec une histoire fictionnelle.” Sachant qu’il reste encore deux saisons à venir, les producteurs et le réalisateur n’y trouveraient donc aucun intérêt.
Pour aider à différencier les faits réels de la fiction, Marc Roche distingue les scènes romancées sans importance et celles qui, au contraire, ont des répercussions directes sur la famille royale et sur la vision du rôle même de la Reine. “Par exemple, dans l’épisode 9, la reine croit que le prince Charles est mort dans une avalanche. C’est faux. Dès le départ, elle a été prévenue qu’il avait survécu. C’est donc un fait romancé mais qui n’a pas vraiment d’importance.”
Le spécialiste de la couronne britannique s’est dit choqué par deux scènes. “La première, c’est lorsque l’on présente le prince Charles comme trompant Diana tout au long de leur mariage. C’est totalement faux, car entre 1980 et 1985, c’est-à-dire un an après la naissance d’Harry, aucun adultère n’a été commis, explique-t-il. Ce n’est qu’à partir du moment où son mariage était condamné qu’il a revu Camilla Parker Bowles. De même concernant Diana, ce n’est pas vrai que les amants défilaient chez elle les uns après les autres.”
Si de telles scènes peuvent contrarier les fins connaisseurs de la famille royale, à l’image de Marc Roche, c’est parce que ces derniers présagent que la série aura des effets négatifs, et ce, notamment sur William. La reine et le prince Charles ne regardent ni ne lisent jamais ce qui les concernent, mais il n’en est pas de même pour William et Harry qui de plus, font partie de la génération Netflix. “Harry était très jeune quand le couple s’est déchiré, mais William a lui été confronté directement au divorce de sa mère. Il joue en plus un rôle de plus en plus important pour seconder son père et se préparer à son futur statut de Prince de Galles. De telles scènes font donc de l’ombre à l’entreprise de relation publique lancée par le Palais depuis le départ d’Harry”, analyse Marc Roche.
Les scènes concernant les relations au sein du couple Charles – Diana ne sont alors pas les seuls rapports importants entachés par la mise en scène de la saison 4 de The Crown, selon Marc Roche. “Le deuxième fait qui m’a fortement dérangé concerne les liens entre la reine et Margaret Thatcher. Jamais Elizabeth II n’a dépassé l’exigence de neutralité politique qui s’impose à elle en faisant pression sur la Première ministre, par l’intermédiaire de son attaché de presse, pour faire adopter des sanctions en Afrique du Sud. Margaret Thatcher a certes été mise en minorité par son cabinet sur cette question et a donc dû se ranger, mais cette situation n’est en rien dû à la reine”, explique le journaliste.
De plus, contrairement à ce que laissent penser certaines scènes, les premiers rapports entre la reine et la Première ministre n’ont jamais été houleux. “Tout au long des 10 ans de Margaret Thatcher au pouvoir, leurs relations étaient excellentes. Quand cette dernière arrive à Downing Street, le pays est épuisé. L’austérité économique et la remise en ordre du pays qu’elle entreprend sont donc très bien accueillies par Elizabeth II”, argumente Marc Roche. Preuve des bonnes relations que les deux femmes entretenaient, la reine a personnellement assisté à deux anniversaires de la cheffe du gouvernement, lui a remis deux décorations et lui a même offert des funérailles nationales, ce qui n’avait plus été le cas depuis la mort de Winston Churchill.
“Il y a donc énormément d’inventions et de liberté prise avec la vérité, conclut le chroniqueur royal. Cela fait de la bonne télévision, mais de la mauvaise histoire.” La vision ‘pro-Diana’ donnée à la dernière saison réalisée s’explique également par le fait que Peter Morgan est, selon Marc Roche, un républicain anti-monarchiste. Bien que ce soit un courant minoritaire dans le pays, il a teinté la manière dont le réalisateur a décidé de rendre compte de la famille royale.
À la question de savoir si la famille royale intentera une procédure judiciaire face à ces inexactitudes, le journaliste répond par la négative. “Ça serait contre-productif, des membres de la famille devraient participer au procès. Les seuls moments où ils saisissent la justice, c’est lors d’une violation de la vie privée. Ce n’est pas le cas pour Netflix qui relate la réalité d’une façon déformée.”