Chaque mois d’octobre, en Grande-Bretagne, est célébré ce qu’on appelle le « Black History Month ». Mais de quoi s’agit-il et pourquoi le fête-t-on au Royaume-Uni ?
Au départ, l’idée vient des États-Unis. En 1915, Carter G. Woodson, historien noir américain, fonde l’« Association for the Study of Negro Life and History (aujourd’hui « Association for the Study of African American Life and History », ASALH) » au travers de laquelle est créée, en 1926, la première « Negro History Week ». L’idée étant de mettre en valeur l’histoire des Afro-américains et leur apport à la société étatsunienne.
L’événement s’étend en « Black History Month (BHM) » ou « Mois de l’Histoire des Noirs ». Et se transpose à d’autres pays anglophones, notamment au Canada voisin, en République d’Irlande (en France, les initiatives sont timides, même si l’événement a été célébré pour la 6e fois par l’association bordelaise Mémoires et Partages).
Au Royaume-Uni, les choses se font à la fin des années 1980, à l’initiative, notamment, d’Akyaaba Addai-Sebo, réfugié ghanéen (aujourd’hui entre le Royaume-Uni et l’Afrique) arrivé en Grande-Bretagne en 1984. Lequel, alors coordinateur de projets pour les minorités ethniques au Greater London Council (GLC), réfléchit à lancer un évènement avec, là aussi, pour but de célébrer les contributions des personnes d’origine africaine.
« Il voulait dénoncer le racisme et célébrer l’histoire des personnes noires », indique Cherron Inko-Tariah Mbe, rédactrice en chef du Black History Month Magazine, plateforme et publication spécialisée dans la mise en valeur de l’histoire, des arts et de la culture noire en Grande-Bretagne. « Le premier Black History Month au Royaume-Uni a eu lieu en 1987. » Près de 150 ans après la fin de l’esclavage dans les Antilles britanniques.
Contrairement aux célébrations américaines qui se déroulent en février, en lien avec les anniversaires d’Abraham Lincoln et du militant Frederick Douglass, le BHM britannique est fêté en octobre, notamment « parce que cela correspond au début de l’année scolaire ». Et les élèves, encore reposés et pas dans les examens, sont plus réceptifs… Pour Cherron Inko-Tariah Mbe, la dimension éducative est bien sûr importante car les jeunes, sensibilisés, seraient aussi plus à même de remettre en question les mécanismes « qui nous ont poussé à avoir besoin d’un ‘Black History Month’ au départ ».
Focus, tout au long d’octobre, sur l’histoire du commerce du sucre et de l’esclavage ou encore sur les « voix de la génération Windrush (du nom du navire qui emmena des centaines d’Antillais reconstruire le Royaume-Uni après la guerre) » par le London Museum Docklands, conférences, projections et autres événements proposés par le Lambeth council ou bien par le Royal College of Nursing, l’Université de Birmingham ou encore le CRER (« Coalition for Racial Equality and Rights »), à Glasgow… chaque institution, association au Royaume-Uni marque les choses à sa manière.
Beaucoup reprennent néanmoins la thématique du Black History Month Magazine (sur le site duquel sont d’ailleurs publiés nombre d’évènements) autour de l’idée, pour l’édition 2024, qu’il faille « se réapproprier la narration » (« reclaiming narratives »).
« Les récits sont des outils puissants qui façonnent la façon dont nous comprenons notre passé, présent et futur, explique Cherron Inko-Tariah Mbe. Pendant trop longtemps, l’histoire des communautés noires a été contée en ne rendant pas bien compte, en simplifiant voire en négligeant complètement les riches expériences de ceux qui l’ont vécue. L’idée n’est pas juste de revisiter l’histoire mais de se réapproprier des récits qui définissent notre culture, nos contributions et notre identité même. »
« Le magazine (et le site) est plein d’articles sur ce thème. Y sont notamment mis en avant des chefs d’entreprise noirs, des universitaires… Il y a aussi des articles historiques sur Samuel Coleridge-Talyor (compositeur noir britannique du début 20e) ou Sarah Forbes Bonetta (princesse yoruba, capturée par un roi esclavagiste avant de devenir la protégée de la reine Victoria)… »
L’équipe du Black Month History propose aussi des ressources éducatives : frise chronologique, posters… – « il est essentiel de se rappeler qu’histoire des Noirs et histoire britannique sont liées » – autour d’artistes comme le poète jamaïcain James Berry, de scientifiques, de militaires et, bien sûr, d’activistes (le magazine cite l’exemple de la baronne Lawrence de Clarendon – qui siège à la Chambre des Lords – très engagée… et dont le fils Stephen avait été tué dans un crime raciste en 1993).
Pour Cherron Inko-Tariah Mbe, près de 40 ans après le premier BHM au Royaume-Uni et après le mouvement Black Lives Matter, il y a encore beaucoup d’enjeux. « Certaines choses ont changé mais le racisme systémique n’a pas disparu et les personnes noires continuent de subir des inégalités à différents niveaux ».
Un récent rapport de l’Institute of Health Equity de l’University College London pointait encore notamment du doigt le fait que, malgré de bons résultats académiques, certaines minorités ethniques à Londres accèdaient toujours plus difficilement aux emplois bien payés : 42% des foyers noirs vivent dans la pauvreté (en déduisant les frais liés au logement) contre 20 % des foyers blancs et plus de 50% des foyers bangladais et pakistanais. Sans compter « les récentes émeutes (après le drame de Southport, près de Liverpool, à l’été 2024) » qui, aux yeux de la rédactrice en chef, « montrent combien la tâche est encore importante sur les questions raciales » en Angleterre.