Les small boats sont devenus le symbole de l’immigration illégale en Grande-Bretagne. Mais qui sont les gens à leur bord et pourquoi cherchent-ils à ce point à rejoindre l’Angleterre, au risque, parfois, d’y laisser leur vie ?
Des esquifs pleins à craquer : les images de small boats, ces frêles bateaux par lesquels arrivent des migrants en Angleterre, sont très médiatisées. Avec près de 37,000 personnes arrivées par ce moyen en 2024 – c’est plus qu’en 2023 mais moins qu’en 2022 où les chiffres atteignaient environ 46,000 (les entrées régulières pour l’année 2024 s’élevaient elles à 370,000, par exemple, pour les visas travail, 420,000 pour les visas étudiant…) –, les small boats constituent l’essentiel des entrées illégales détectées au Royaume-Uni… beaucoup de personnes se retrouvant en situation irrégulière sur le sol britannique arriveraient cela dit plutôt de manière légale, par avion, mais les entrées irrégulières semblent s’être accrues, particulièrement par small boats, possiblement à cause de plus grands contrôles sur d’autres modes d’entrée (trains, camions).
Et utiliser ces small boats est bien sûr dangereux. Au moins 78 morts – dont une soixantaine par noyade – , ont été comptabilisées, pour 2024, par l’IOM (International Organization for Migration). Soit le nombre de décès le plus élevé depuis 2014 sur cette « route » entre le continent – la France, en particulier – et l’Angleterre. Les autorités britanniques évoquent des embarcations de plus en plus chargées, lesquelles pourraient toutefois aussi être le résultat, selon plusieurs ONG d’aide aux migrants, du renforcement, sur les côtes hexagonales, de l’action policière, chargée d’empêcher les traversées (France et Royaume-Uni ont des accords sur le sujet). Avec moins de départs mais des bateaux avec plus de personnes, pouvant partir de plus loin, dans l’agitation…
Mais qui sont ces migrants et pourquoi cherchent-ils à quitter leur pays ? Parce que beaucoup viennent « d’endroits parmi les plus chaotiques au monde », rappelle Peter Walsh au Migration Observatory de l’Université d’Oxford. Parmi lesquels, ces dernières années, l’Afghanistan – en 2024, les Afghans étaient les plus nombreux et représentaient 16% des personnes sur les small boats – contrée qui a malheureusement vu en 2021 le retour du régime particulièrement oppressif des Talibans.
Il y a aussi la Syrie – 13% des migrants en 2024 – mais dont la situation pourrait évoluer avec la chute de Bachar el-Assad. Sont aussi souvent comptabilisés Iraniens (11 % ), Erythréens (9%, aussi confrontés à un régime très autoritaire), Soudanais (7%)… Figurent en outre de plus en plus de Vietnamiens (10%), cherchant à améliorer leur condition et venant de « zones traditionnelles rurales qui sont plus pauvres » selon Tamsin Barber, de l’Oxford Brookes University qui étudie ces populations… « Les opportunités locales (pour gagner sa vie) ne sont pas suffisantes.»
Difficile, pour ces personnes, de ne pas entrer illégalement. L’asile, pour ceux qui peuvent s’en prévaloir (fin mars 2024, environ 3/4 des individus venus en small boats depuis 2018 et ayant eu leur dossier examiné, ont obtenu le statut de réfugié ou une forme de protection), ne peut se demander qu’une fois sur le sol britannique et les voies légales pour venir au Royaume-Uni sont globalement très limitées. Quant à demander d’autres visas (travail, étudiant), ces migrants n’en remplissent en général pas les conditions.
Et pour ce qui est de la question – souvent posée – de savoir pourquoi ces migrants « choisissent » la Grande-Bretagne et ne restent pas dans les pays du continent européen, et notamment en France – laquelle reçoit, cela dit, plus de demandes d’asile au global, tout comme l’Allemagne et l’Espagne – , les raisons sont multiples. Pour Peter Walsh, « la présence de membres de sa famille ou de sa communauté déjà sur place au Royaume-Uni » constitue un facteur important (et les nationalités faisant la traversée peuvent avoir des diasporas plus étendues au Royaume-Uni qu’en France).
Certains liens culturels et notamment la langue – l’anglais est plus communément parlé dans le monde – en constituent un autre. Et puis, il y a aussi la perception du Royaume-Uni comme étant généralement un pays « safe », y compris, parfois, face à la France où des migrants peuvent avoir de mauvaises expériences.
Pour les Vietnamiens, c’est aussi les « hauts revenus britanniques » qui attirent d’après Tamsin Barber. L’idée revient aussi, dans la migration économique, que le Royaume-Uni serait attractif parce qu’il n’y a pas de système de cartes d’identité, ce qui limiterait les contrôles. Point sans trop de fondement pour le Migration Observatory, l’économie informelle dans le PIB s’avérant même un peu inférieure au Royaume-Uni qu’en France.
Actuellement, l’approche du gouvernement britannique est de lutter contre les « gangs », derrière ces traversées dangereuses. Un projet de loi – la Border Security, Asylum and Immigration Bill (qui supprime aussi le controversé Safety of Rwanda Act qui envisageait d’envoyer des demandeurs d’asile en Afrique) – prévoit notamment de créer de nouveaux délits liés à l’organisation des voyages sur la Manche.
De leur côté, associations d’aide aux réfugiés et migrants saluent la disparition du Rwanda Act mais craignent que ces dispositions ne « criminalisent » aussi des demandeurs d’asile (Refugee Council) et ne soient vraiment en mesure de stopper les traversées. Pour elles, la solution passe par davantage de « safe routes » (notamment selon la British Red Cross) pour que les migrants puissent demander l’asile au Royaume-Uni sans prendre de risques. Human Rights Watch, elle, demande aussi plus de possibilités de regroupement familial, de visas étudiant et travail « à tout niveau de compétences » au Royaume-Uni et à l’Union européenne.